Les tombeaux de saint-Denis, ou le retour de l’exilé, ode

Le 24 avril 1817

Louis-Marcelin de FONTANES

LES TOMBEAUX DE SAINT-DENIS
OU LE RETOUR DE L’EXILÉ[1],

ODE LUE À LA SÉANCE PUBLIQUE DU 24 AVRIL 1817,

PAR M. LE COMTE DE FONTANES.

 

 

Prêtre saint, vieillard vénérable,
Daigne guider mes pas errants !
Tout dort ; et la nuit favorable
Nous cache à l’œil de nos tyrans ;
Montre-moi la sombre demeure
Où du roi qu’en secret je pleure,
Les aïeux sont ensevelis ;
Sans témoins, souffre que j’honore 
Ces tombeaux où rayonne encore
La gloire antique de nos lis.

 

Ainsi regagnant la contrée
D’où l’ont banni d’injustes lois,
Un proscrit implorait l’entrée
Des sépultures de nos rois.
« Vers le seuil funèbre il s’avance.
« Devant lui le prêtre, en silence,
Marche, les yeux mouillés de pleurs,
Et, montrant la nef désolée,
Sur les débris d’un mausolée
Laisse enfin parler ses douleurs.

 

« Qui me rendra l’auguste cendre
« Que renfermaient ces noirs parvis
« Où les Hugues venaient descendre
« Près des Martels et des Clovis ?
« J’embrassais leurs froides reliques ;
« Et, loin des discordes publiques,
« Je priais, caché dans ces lieux,
« Quand soudain, jusqu’au sanctuaire,
« Perce la voix tumultuaire
« D’un peuple armé contre les cieux.

 

« Il vient : sa criminelle audace
« Insulte les lis et la croix,
« Et les brise à la même place
« Où mourut l’apôtre gaulois.

« La piété, la foi plaintives
« Vont-elles fuir loin de ces rives
« Qu’honora leur premier autel ?
« Dieux de Rabba, dieux de Gomorrhe,
« Osez-vous reparaître encore
Auprès de l’arche d’Israël ?

 

« De vin et de meurtres rougies,
« Je vois des hordes d’assassins,
« Par d’abominables orgies,
«  Profaner l’honneur des lieux saints.
« Là, sur les pierres sépulcrales,
« Tous les forfaits, tous les scandales,
« Marchent sans honte et sans remords,
« Et le Blasphème, aux traits farouches,
« Hurle à la fois par mille bouches
« Dans la demeure de la Mort.

 

« Je frémis ! Mon âme succombe !
« Où suis-je ? Des bras forcenés
« Veulent du secret de la tombe
« Arracher les morts couronnés.
« Déjà la Bassesse envieuse,
« L’Impiété séditieuse,
« Et la Rapine sans pudeur,
« Brisent les voûtes souterraines,
« Où de trois races souveraines
« Le temps confondit la grandeur.

 

« Sur ces caveaux dont les ténèbres
« Cachent des destins si brillants,
« De la Mort les anges funèbres
« Veillaient en vain depuis mille ans :
« Le cercueil n’a plus de mystères,
« L’abri des mânes solitaires
« De toutes parts est assiégé :
« Spectacle affreux ! les tombes s’ouvrent,
« Et les os des rois se découvrent
« Aux regards du ciel outragé[2].

 

« Du sein des tombes renversées,
« Qu’on roule sans ordre et sans choix,
« Tout à coup sortent courroucées
« Les ombres de soixante rois.

« Le fier Pépin à la lumière
« Reparaît, chargé de poussière,
« Avec le premier des Capets ;
« Et, craignant la guerre civile,
« Les Valois de leur sombre asile
« À regret ont quitté la paix.

 

« Respecte au moins, peuple infidèle,
« Tes plus intrépides soutiens ;
« Ce Louis qui fut le modèle
« Et des héros et des chrétiens ;
« Ses lois sont celles d’un grand homme ;
« Pieux, il sut contenir Rome ;
« L’Anglais par lui fut abattu ;
« Memphis l’admira dans les chaînes ;
« Et les ombrages de Vincennes
« Parlent encor de sa vertu.

 

« Hélas ! des sables de Carthage
« Vainement ses restes sauvés,
« Dans un touchant pèlerinage,
« Jusqu’à ce lieu sont arrivés[3].
« Tout périt : les mêmes ruines
« Couvrent ce héros de Bovines,
« Qui des Germains était l’effroi ;
« Ta dépouille est aussi proscrite,
« Aimable et douce Marguerite,
« O sainte épouse du saint roi !

 

« Abandonnant des pompes vaines,
« Mais gardant l’anneau nuptial,
« Avec les rois, les chastes reines
« Reposaient sur le lit fatal.
« Auprès de leurs cendres aimées,
« Des quenouilles d’or enfermées
« Rappelaient les mœurs des vieux jours ;
« mœurs naïves ! jours prospères !
« Qu’ont vus les pères de nos pères,
« Et qui nous ont fuis pour toujours !

 

« Suger et Duguesclin lui-même
« N’arrêtent point ces attentats ;
« Tous sont compris dans l’anathème ;
« Grands hommes, reines, potentats :
« Et Jean, fameux par sa disgrâce,
« Et son fils, et toute la race
« Du destructeur des Templiers,
« Et Médicis, Blanche, Isabelle,
« Et François, aux Muses fidèle,
« Qui fut l’honneur des chevaliers.

 

« Le long de ces tombes royales.
« Dix siècles placés à leurs rangs,
« Sans bruit racontaient les annales
« De tant de règnes différents.
« Là venait l’histoire attentive
« Consulter la pierre instructive,
« Ou les vitraux mystérieux ;
« Mais la France, en quelques journées,
« À de ses longues destinées
« Perdu les témoins glorieux.

