Fragment d’un poëme de la conversation

Le 1 mai 1805

Jacques DELILLE

FRAGMENT D’UN POËME DE LA CONVERSATION,

LU DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DU 11 FLORÉAL AN XIII (1er MAI 1805)

PAR M. DELILLE.

 

 

LE PARLEUR À PRÉTENTION.

 

Que mon bon ange aussi me garde
De cet homme à prétention
Qui commande à l’attention ;
Tient pour sacré chaque mot qu’il hasarde ;
En me parlant sans cesse me regarde ;
Et comme l’on voit un archer,
De son arc détendu quand la flèche s’envole,
Suivre de l’œil le trait qu’il vient de décocher,
Sitôt qu’il lâche une parole,
Veut lire dans vos yeux l’effet de son discours ;
Ne permet pas qu’on en trouble le cours ;
D’un regard exigeant me presse, m’interroge,
Quête un souris, sollicite un éloge,
S’il a cru rencontrer un trait ingénieux ;
M’avertit de la main, m’interpelle des yeux ;
De mes distractions sans pitié me réveille ;
Traite de cabaleur l’auditeur qui sommeille ;
Tremble qu’une pensée, une maxime, un mot,
N’aille mourir dans l’oreille d’un sot !
Au milieu de sa période
J’échappe, en m’esquivant, au parleur incommode,
Et le laisse chercher, dans les regards d’autrui,
La satisfaction que lui seul a de lui.