Tableau des législations successives du monde, tiré d’un poëme sur Moïse

Le 24 avril 1821

Népomucène LEMERCIER

TABLEAU

DES

LÉGISLATIONS SUCCESSIVES DU MONDE

TIRÉ D’UN POÈME SUR MOYSE,
LU DANS LA SÉANCE DU 24 AVRIL 1821,

PAR. M. NÉPOMUCÈNE L. LEMERCIER,
MEMBRE DE L’INSTITUT ROYAL DE FRANCE.

 

LA fondation du gouvernement théocratique des Hébreux et les obstacles opposés à sa primitive institution, sont la matière du poème que j’ai composé sur Moyse. Les puissances célestes et infernales deviennent les agents du merveilleux nécessaire à mon sujet. Après avoir exposé les principes fondamentaux de la législation judaïque, et développé le spectacle des révoltes suscitées contre le législateur, j’introduis l’archange Gabriel qui vient le féliciter de son triomphe, et qui, lui offrant dans le saint tabernacle l’image des siècles passés et futurs, lui découvre la succession des loix constitutives des empires, depuis la république patriarchale de Samuel jusqu’à la monarchie de Louis IX et d’Henri IV et enfin depuis la réforme ecclésiastique jusqu’à notre époque d’une réforme politique et civile dans les deux hémisphères.

L’archange Gabriel parle au prophète.

 

Admire, lui dit-il, ces âges d’innocence !
Israël vit sans rois sous le Dieu qu’il encense :
Les prêtres, le sénat, les juges des tribus,
Marchent unis de cœur, séparés d’attributs ;
De l’un à l’autre chef conducteur de la foule
La source du pouvoir sans mélange s’écoule :
Mais l’exemple du monde a séduit Israël :
En vain dans l’avenir lit le grand Samuel ;
Dernier juste, il défend l’égalité première,
Et dit combien des rois pèse la race altière.
Pour conduire leurs chars ils prendront vos coursiers ;
Ils feront de vos fils leurs esclaves guerriers ;
Leurs lits seront ornés du travail de vos filles,
Et vos blés tomberont pour eux sous vos faucilles.
Inutiles avis ! du trône possesseur
Saül, vaillant guerrier, devient lâche oppresseur :
L’hydre a moins de venin et l’air moins de caprices.
David par sa douceur combat ses injustices :
Et le sceptre est remis à ce jeune vainqueur.
La foi de son aïeul est présente à son cœur :
Neveu de ce vieillard dont les mains paternelles
Au timide glaneur prodiguaient les javelles,
Qui marchait d’un air humble et de lin revêtu,
Qui de Ruth indigente épousa la vertu.
Lorsque sa Noëmi, seule, pauvre et flétrie,
Fut d’elle consolée et de ses mains nourrie,
Et que ses pleurs secrets éveillèrent l’amour
De Booz endormi vers la fin d’un beau jour.
Que d’exemples touchants naissent de ta loi sainte !
Là, de chaque verger des fleurs gardent l’enceinte.
Là, David, soupirant sa longue affliction,
Sous -des saules couché, pleure et chante Sion ;
Il chante sur un luth et sa gloire et son temple :
Là, son pieux enfant, que la terre contemple,
Bâtit le sanctuaire et les parvis sacrés
Dont les rois humblement baiseront les degrés.
Mais vois l’arche souillée et vois cesser tes fêtes :
Israël qu’on divise est un monstre à deux têtes.
Le crime s’enhardit du silence des lois.
Malheur à qui possède un champ voisin des rois !
Naboth teint de son sang la vigne de ses pères.
Source de Siloé, que tes eaux sont amères
Depuis que d’Israël les princes insolents
En tes flots corrompus lavent leurs bras sanglants !
Les peuples désolés et las de tant de crimes,
Appellent des vengeurs dont ils sont les victimes.
Superbes ! dit Memphis, j’accours vous renverser :
J’accours, dit Babylone, et vais les terrasser.
Le bruit de l’occident a fait lever l’aurore.
Toute en proie aux voisins dont le fer la dévore,
Sion pleure l’exil et la captivité !
Ah ! quand de tous ses saints parlait la piété,
Quand de brûlants esprits, des langues enflammées
Annonçaient le tonnerre et le cri des armées,
Son sourire insultait à leurs prédictions!...
 