 

« Des cercueils l’illustre dépouille,
« Le sceptre, le bandeau sacré,
« Le sceau des lois empreint de rouille,
« À ces brigands tout est livré ;
« L’épée aux innocents propice,
« La main, symbole de justice,
« Ne sont plus l’effroi des pervers ;
« On livre à de lâches risées
Ces couronnes demi-brisées,
Devant qui tremblait l’univers.

 

« Ils ont vu sous ce noir portique,
« A travers de poudreux lambeaux,
« L’or briller sur un sceptre antique
« Où rampe le ver des tombeaux ;
« Déjà court leur avide joie,
« Déjà sur l’opulente proie
« Leur main se jette avec fureur ;
« Mais le sceptre, usé de vieillesse,
« Tombe en poussière, et ne leur laisse
« Qu’un peu de cendre, et la terreur.

 

« Cependant leur rage trompée
« N’en a que plus d’acharnement ;
« Par leurs cris la voûte frappée
« Pousse un affreux mugissement.

« Dieu ! quels outrages ils vomissent !
« Des Bourbons les mânes gémissent
« En hutte à de nouveaux forfaits :
« O toi, l’amour de ma patrie,
« Cher Henri ! ce peuple en furie
« N’a pas fait grâce à tes bienfaits.

« Souvent cette enceinte sacrée
« Entendit les Français en pleurs,
« Appeler ton ombre adorée,
« Et l’invoquer dans leurs malheurs ;
« Oh ! qu’ils sont différents d’eux-mêmes !
« Ils chargent ton nom de blasphèmes,
« Ils jurent de haïr ton sang ;
« Et le noir démon qui les guide
« Rend hommage au fer régicide
Dont Ravaillac perça ton flanc.

 

« Quelles sont ces deux pâles ombres
« Qui viennent, les cheveux épars,
« Pleurer, sur ces vastes décombres,
« Et les Bourbons et les Stuarts
« C’est Henriette, c’est sa mère ;
« Elles ont connu la chimère
« Des rangs, des noms, de la beauté ;
« Et le bruit d’un trône qui tombe
« Redit encor, près de leur tombe,
« Qu’ici-bas tout est vanité...

 

« Si j’avais la voix énergique
« Qui, retraçant leur sort fatal,
« Déplora d’un ton si tragique
« Les infortunes de Witthall[4],
« Je peindrais des jours plus coupables,
« Par des revers plus mémorables
« J’oserais confondre l’orgueil ;
« Ciel ! que tes foudres retentissent !
« Frappe, ô ciel ! Des monstres ravissent
« Le grand Louis à son cercueil.

 

« La mort n’a point fait disparaître
« Son noble front, son air altier ;
« Un moment il sembla renaître
« Avec son siècle tout entier :
« Autour de l’ombre souveraine
« Se rassemblaient Condé, Turenne,
« Bossuet, Corneille, et Louvois ;
« Et, devant l’illustre cortége,
« La multitude sacrilége
« Pâlit, et s’arrêta trois fois.

 

« Enfin j’ai vu combler l’injure,
« Et de ces monarques chéris,
« Non loin, dans une fosse obscure
« On jette les nobles débris.
« Tant de rois que la terre honore,
« Dont le nom la remplit encore,
« Sous l’herbe ici sont oubliés.
« O néant de la gloire humaine !
« Leurs grandeurs occupent à peine
« L’espace que foulent mes pieds. »

 

« À ces mots, le vieillard s’arrête,
« Et se tournant vers l’étranger :
« Fuis, dit-il, je crains pour ta tête ;
« Le jour ramène le danger.
« Vois-tu déjà l’aurore naître ?
« Les délateurs vont reparaître ;
« Viens, je sais un obscur réduit. »
Il dit : et loin des tombes saintes,
Tous deux vont renfermer leurs plaintes,
Jusques au règne de la nuit.

 

 

[1] Cette ode est faite depuis longtemps ; on n’y a rien changé pour lui conserver son premier caractère : elle a précédé quelques ouvrages publiés sur le ‘lame sujet, et qui ont obtenu un juste succès.

L’auteur suppose qu’un banni, rentré en France avant le rétablissement du culte, veut revoir l’abbaye et les tombeaux de Saint-Denis ; un des religieux qui appartenaient à cette antique abbaye, l’accompagne, et lui raconte la violation des sépultures royales.

[2] Ejicient ossa regum Juda et ossa principum ejus.... et expandent ea ad solem et lunam et omnem militiam coeli. (Jérémie, Chap. 8.)

[3] Les cendres de saint Louis, mort sur les côtes d’Afrique, furent transportées en France par son fils qui lui succéda, et qui est connu sous le nom de Philippe le Hardi. Tout le peuple, allait au-devant de ces reliques sacrées ; on les déposa d’abord â Paris dans l’église de Notre-Dame. Le lendemain, au lever de l’aurore, toute la cour, le clergé, les religieux et le peuple partirent en procession pour conduire ces précieux ossements à Saint-Denis, où tous les ancêtres de Louis avaient leur sépulture. Le roi, Philippe le Hardi, les voulut porter lui-même sur ses épaules. (Histoire de Velty, t. VI.)

[4] C’est dans une des cours du palais de Whitehall que Charles Ici fut décapité. Il n’est pas besoin d’avertir qu’on désigne ici Bossuet, et l’Oraison funèbre de la reine d’Angleterre, l’un des chefs-d’œuvre de ce grand orateur.