Réponse au discours de réception de Michel-Paul-Gui de Chabanon

Le 20 janvier 1780

Emmanuel-Félicité de DURFORT de DURAS

Réponse de M. le maréchal duc de Duras
au discours de M. de Chabanon

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le jeudi 20 janvier 1780

PARIS PALAIS DE L'INSTITUT

 

Monsieur,

L’éloge intéressant que vous venez de faire du vertueux Académicien à qui vous succédez, justifie à la fois, & les regrets que nous cause sa perte, & le choix de l’Académie, qui vous appelle à sa place.

Ce que votre triomphe a de flatteur est mêlé sans doute de quelque amertume ; il est triste de devoir à la perte d’un homme que l’on a chéri, un bien que l’on désiroit de partager avec lui ; mais c’est une consolation que de pouvoir rendre un hommage public à la mémoire de son ami, & il est bien doux de n’avoir besoin pour le louer que d’emprunter le langage de la vérité.

M. de Foncemagne étoit du petit nombre de ces hommes que l’on ne peut guère flatter, parce qu’il n’y avoit rien en lui qu’un ami eût besoin d’exagérer ou de dissimuler. Ses talents n’avoient point l’éclat qui excite l’envie ; & ses indulgentes vertus étoient exemptes de l’austérité qui accuse ou humilie la foiblesse ; il ne rechercha que des succès qu’on ne peut pas lui disputer, & il ne rechercha pas tous ceux qu’il pouvoit obtenir.

Également cher aux Gens du monde & aux Gens de Lettres, il réunissoit la politesse des manières & celle de l’ame, la facilité des mœurs & la dignité de caractère, le don rare de plaire en instruisant, & le don plus rare encore de contredire les opinions sans blesser l’amour-propre. Il a fait peu d’Ouvrages ; mais il a souvent guidé & éclairé ceux qui vouloient en faire.

S’il n’a pas enrichi les Lettres autant que ses profondes connoissances & son excellent esprit pouvoient le faire espérer, il les a toujours encouragées par ses conseils & fait respecter par son exemple. Il en a obtenu la récompense qu’il méritoit : les Lettres avoient fait le charme de sa vie ; elles seules adoucissoient les douleurs cruelles qui ont empoisonné les derniers jours de sa longue carrière.

Associé comme lui, Monsieur, à une Compagnie savante, au sein de laquelle nous avons toujours trouvé des Confrères distingués, vous avez su, comme lui, unir le goût de l’érudition ; vous nous avez fait connoître, par des traductions élégantes et en prose & en vers, des Poëtes Grecs, plus aisés peut-être à admirer qu’o bien entendre, & qu’on citoit plus souvent qu’on ne les lisoit ? Nous vous devons encore un Ouvrage ingénieux sur un Art que vous cultivez avec distinction, & dont il seroit important de fixer les principes, sur-tout dans ce moment, où l’attention du Public se porte avec plus d’intérêt sur les productions de cet Art aimable, qui paroît toucher à une révolution utile à nos plaisir.

Un goût sain, un esprit éclairé par de bons principes & par les grands modèles de l’Antiquité, un style élégant & correct, des mœurs douces, une conduite noble & sage ; tels sont, Monsieur, les titres qui vous ont mérité l’estime du Public & les suffrages de l’Académie : car elle ne doit pas séparer des talents, ces qualités morales qui donnent à l’Homme de Lettres une considération personnelle qui réfléchit sur les Lettres elles-mêmes.

Interprète des sentiments de l’Académie, je vous exhorte, Monsieur, à venir dans ses assemblées particulières, la dédommager de la perte d’un Confrère, qui par son assiduité les rendoit plus intéressantes, & dont la mémoire y sera toujours chère. Privé depuis long-temps, par des devoirs indispensables, du plaisir d’y assister moi-même, je me félicite de pouvoir m’y retrouver avec vous.