Ici, je récapitule les divinations des hommes inspirés par la sagesse, qui ne purent se faire croire dans Israël. Ce passage me sert à caractériser l’esprit des divers prophètes : de là je passe au dogme de Zoroastre, qui fut, dit-on, le disciple de Daniel, et qui institua la religion des mages dans Babylone. Une rapide incursion vers Memphis, regardée comme le berceau des superstitions du monde, me procure l’occasion de rappeler qu’à l’époque où Moyse donna ses lois, Cécrops étant parti, comme lui, de l’Égypte, donna les siennes aux colonies grecques. Alors je peins les Spartiates, les Athéniens, et successivement l’ancienne Rome, le christianisme, l’islamisme, et les dernières victoires de la raison et de la vérité. Premièrement je désigne les Crétois.

 

Là, telle qu’un rocher, s’élève au sein des flots
Une fille des mers, la ville de Minos.

Lycurgue au front d’airain, législateur sévère,
Y puise les vertus que son sénat révère.
Il couronne deux chefs dont la rivalité
Modère le pouvoir sagement limité.
Pour tous ses citoyens la patrie est sacrée :
De leurs cœurs fraternels c’est l’amante adorée !
Ils font des rois persans reculer tous les chars ;
Et de leurs libres murs leurs corps sont les remparts.
Mais vaincus par la paix, quand la guerre est éteinte,
De leurs fougueux penchants la puissance contrainte
Échappe aux nœuds étroits de leur austérité :
L’avarice et l’orgueil naît de leur pauvreté.
Vos jeunes corps sans voile, et chastes héroïnes,
Dépouillent la pudeur et ses graces divines :
Profanant leurs attraits par des jeux flétrissants,
Vous éteignez l’amour et non le feu des sens :
Vos cirques aux regards semblent offrir encore
Les danses de Sidon, les luttes de Gomorrhe ;
Et ces égarements de l’humaine raison,
Érigés en système, éblouissent Platon !

Le voilà ce mortel dont les rêves sublimes
Habillent mille erreurs d’éloquentes maximes,
Qui partage entre tous les femmes et les biens,
Croit en rompant leurs nœuds unir les citoyens,
Détruit le nom de père et l’heureuse industrie,
Et veut que sans famille on ait une patrie !
Son nom pourtant célèbre est monté jusqu’au ciel.

Non loin de ces côteaux enrichis d’un doux miel,
Entends ces lyres d’or, ces pures harmonies :
C’est le séjour qu’habite un peuple de génies ;
Famille d’immortels qui, détestant les fers,
D’éclatants souvenirs emplira l’univers.

Sur ces bancs révérés s’assied l’aréopage
Qui du fameux Solon garde l’auguste ouvrage,
Qui pèse avec justice, au mépris des discours,
L’or et la liberté se combattant toujours,
Et sauve des périls d’une guerre homicide
L’insolente richesse et l’indigence avide.
Ta gloire enfin t’égare, idolâtre cité,
Et tu fais de ton peuple un tyran trop flatté :
Tu meurs !… telle d’un feu l’ardente véhémence
Se consume en jetant une lumière immense.

Quel aigle impérieux plane sur l’occident ?
Regarde un peuple libre et des lois dépendant,
Qui menace de loin les trônes de la terre.

Non moins grand qu’Abraham, un inflexible père
Martyr du saint amour qu’il voue à son pays,
Abandonne au couteau la tête de ses fils :
Exemple qui, fondant la liberté jurée,
Laisse aux cœurs un respect d’éternelle durée.
Il soumet aux décrets de nobles sénateurs
Deux illustres consuls, quelquefois dictateurs,
Dont par un soin jaloux la puissance bornée
Lutte avec les tribuns et meurt avec l’année.
Tel que d’une urne pure un fleuve impétueux,
Comprimé par ses bords en son cours tortueux,
Roulant sans s’égarer au sein des riches plaines,
Porte avec bruit sa gloire aux mers les plus lointaines ;
Tel, contenu des grands que contient sa vigueur,
Ce peuple couronné s’avance en roi vainqueur.
Un de ses fils osa ravir son diadême…
Vois son sang qui se mêle à sa pourpre suprême
Teindre un jeune homme épris des honneurs consacrés
Aux tristes assassins des tyrans abhorrés.
Vain effort ! désormais outragée et bannie,
Sa stérile vertu comme un crime est punie !
La cité-reine tombe ; et ses membres flétris
Aux deux bouts de la terre étalent leurs débris.

 

Des empires mortels ô courte destinée !
À ces chocs orageux leur vie est condamnée,
Et tous, en leurs vieux ans, tombent d’un coup pareil.

