Réponse au discours de réception de Charles-Marie de La Condamine

Le 12 janvier 1761

Georges-Louis LECLERC, comte de BUFFON

Réponse de M. de Buffon,
au discours de M. de La Condamine

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
Le lundi 12 janvier 1761

PARIS PALAIS DU LOUVRE

 

 

Du génie pour les sciences, du goût pour la littérature, du talent pour écrire, de l’ardeur pour entreprendre, du courage pour exécuter, de la constance pour achever, de l’amitié pour vos rivaux, du zèle pour vos amis, de l’enthousiasme pour l’humanité ; voilà ce que vous connoît un ancien ami, un confrère de trente ans, qui se félicite aujourd’hui de le devenir pour la seconde fois.

Avoir parcouru l’un et l’autre hémisphère, traversé les continens et les mers, surmonté les sommets sourcilleux de ces montagnes embrasées où des glaces éternelles bravent également et les feux souterrains et les ardeurs du midi ; s’être livré à la pente précipitée de ces cataractes écumantes, dont les eaux suspendues semblent moins rouler sur la terre que descendre des nues ; avoir pénétré dans ces vastes déserts, dans ces solitudes immenses où l’on trouve à peine quelques vestiges de l’homme, où la nature, accoutumée au plus profond silence, dut être étonnée de s’entendre interroger pour la première fois ; avoir plus fait, en un mot, par le seul motif de la gloire des lettres, que l’on ne fit jamais par la soif de l’or : Voilà ce que connoît de vous l’Europe, et ce que dira la postérité.

Mais n’anticipons, ni sur les espaces, ni sur les temps ; vous savez comme moi que le siècle où l’on vit est sourd, que la voix du compatriote est foible. Laissons donc à nos neveux le soin de répéter ce que dit de vous l’étranger, et bornez aujourd’hui votre gloire à celle d’être assis parmi nous.

La mort met cent ans de distance entre un jour et l’autre ; louons de concert le prélat auquel vous succédez ; sa mémoire est digne de nos éloges, sa personne digne de nos regrets. Avec de grands talens pour les négociations, il avoit la volonté de bien servir l’état ; volonté dominante dans M. de Vauréal, et qui dans tant d’autres n’est que subordonnée à l’intérêt personnel. Il joignoit à une grande connoissance du monde le dédain de l’intrigue ; au désir de la gloire, l’amour de la paix qu’il a maintenue dans son diocèse, même dans les temps les plus orageux. Nous lui connoissions cette éloquence naturelle, cette force de discours, cette heureuse confiance, qui souvent sont nécessaires pour ébranler, pour émouvoir, et en même temps cette facilité à revenir sur soi-même, cette espèce de bonne-foi si séante, qui persuade encore mieux, et qui seule achève de convaincre. Il laissoit paroître ses talens, et cachoit ses vertus ; son zèle charitable s’étendoit en secret à tous les indigènes ; riche par son patrimoine, et plus encore par les graces du Roi, dont nous ne pouvons trop admirer la bonté bienfaisante, M. de Vauréal sans cesse faisoit du bien, et le faisoit en grand ; il donnoit sans mesure, il donnoit en silence, il servoit ardemment, il servoit sans retour personnel ; et jamais ni les besoins du faste, si pressans à la Cour, ni la crainte si fondée de faire des ingrats, n’ont balancé dans cette ame généreuse le sentiment plus noble d’aider aux malheureux.