Discours de réception de Louis de Boissy

Le 25 août 1754

Louis de BOISSY

M. Louis de Boissy, ayant été élu par l’Académie française à la place de M. Néricault Destouches, y est venu prendre séance le dimanche 25 août 1754, et a prononcé le discours qui suit :

 

Messieurs,

Ma foible voix dans ce moment peut à peine articuler & se faire entendre. Elle est étouffée par la crainte que m’inspire l’aspect d’une Assemblée respectable. La joie d’être assis parmi vous, achève de m’ôter la parole. Je me tais pour avoir trop à dire, & je trouve la Prose trop froide pour exprimer ma reconnoissance. Permettez-moi, Messieurs, de la faire éclater en Vers. C’est ma Langue familière. Le Sophocle de notre âge l’a parlée le premier dans une occasion pareille. Il est fait pour servir de modelle. Quelque danger qu’il y ait à le suivre, j’ose l’imiter en ce point. Le sentiment me tiendra lieu de génie. Mon cœur me le conseille : je cède à son impulsion. Elle est plus sûre que l’esprit, & mérite mieux votre approbation.

ODE.

Venez, divine Poësie,
Prêtez-moi vos traits les plus forts.
De vos tours la noble énergie
Peut seule rendre mes transports.
Mon ame étoit impatiente…
Mais je suis payé de l’attente
Par le bonheur dont je jouis.
Je frappe au Temple de Mémoire ;
Il s’ouvre, & le jour de ma gloire
Est la Fête du Grand Louis.

Je frémis, où va mon audace ?
Quel est le péril que je cours ?
Le grand Homme que je remplace
Est le Térence de nos jours.
J’ose marcher dans sa carrière.
Mais Destouche est près de Molière,
Autant que je suis loin de lui.
Ami riant de la sagesse,
Il sut divertir sans bassesse,
Et nous instruire sans ennui.

Le vice avec un bras d’Hercule,
Dans ses écrits est combattu.
Ils sont l’effroi du ridicule,
Et l’école de la vertu.
Cette morale, ces maximes,
Qui règnent par tout dans ses rimes
C’est dans son cœur qu’il les puisa.
Son art ne fut point un délire.
En philosophe on le vit rire,
En citoyen il amusa.

Il ne borna point son génie
Dans les limites de l’Auteur.
Il fut, pour servir sa Patrie,
Utile Négociateur.
Il fut, comme un plan dramatique,
Conduire un projet politique.
D’Adisson il suivit les pas ;
Et contre l’aveugle ignorance,
Prouva qu’un écrivain qui pense,
A l’esprit de tous les États.

Ici, quand la mort vous l’enlève,
Qui prend le soin de m’instaler ?
C’est de Thalie un autre élève,
Qui peut lui seul la contrôler.
Répare sa perte fatale,
Ce n’est que dans la Capitale
Que doit briller le vrai talent.
Gresset, ton devoir est de plaire ;
Le Méchant te demande un frère,
Et Paris empressé l’attend.

De cet auguste sanctuaire,
Le Fondateur fut Richelieu.
Seguier en devint la lumière :
LOUIS LE GRAND en fut le Dieu.
Son Fils en est l’appui durable.
Les Arts, sous son empire aimable,
Croissent & règnent tour à tour.
Il comble d’honneurs ce Parnasse.
Que vois-je ? un Héros de sa race
Vient d’y répandre un plus beau jour.

Ce choix ajoute un nouveau lustre
Aux premiers sujets d’Apollon.
Pour vous, Aréopage illustre,
Quel honneur d’avoir un Bourbon !
Il n’est plus rien qui vous détruise.
Désormais, de votre devise,
Tout garantit la vérité.
Un corps dont LOUIS est le maître,
Et dont Clermont fait gloire d’être,
Est sûr de l’immortalité.

Mais les Cieux exaucent la France,
L’airain tonne, & son bruit guerrier,
D’un Prince annonce la naissance,
Je la célèbre le premier.
Soutiens du Temple de Mémoire,
Ne m’enviez point cette gloire,
Le zèle seul m’a transporté ;
Que vos chants se hâtent d’éclore,
Brillez, d’un beau jour, foible aurore,
Je devance votre clarté.