On ne verra plus rien que n’ait vu le soleil.
Le seul droit est la force au sein de la nature.
L’homme, grossier chasseur, combat pour sa pâture.
Bientôt, pour repousser la guerre et tous les maux,
La faiblesse se ligue et forme des hameaux.
Comme une humble verdure a produit l’or des gerbes,
Des hameaux agrandis naissent des murs superbes,
Où chaque citoyen se lie à l’équité,
Et moins indépendant a plus de liberté.
Le plus sage commande ; et sa race ennoblie
De son sceptre héritière, en est enorgueillie :
Ses neveux protecteurs dont le peuple fait choix
Sont revêtus par lui de la pourpre des rois :
Distingués par les rangs, puissants par la richesse,
Leurs fils sont plus altiers ; l’égalité les blesse :
À leur vaste influence ils mesurent leurs droits ;
Et l’équilibre antique est rompu sous leur poids.
Les cœurs, les dignités, les fortunes se vendent :
L’esclavage s’accroît ; les misères s’étendent :
La mollesse des grands relâche leur pouvoir :
Las d’un roi sans vertu, le peuple, sans devoir,
Sur le peu de mortels ministres de l’idole
Tourne son œil fatal, se lève, et les immole.
Alors, la liberté lui verse de sa main
Un nectar qui l’enivre et le rend inhumain ;
Et quand son vain délire à sa chute l’entraîne,
Un guide ambitieux vient, l’endort, et l’enchaîne :
Ou, mettant à profit sa docile langueur,
Des souveraines lois ranimant la vigueur,
Quelque homme, dédaignant le vulgaire génie
Des tyrans dont sitôt la route est aplanie,
Prépare au peuple sage un glorieux réveil.
On ne verra plus rien que n’ait vu le soleil.

 

L’ange à ces mots s’arrête : ainsi, loin des rivages,
Se repose, au sommet de quelques rocs sauvages,
Un oiseau voyageur dont, en fendant les airs,
L’aile enfin s’est lassée à planer sur les mers :
Son vol bientôt reprend une force nouvelle.

Gabriel poursuivit : « dans ce tableau fidèle,
Tu vois comme un instant les longs âges passer,
Les villes et leurs lois briller et s’effacer.

Leurs fastes durent peu, si dès leur origine
Un pouvoir n’a réglé leur discorde intestine ;
Si le droit est sans arme, et n’a pour ses garants
Contre les grands le peuple, et contre lui les grands ;
Si de la liberté les foudres toujours prêtes
N’éclatent quelquefois en d’heureuses tempêtes
Et si, contre le vice et les abus rongeurs,
La tribune est sans voix, et l’état sans vengeurs.

Hélas ! un souffle impie a corrompu ta race,
O David ! et ton sceptre est le prix de l’audace.
Les troupeaux égarés cherchent un conducteur....
Mais d’un humble bercail sort un jeune pasteur.

