Épître en vers à Messieurs de l'Académie française

Le 29 septembre 1706

François-Joseph de BEAUPOIL de SAINTE-AULAIRE

ÉPÎTRE EN VERS

de Mr. le Marquis de SAINT-AULAIRE
à Messieurs de l’Académie française.

 

HABITANS du Vallon où croissent les lauriers,
Qui couronnent le front des illustres Guerriers,
Dispensateurs des Prix ordonnés par la Gloire,
Et confidents chéris des Filles de Mémoire,
C’est à vous d’observer par quels âpres chemins
Un demi Dieu s’élève au-dessus des humains.
De ses Exploits fameux suivez la noble trace,
Lorsque des ennemis il va punir l’audace,
Ou que pour les vrais Rois dont seul il est l’appui,
Il brave l’Univers, conjuré contre lui :
Faites que l’avenir étonné de sa gloire,
Sur la foi de CLIO soit forcé de vous croire,
Je vous laisse le soin du Héros & du Roi ;
Je ne veux voir que l’Homme, & c’est assez pour moi.
Ebloui de l’éclat des vertus héroïques,
Je n’offre mon encens qu’aux vertus pacifiques,
Déités qui jamais ne durent leurs Autels
Aux caprices du sort & des faibles mortels,
Dont la majesté douce & la beauté modeste
Laissent à peine voir l’origine céleste ;
Mais qui mieux que la loi qu’imposent les Vainqueurs,
Fixent l’obéissance & le culte des cœurs.
Je ne veux voir qu’un Prince attentif & fidèle
Aux soins dont le chargea la Sagesse éternelle,
Régler tous ses projets sur la divine Loi,
Faire son intérêt de celui de la foi,
Déraciner l’Erreur, décréditer le Vice,
Faire fleurir les Arts, et régner la Justice,
Mêler à tant de soins un honnête plaisir,
Et d’un goût noble & fin occuper son loisir.
J’aime à le voir bannir la piquante Satire,
Qui briguait près de lui la liberté de rire :
De ses traits les plus fins elle l’aurait armé ;
Mais de sa propre force on le vit alarmé :
Il sut que d’une main si pesante, si sûre,
Jamais il ne partait de légère blessure :
Elle fut réservée à de plus grands travaux,
Et son exemple seul fit la guerre aux défauts.
La Satire dès lors honteuse, consternée,
De ses riants attraits parut abandonnée ;
L’Envie au teint plombé, la noire Trahison,
Etouffant leurs serpents, ravalant leur poison,
Cachèrent à ses yeux une rage inutile,
Et chez ses ennemis cherchèrent un asile ;
Des vices décriés les appas impuissants.
Ne s’exposèrent plus à ses regards perçants.
Ainsi lorsqu’échappés de leurs prisons profondes,
Les fiers Perturbateurs de l’empire des ondes.
Volent impétueux, & bouffis de fureur,
Y traînent avec eux le désordre & l’horreur ;
Si Neptune attendri des cris d’un misérable,
Elève sur les flots sa tête vénérable ;
A fon premier regard, au moindre mot tout fuit ;
L’affreux orage cesse, un long calme le suit :
Tel le front de LOUIS plus respectable encore,
Assure le repos du peuple qui l’adore.
Jadis un noir Démon du Sang noble altéré,
Fut sous le nom d’Honneur des Braves révéré :
Par ses cruelles lois la vengeance et la haine
De leurs coups trop vantés faisaient rougir l’arène :
Les Edits de six Rois fulminèrent en vain ;
LOUIS seul triompha de ce monstre inhumain :
Il sut de la Valeur modérer la furie ;
Et lui fit respecter le sein de la patrie,
Il sait prescrire à Mars, au fort de son courroux,
Où doivent s’adresser et s’arrêter ses coups :
A toi seule, Thémis, il soumet sa puissance ;
Jamais ses intérêts n’ont chargé ta balance :
S’il s’oppose aux rigueurs de tes sévères lois,
C’est quand de la clémence écoute la voix.
Aux pleurs des malheureux compatissant, sensible
Aux prières des liens à toute heure accessible,
S’il remarque leur trouble à son auguste aspect,
Un air doux les rature et soutient leur respect.
Attentif et serein il écoute, il prononce ;
On dirait que Minerve a dicté sa réponse :
Ses refus font d’un père, et ses grâces d’un Roi ;
Tout ce qu’il a promis est scellé par la foi :
Généreux Ennemi, sûr Allié, bon Maître,
Vous qui fîtes des Dieux, est-il digne de l’être ?