Harangue faite au Roy d'Espagne

Le 23 novembre 1700

Jean de LA CHAPELLE

HARANGUE FAITE AU ROY D’ESPAGNE,

PAR M. DE LA CHAPPELLE, Receveur General des Finances de la Rochelle, alors directeur de l’Académie.

 

SIRE,

S’IL pouvoit eſtre permis à quelqu’un de garder le ſilence, quand la terre entiere parle & retentit des acclamations de tous ſes Peuples ; ce ſeroit à l’Académie Françoiſe qui a l’honneur de paroiſtre devant VOTRE MAJESTÉ.

Nourrie dans le ſein des Lettres & de l’Eloquence, occupée à cultiver l’art de bien parler, & accouſtumée à relever par ſes paroles, ou du moins à orner tout ce qu’elle traite ; Elle devroit ſe taire lorſque ſes paroles ne ſçauroient approcher de la grandeur des ſujets, ny ſes expreſſions reſpondre à ſes ſentiments.

C’en le propre des Evenements miraculeux qui excitent, qui remuent les plus vives paſſions, & qui jettent dans tous les eſprits une joye, une admiration confuſe & tumultueuſe, de rendre l’Eloquence muette.

En effet, SIRE, quelles peintures aſſez eſclattantes peuvent eſtre preſentées à V. M. dans nos Diſcours les plus fleuris, que la verité nuë & le ſimple rapport de nos yeux n’obſcurciſſent & n’effacent ?

À peine V. M. eſt entrée dans les premieres années de la jeuneſſe, desja le bruit de ſes vertus a penetré juſques aux extrémitez du monde ; desja cette exacte droiture, cet amour pour la juſtice, cette humanité héroïque, cette eſgalité d’ame, cette prudence avancée, cette ſincerité, cette fidelité inviolables, qui vous gagnent icy tous les cœurs, font adorer voſtre nom dans les Pays les plus reculez.

Cent Peuples, cent Nations differentes qui compoſent un ſeul & immenſe Empire, que dis-je ? un Monde entier viennent aux pieds du Throſne de noſtre Auguſte Monarque ; ils y viennent, non comme autrefois la fameuſe Reyne que vit la Judée, admirer ſeulement la ſageſſe & l’eſprit, mais demander & recevoir de Luy, en vous obtenant pour Roy, un rayon de ſa ſageſſe pour les gouverner.

Au milieu d’un ſpectacle ſi nouveau & merveilleux, ce Roy, ſpectacle luy-meſme le plus grand, le plus magnifique que Dieu donne à l’Univers, s’eſleve au-deſſus de ſa propre grandeur ; il meſpriſe, il oublie ſes intereſt, il vous accorde à ces Peuples empreſſez, il vous proclame, il met ſur voſtre front plus de Couronnes que vous n’avez d’années, il vous inſtruit, il vous donne ſes leçons & ſes preceptes, il verſe dans voſtre ſein, ſi j’oſe ainſi parler, l’ame & l’eſprit qui ont rendu cette Monarchie ſi floriſſante & ſi heureuſe.

Que d’oracles de ſageſſe ! oracles vrayement dignes d’eſtre eſcoutez & ſuivis de tous les Roys.

Le reſpect & l’admiration, tandis qu’il parle, ſuſpendent tous les eſprits, tous les cœurs ſont penetrez, tous les yeux fondent en larmes.

Que nos Diſcours, que nos applaudiſſements, quelqu’animez qu’ils ſoient de tout le zele de nos cœurs, paroiſtroient froids & languiſſants dans des conjonctures ſi hautes & ſi touchantes !

Recevez donc, SIRE, pour tout teſmoignage de nos profonds reſpects, nos vœux ſeuls, nos vœux ardents & ſinceres.

Regnez, SIRE, regnez dans les quatre parties de la Terre : puiſſiez-vous y faire regner avec vous toutes les vertus qui ſont la felicité des Rois & des Peuples.

Puiſſiez-vous y faire regner auſſi les Muſes & les Lettres à qui les Rois & les Vertus meſmes doivent leur immortalité parmy les hommes.

Puiſſiez-vous rendre pour l’Eſpagne le Siecle que vous y allez commencer, auſſi digne de memoire que le Heros à qui nous obéiſſons, a rendu celuy-cy glorieux & fortuné pour la France.

Puiſſent ces deux Peuples celebres, craints & admirez de tous les autres Peuples, ne combattre plus, ne diſputer plus entre eux que d’amour & d’affection, que de zele & de fidelité pour leurs Maiſtres.

Ce ſont SIRE, les vœux que fera eternellement cette Compagnie, plus digne peut-eſtre de voſtre ſouvenir qu’aucune autre Compagnie, par l’honneur qu’Elle a d’avoir voſtre invincible Ayeul pour Protecteur.