Tel qu’un frêle arbrisseau dans les plaines brûlées,
Tendre amour des brebis sous son ombre appellées,
Croît en dépit des vents, et n’a pour seul appui
Que le ciel qui l’arrose et rayonne sur lui ;
Tel, sans faste, et voilé d’obscurité profonde,
Le doux Emmanuel, roi méconnu du monde,
Des maux de l’affligé vient annoncer la fin,
Un époux à la veuve, un père à l’orphelin :
Son armée est partout ; légions innombrables,
Levez-vous : son royaume est tout aux misérables.
L’aumône est son trésor, sa loi la charité ;
Son pain mystérieux nourrit la pauvreté.
Il veut que la vertu ne soit récompensée
Que des regards du Dieu qui lit dans la pensée ;
Des faux biens de la terre il prescrit l’abandon ;
Au mépris, à l’outrage oppose le pardon :
L’acier est moins tranchant que ses simples paroles :
Quelle splendeur, quel feu brille en ses paraboles,
Lumineux vêtements de hautes vérités,
Voiles ingénieux de trop vives clartés !
Une beauté coupable est émue à leurs charmes,
Et sa dette remise est le prix de ses larmes.
Au pied du tribunal de ce juge des cœurs
On traîne une adultère, elle répand des pleurs ;
Et, prononçant sa grace à ses pleurs accordée :
Par le plus innocent qu’elle soit lapidée,
Dit-il au faux docteur endurci par la loi.
Partout il aplanit les sentiers de la foi.
Le jeûne consuma son précurseur farouche ;
Lui, comme le soleil, il se lève et se couche
Aux yeux du peuple entier témoin de ses destins,
Et de ses douze élus préside les festins.
La barque du pêcheur de rivage en rivage
Porte ses guérisons jusqu’au dernier village.
O clameurs ! ô concours d’ennemis furieux !
Le riche et l’indigent sont égaux à ses yeux :
Il leur dit : aimez-vous ; cessez d’injustes guerres ;
Enfants du même auteur, hommes, vous êtes frères;
Il se nomme le fils du père des humains :
Prêtres, puissants du monde, arbitres souverains,
Punissez, étouffez ces leçons dangereuses ;
Couronnez ce rival d’épines douloureuses :
Ses pieds de vos grandeurs foulent la vanité ;
Il a contre l’orgueil armé l’humilité ;
Observez son maintien qui brave la puissance
D’Hérode consterné d’un éloquent silence.
Le lys, né dans les champs, lui semble en un beau jour
Plus richement vêtu que les rois en leur cour ;
Chaste, sobre, il apprend l’indulgence aux lévites,
Arrache aux imposteurs leurs masques hypocrites,
Fait voir le sein infect des sépulcres blanchis
Que recouvre l’éclat des titres enrichis…
O vengeance ! dressez l’instrument du supplice :
Le plus juste dut boire au plus amer calice.
Bientôt, faibles de cœur, les plus zélés l’ont fui,
Et martyr, il n’a plus d’autre apôtre que lui.
Son disciple envieux tient sa rançon perfide,
Et le vient attrister d’un baiser homicide....
Que d’exemples sa mort rassemble à nos regards !
Là, soupire son esclave des Césars ;
Il prend de leur faveur un sein pusillanime ;
Il balance à sauver sa pourpre ou sa victime ;
Là, hurle un peuple affreux, qui d’un même transport
Suit de ses bienfaiteurs le triomphe et la mort,
Qui repaît ses regards affamés de tortures ;
Là, l’innocent frappé, muet à mille injures.
Et d’un dernier ami rejeté par trois fois,
Offre ses mains aux clous et son corps à la croix.

 

Soudain tremblent la terre et la céleste voute :
L’homme déjà n’est plus ; c’est un Dieu qu’on redoute.
Temple, profonde nuit, sillonne-toi d’éclairs ;
Déchirez-vous, linceuls ; ouvrez-vous, noirs enfers ;
Morts, brisez vos tombeaux, réveillez-vous, Lazares ;
Epouvantez la ville et ses princes barbares :
Allez, dites partout Jésus ressuscité,
Et l’ange assis au bord du cercueil déserté.

Que désormais l’aspic, les reptiles immondes,
S’agitant et sifflant sous la fange et les ondes,
S’efforcent de couvrir les foudroyantes voix
De tant de grands esprits envoyés à la fois,
Qui, nuée éclatante, au ciel et sur la terre,
Font retentir du Christ le nom et le tonnerre !

Mais, ô Jérusalem ! les glaives et les feux
Percent de tes martyrs les membres généreux :
En des flots embrasés les tyrans t’ont jetée.
Voilà, les pieds nus, la robe ensanglantée,
Pareille au vendangeur qui, foulant les raisins,
Teignit ses vêtements dans la pourpre des vins.

Pleure, Jérusalem ! fuis aux lieux solitaires :
Tes saints ont aux lions emprunté leurs repaires ;
Des vieux débris de Thèbe austères habitants,
Ils méditent la mort, dont leur parlent les temps :

Chante, Jérusalem sors enfin de la poudre ;
Ta prière a vaincu ceux qui lançaient la foudre
Tes navires sont prêts : les îles et les mers
Te disent que partout les ports te sont ouverts.
Vois tes enfants nombreux sortir de leurs refuges ;
Tes bourreaux périront; tu jugeras tes juges ;
Du miel des nations tu te vas enivrer ;
Les peuples à genoux te viendront adorer ;
Les monarques seront tes humbles capitaines,
Et leurs empires saints tes fertiles domaines.
Sion ! diront entre eux les vulgaires mortels,
Tes fils nourris partout du pain de leurs autels,
Mieux que les fiers enfants de l’Italie antique,
Ont sur l’égalité bâti leur république :
Leur pontife est élu par un sénat sacré ;
Là, le dernier de tous monte au premier degré,
Et, prince sans aïeux, sa majesté suprême
Fait craindre à tous les rois son triple diadème :
Laissant la servitude à l’aveugle univers,
Et les travaux du siècle à qui porte leurs fers,
Héritiers des mourants, paisibles dans la guerre,
Ces citoyens du ciel ont envahi la terre ;
Tels que d’oiseaux chantants tout un peuple joyeux
Sans soins, remplissant l’air d’hymnes harmonieux,
Vient recueillir les grains et les fruits qu’il consomme,
Dans les champs fécondés par les sueurs de l’homme.
Et, content du butin, plane et vit dans le ciel. »

