Réponse au discours de réception du marquis de Saint-Lambert

Le 23 juin 1770

Jean-Gilles du COËTLOSQUET

Réponse de M. Coëtlosquet

ancien évêque de Limoges,
Précepteur des Enfans de France,

au discours de M de Saint-Lambert

 

Monsieur,

Je devrois en ce moment ne m’occuper que de vous, & me borner à vous féliciter de la justice que vous rend l’Académie, en vous associant à ses travaux. Mais permettez-moi de suspendre un instant le tribut que je vous dois, pour prendre part à l’événement qui intéresse le plus toute la Nation, & en particulier les Gens de Lettres, à qui il offre un sujet si digne d’exercer leurs talens. Que n’ai-je les vôtres, Messieurs, dans une occasion qui les demanderoit !

Les deux Maisons les plus augustes de l’Europe, après l’avoir ébranlée si long-temps par leur rivalité, avoient formé entre elles une alliance d’autant plus heureuse qu’elle étoit moins espérée : elles viennent de la cimenter & d’y mettre le sceau par l’union la plus désirable & la mieux assortie à leur grandeur mutuelle. Si d’une part la bonne intelligence des Souverains alliés doit procurer aux Nations une paix & une tranquillité inaltérable ; de l’autre, les qualités personnelles des deux augustes Époux, égales à leurs hautes destinées en faisant leur propre bonheur, feront aussi le nôtre, & assureront celui de nos neveux.

Que ne doit-on pas attendre de Monseigneur le Dauphin, formé par les leçons & par les exemples d’un père dont la mémoire sera toujours en bénédiction ? Héritier de ses vertus, & en particulier de ses sentimens d’humanité, il l’a pris pour modèle, & le sera lui même de ses descendans, par le bonheur & l’avantage qu’il aura d’apprendre long-temps l’art de régner sous le plus tendre des pères, & le meilleur des maîtres.

La Renommée, qui avoit devancé Madame la Dauphine, nous annonçoit des graces, des talens, des vertus.

Ce que nous voyons est au-dessus de ce que l’on nous avoit rapporté. Madame la Dauphine n’a eu qu’à se montrer à la Nation pour en gagner le cœur ; elle a bientôt éprouvé ce que peut sur les François un air de bonté & d’intérêt, joint à des manières prévenantes, sans contrainte & sans affectation. De là l’empressement qu’on a de la voir, & les applaudissemens qu’on lui donne de toutes parts. Nous croyons apercevoir en elle cette auguste mère, l’honneur de son sexe, & l’Héroïne de son siècle par sa sagesse & par son courage. On lui trouve aussi des traits de ressemblance avec son auguste frère, qui possède éminemment le secret admirable d’allier la majesté avec la modestie & l’affabilité ; de manière qu’il est encore plus grand quand il veut oublier sa grandeur, que lorsqu’il est obligé de la montrer dans tout l’éclat de sa dignité.

Tout nous promet qu’une Princesse si chère à la Cour de Vienne, & qui fait déjà les délices de celle de France, sera la consolation du Roi, la joie de son Époux le lien de la Famille Royale, l’édification des Peuples, & l’ornement de la Religion à l’exemple des grandes Princesses que nous regrettons toujours, quoiqu’elles soient si bien remplacées. Quels avantages, quelle splendeur, quelle gloire ne présage pas un mariage contrarié sous des auspices si favorables ! Que l’Histoire se prépare à les raconter, l’Éloquence à les célébrer, la Poësie à les chanter.

La Poësie, Monsieur, me rappelle naturellement à vous. C’est à vos talens en ce genre que vous devez votre réputation littéraire. Il fut un temps où le tumulte des armes & le repos de l’étude paroissoient incompatibles. Nos anciens Chevaliers ne connoissoient ni les grâces de la parole, ni l’élégance du style ; la valeur étoit leur principal & souvent leur unique mérite. Je ne prétends rien retrancher de la gloire qu’ils se sont acquise par la grandeur d’âme & par la noblesse des sentimens : ils avaient même une certaine éloquence qui leur était propre ; plus de laconisme que d’atticisme, plus d’énergie que d’urbanité. Les temps sont changés ; nos Guerriers aujourd’hui joignent volontiers la gloire des Beaux-Arts à celle des armes. Cette illustre Compagnie nous en fournit de grands exemples. Vous en augmenterez le nombre Monsieur, & vous ne vous distinguerez pas moins dans le Lycée que dans le champ de Mars.

