Discours de réception du maréchal de Belle-Isle

Le 30 juin 1749

Charles-Louis-Auguste FOUQUET de BELLE-ISLE

M. le Maréchal Duc de Belle-Isle, lorsqu'il fut reçu à la place de M. Amelot, en séance le jeudi 30 juin 1749, a prononcé le discours qui suit :

 

Messieurs,

L’honneur que je reçois aujourd’hui ne me fait point illusion sur les principales qualités qui doivent avoir ceux que vous admettez au nombre de vos confrères. Je sais que toutes les richesses du génie & de la Littérature, furent le partage des Hommes illustres qui, depuis l’origine de l’Académie, ont rempli les places que vous occupez. Vous soutenez, Messieurs, & vous égalez leur réputation. Je n’aspire point à votre gloire ; je suis trop flatté de la voir de plus près.

Jusqu’à présent une vie sans cesse agitée ne m’auroit point permis de profiter de la faveur que vous venez de m’accorder ; je la reçois au moment que je puis en jouir. Ces jours tranquilles que ramènent la paix, vous avez voulu me les rendre agréables, & vous me ménagez encore pour un âge plus avancé, tout ce qui peut en faire les délices. Que ne vous devrai-je point, Messieurs ? Tout mon empressement à mériter votre amitié, prouvera ma reconnaissance & mon désir de pouvoir remplacer un confrère que vous regrettez si justement.

Monsieur Amelot, né dans une famille qui lui présentoit de grands modelles, avoit montré dès sa plus tendre jeunesse une forte inclination pour les Lettres ; il les avoit cultivées avec soin ; & ce goût, la passion ordinaire des caractères doux & aimables, il l’avoit conservé au milieu des plus grandes & des plus importantes occupations dont nous l’avons vu chargé.

Aux qualités de l’esprit, M. Amelot joignoit celles du cœur, qualités dont vous faites tant de cas, & que souhaitoit sur-tout dans vos premiers confrères le Père, le Fondateur de cette Académie.

Dès l’instant que le Cardinal de Richelieu, qui sut rendre digne de l’immortalité tout ce qu’il entreprenoit, eut conçu le projet & résolu l’exécution de votre établissement, dès-lors on dut s’attendre à tous ces chef-d’œuvres sortis de l’Académie Françoise comme d’une source féconde & inépuisable.

Des succès si rapides, si éclatans & si bien soutenus, vous méritèrent & vous assurèrent pour toujours la protection de nos Rois. L’Académie pleuroit au second Protecteur dans la personne d’un Magistrat illustre qu’elle venoit de perdre. Louis XIV daigna prendre sa place. Ce Prince, dont le règne ne fut qu’un tissu de merveilles, & qui voulut, pour la grandeur de cette Couronne, en transmettre le modelle à ses descendans, sentit combien vous lui deveniez nécessaires ; c’étoit pour vous qu’il devoit instruire la postérité. Vous avez rempli ses espérances, Messieurs, & par un juste retour vos éloges ont rendu Louis XIV la gloire que vous en avez reçue ; vous avez payé, pour ainsi dire, ce Prince de ce que vous lui deviez.

Guidés par les mêmes principes, vous suivez aujourd’hui, Messieurs, d’un œil attentif votre auguste Protecteur dans la route où il marche, route jusqu’ici trop ignorée des Rois. Il étoit réservé à Louis XV d’apprendre à l’Univers, qu’un Roi peut combattre & vaincre sans ambition. Ne faisons point un crime à l’Europe de ses craintes inquiètes. Aucun siècle n’avoit vu le Maître d’un vaste Empire, n’avoir des Princes guerriers que l’activité & l’intrépidité ; ne se mettre en mouvement que pour l’intérêt de ses Alliés, & s’arrêter dès qu’il ne reste que l’intérêt personnel ; ne chercher la victoire que pour arriver à la paix ; ne signaler sa puissance par ses conquêtes, qu’afin de couper la racine des défiances & des jalousies, en rassurant les esprits par le plus grand exemple de modérations. La Politique, toujours timide, n’osoit se livrer à des espérances que l’Histoire de tous less Peuples ne lui permettoit pas de former. L’Europe ne voyoit que les conquêtes de Louis XV, elle ne voyoit point son cœur.

Heureuse la Nation dont les destinées sont entre les mains d’un Prince, le Bienfaiteur de toutes les Nations !

C’est à vous, Messieurs, à faire passer aux siècles à venir les grands événemens de son règne. Au plaisir de vous voir si dignement employer vos talens, j’ajouterai la satisfaction de pouvoir m’entretenir avec vous des sentimens qu’inspirent, lorsqu’on a l’honneur d’approcher la Personne du Roi, sa bonté, sa douceur, la sagacité & les graces de son esprit, les charmes de sa conversation, sa probité, son équité, toutes les qualités qui caractérisent supérieurement l’honnête homme, lesquelles jointes à celles qui relèvent la majesté du Trône, remuent si vivement le cœur, qu’elles n’y sont qu’un même sentiment de l’amour le plus tendre & du respect le plus profond.