 

Moïse, en écoutant la voix de Gabriel,
Vit naître de Sion la rivale cruelle,
Du chêne d’Abraham tige illustre et nouvelle.

Voici que dans Médine un proscrit menaçant
Rentre, le front paré d’un lumineux croissant ;
Il a brigué le titre, au péril de sa tête,
D’assassin imposteur, ou de héros prophète :
Et de quelques chameaux ce hardi conducteur
Se proclame de Dieu l’ange triomphateur.
Quel démon le seconde en sa force invincible ?
Un génie élevé, qui d’un œil infaillible
Voit de ses sens grossiers l’homme esclave en tous lieux,
Et qui parle et commande en inspiré des cieux.
Il s’arme ; à ses côtés marche avec frénésie
La volupté brûlante et fille de l’Asie,
L’ignorance éteignant les arts et leur flambeau,
Et la fatalité qu’aveugle son bandeau,
Trois sœurs, qui pour jamais ses compagnes guerrières
Entraînent sur ses pas les nations entières.

Défends, défends, Sion, ta croix qu’il vient briser
Tout va-t-il se soumettre ou tout se diviser ?...
Il est temps, Mahomet, qu’a tes ardents sectaires,
Prêts à semer partout leurs erreurs sanguinaires,
Martel ferme l’Europe ouverte aux Sarrasins,
Martel, aïeul d’un roi qui fonda nos destins !

 

Alors, ô ma patrie ! en ce tableau des âges,
S’offrirent à Moïse et tes lois et tes sages.
Alors de ton esprit éclata la hauteur,
O Charlemagne ! auguste et saint législateur :
Sur la première nuit des siècles de la France,
Ton astre se leva, plein de magnificence ;
Heureux si de tes fils la lâche autorité
N’eût confondu les poids de la libre équité !
Vainement Samuël chez la nouvelle race
A de plus d’un Saül épouvanté l’audace,
Les fondements des lois sont restés enfouis
Jusqu’au jour où brilla le plus saint des Louis,
Jusqu’au jour où, vainqueur des discordes civiles
Que l’ardeur catholique enflammait dans nos villes,
Vient régner ce Henri, disciple de Calvin,
Qui, puni des vertus où son cœur fut enclin,
Laisse à la liberté pleurer sa monarchie.

 

Dieu du ciel ! qu’en nos jours ta rigueur soit fléchie ;
Fais succéder l’aspect de nos prospérités
Aux fastes criminels que l’ange a présentés.

J’ai vu le Fanatisme armé du cimeterre :
Les deux fronts de ce monstre épouvantent la terre ;
La discorde grava d’un trait ensanglanté
Sur l’un religion, sur l’autre liberté.
Ah ! que du monstre aveugle à jamais affranchie
La France indépendante écrase l’anarchie !
De l’abjecte licence elle a fui le chaos,
Du despotisme armé repoussé les fléaux ;
Là, mesuré l’abyme où l’altière victoire
Pousse une race aux fers, ivre de folle gloire ;
Et là, le gouffre immonde où tombent écrasés
Les hommes s’agitant sous leurs niveaux brisés.

Filles de la nature, immortelle pensée,
Sous le chaume et le dais ta lumière est lancée.
La simple piété dit aux cultes jaloux :
« Vos autels sont divers et Dieu pareil pour tous. »
Entre les dogmes saints la tolérance habite.
De cinq âges savants l’âge présent hérite ;
Il voit, il pense, il juge ; et veut qu’enfin les rois,
Chefs de sujets égaux, soient les sujets des lois.
De la foi primitive accomplissant l’ouvrage,
D’un hémisphère à l’autre il détruit l’esclavage.
Trois pouvoirs sont des lois l’organe créateur ;
Et l’état de lui-même est le législateur.
Des leçons du passé l’avenir se féconde :
Un monde rajeuni sort des flancs du vieux monde.
J’entends des nations l’irrésistible vœu :
La liberté de l’homme est un décret de Dieu.