Nous en avons l’assurance dans les bontés dont vous honoroit un Roi, grand Capitaine & Homme de Lettres, qui a regné glorieusement, même après avoir quitté le Trône. Les places que vous avez occupées auprès de ce Prince, protecteur éclairé du mérite & des talens, font mieux votre éloge que tout ce que mon zèle pourrait m’inspirer.

Vous succédez, Monsieur, à un Confrère estimable par ses connoissances, & plus encore par son caractère. Né d’une famille que l’ancienneté & la piété rendoient également recommandable, M. l’Abbé Trublet y reçut une éducation que son goût pour les lettres & son assiduité à la lecture perfectionnement en peu de temps. Il se fit bientôt connaître par ses Essais de Littérature & de Morale, propres à orner l’esprit & à former le cœur, imprimés plusieurs fois & traduits en plusieurs Langues. Ouvrage réfléchi, & qui a mérité à M. l’Abbé Trublet la réputation d’Auteur sage & judicieux. Il en a composé un autre, que nous pouvons regarder comme de son cœur. Ce sont des Panégyriques de Saints. Il est naturel de se plaire & de réussir louer des hommes qu’on cherche à imiter. C’est aussi par les qualités du cœur que M. l’Abbé Trublet me paroît plus respectable parce qu’elles sont plus solides, & qu’il s’est encore plus attaché à les montrer dans sa conduite, qu’à les développer dans ses écrits. Il fut bon ami, bon Citoyen, bon Ecclésiastique ; en un mot, il fut honnête homme.

J’ai dit qu’il fut bon ami : vous avez été témoins, Messieurs, de sa liaison intime confiante avec cet homme célèbre 1, qui ayant vécu près d’un siècle, en a illustré deux. Avec quelle persévérance n’a-t-il pas employé ses talens & ses soins pour témoigner à son ami son attachement & sa reconnoissance ! C’est dans ce commerce des Lettres & de l’amitié, qui fait le charme de la vie du Sage, que M. l’Abbé Trublet a passé une grande partie de la sienne, sans autre passion que d’apprendre & d’obliger, & sans autre ambition, Messieurs, que d’avoir une place parmi vous.

Parvenu à un âge où il est temps de songer à la retraite, il n’en trouva pas de plus convenable que sa Patrie. Il y partagea tout son temps entre ses fonctions ecclésiastiques & ses études ordinaires, sans négliger les devoirs de la société. On ne sortoit de sa conversation que plus instruit ou plus édifié. Les infirmités de la vieillesse ne lui firent rien perdre de la vigueur de l’ame. Il sacrifia à la charité & à la Religion l’honnête aisance que lui donnoit un prieuré ; & se bornant au simple nécessaire, il se démit de ce bénéfice quelques années avant sa mort, en faveur d’un bon sujet, mais pauvre, qu’il jugeoit devoir un jour être utile à l’Église. Quel désintéressement, sur-tout dans un âge où l’attachement aux richesses croît avec les besoins, souvent sans besoins, quelquefois même dans l’opulence ! Un Citoyen si vertueux & si bienfaisant ne pouvoit manquer d’être honoré & regretté dans sa Patrie. La Ville de Saint Malo l’inscrira dans ses Fastes au nombre des hommes de mérite qu’elle a produits. Je suis persuadé, Monsieur, que vous nous dédommagerez de sa perte, sans néanmoins nous la faire oublier. C’est le privilège des gens de bien, qu’on en conserve volontiers le souvenir.

M. de Fontenelle.