Discours de réception de Étienne Lauréault de Foncemagne

Le 10 janvier 1737

Étienne LAURÉAULT de FONCEMAGNE

M. DE FONCEMAGNE, ayant été élu par Messieurs de l’Académie Françoise, à la place de feu M. L’EVESQUE DE LUÇON, il prit séance le Jeudi 10 Janvier 1737. & prononça le Discours qui fuit.

 

MESSIEURS,

Tout ce qui peut satisfaire l’ambition d’un homme de Lettres, & toucher un cœur sensible, se réunit dans la grâce que vous m’accordez. Qu’il est doux d’être couronné par les mains de l’Amitié !

 

Oui, MESSIEURS, c’est à ce sentiment, dont plusieurs d’entre vous m’honorent, que je fuis redevable de votre indulgence. Tandis qu’entraînez par un panchant qu’il est pardonnable de suivre, au hazard même de s’égarer, ils ne voyoient en moi que leur ami ; ceux de qui je n’avois ni mérité, ni dû attendre ce titre, ont bien voulu me juger, fur la prévention favorable que leur inspiroient des liaisons, si capables d’imposer à leur discernement.

 

Le Public accoutumé à voir, que vous ne manquez jamais de ressources, pour réparer vos pertes, s’est formé une longue habitude de penser que l’Académie n’en fait réellement aucune. S’il croie avoir acquis le droit d’exiger quelque proportion, entre la réputation que laissent après eux les Hommes célèbres qui vous sont enlevez, les espérances que donnent ceux qui les remplacent ; je ne puis qu’être allarmé de l’humiliante comparaison, à laquelle je m’expose dans ce moment.

 

Le nom de M. L’EVESQUE DE LUÇON, rappelle ici le souvenir du plus excellent Académicien, ou de l’homme le plus cher à la Société. Sans parler des qualitez d’un ordre supérieur, qu’il ne m’appartient pas de célébrer ; combien de talens, combien de vertus aimables, se rassembloient dans fa personne ! Beauté d’esprit ; littérature choisie & variée ; goût délicat, critique d’autant plus sûre, que la connoissance des règles éclairoit le sentiment & étude approfondie des finesses de notre Langue ; douceur de mœurs, qui, le rendant toujours égal à lui-même, lui affujettissoit dans les autres cette inégalité, qu’on appelle humeur ; politesse noble, aussi éloignée du vain cérémonial qui en usurpe le nom, que du rafinement d’orgueil qui en affecte les dehors ; charme de la conversation, dont l’art consiste plus à savoir plaire, qu’à vouloir briller : Que dirai-je, enfin ? Science du monde, naturelle, il est vrai, aux personnes d’une haute naissance, mais qu’il n’est pas donne à tous d’assaisonner des grâces, qui la rendent la plus aimable des sciences.

 

Que la perte d’un homme, né pour faire les délices des autres hommes, a dû causer de regrets à ce nombre choisi d’Amis plus intimes, qui goûtoient tous les jours les agrémens de son commerce ! Pendant qu’ils payoient à fa mémoire le juste tribut de leur douleur ; je n’étois que trop disposé à les plaindre... Je pleurois alors mes propres malheurs ; je pleurois un MORT ILLUSTRE, qui me procura le fort tranquille dont je jouis ; & qui avoit sçû m’attacher, par des liens plus forts que ceux de la reconnoissance Peut-être, dois-je encore aux bontez qu’il eut pour moi, l’honneur d’avoir attiré vos regards : j’ose du moins m’en flatter ; & la grâce que vous me faites, en acquiert un nouveau prix.

 

Je la ressens, MESSIEURS, dans toute son étendue : mais, sans me dissimuler à moi-même la difficulté de justifier votre choix. Je n’ai d’autre titre à faire valoir auprès de vous ? que l’avantage d’être associé à une Compagnie savante[1], qui s’est applaudie plus d’une fois, de vous avoir fourni des Sujets dignes de Vous. Quoique je n’eusse pas lieu de me compter parmi ceux qui vous étoient destinez, j’ai senti de bonne heure, combien il importe pour l’Erudition Littéraire, qu’une Académie, particulièrement dévoilée à la cultiver, continue d’entretenir avec Vous l’utile correspondance, qui a subsisté depuis son établissement.

 

L’Erudition & le genre d’études qu’elle exige, communiquent souvent à l’imagination la sécheresse qui leur est propre ; & insensiblement éteignent le feu, qui doit donner la vie aux productions de l’esprit. L’Académie des Belles Lettres est pour jamais à couvert de ce danger. Il lui suffiroit d’avoir eu vos Ancêtres pour auteurs de son origine : mais le souffle qu’Elie reçut d’eux avec la naissance, se ranime encore & se renouvelle, lorsqu’en adoptant quelques-uns de ses membres, vous serrez les nœuds qui l’unissoient à Vous. Lui seroit-il donc permis d’oublier, que les recherches les plus profondes & les découvertes les plus intéressantes, empruntent leur principal mérite, de Part qui les met en œuvre ; de cet art précieux, qui fait arranger avec choix, exposer avec clarté, orner avec sagesse en un mot de l’art d’écrire, dont vous seuls dictez les préceptes, en même-temps qu’Elle partage avec Vous la gloire d’en donner des modèles ? Pourroit-elle ignorer que la Langue dont elle se sert, pour traiter les différentes matières de son ressort, est devenue, par un effet nécessaire de vos judicieuses observations, capable de se plier à tous les usages, à tous les besoins ?

 

Que l’on ne reproche plus à la Langue Françoise sa prétendue disette. Depuis que, par d’exactes définitions, vous avez fixé le sens de tous les termes ; depuis que, par des distinctions délicates, vous avez démêlé les nuances de ceux qui avoient, en apparence, une même valeur ; la Langue exprime avec précision tout ce que l’efprit a conçu avec netteté : & de l’abondance que vous lui avez assurée, non en lui prêtant des richesses étrangères, mais en développant celles qui étoient cachées dans son sein, non en multipliant les mots, mais en nous enseignant la propriété de ceux que nous avions, est née cette merveilleuse justesse, qui fait le caractère particulier de la Langue Françoise.

 

Ce n’est pas dire assez. Telle est la liaison des idées avec les mots, que la justesse de la Langue semble avoir produit à son tour la justesse de l’esprit. Toutes les Nations savantes, celles même que la jalousie rendit quelquefois injustes à notre égard, sont forcées d’avouer que les Livres François font presque les seuls Livres écrits avec clarté, composés avec méthode : les seuls peut-être, où les idées, enchaînées l’une à l’autre dans un ordre lumineux, se présentent au Lecteur, sous la forme la plus propre à l’éclairer & à l’instruire.

 

Les progrès de notre Langue, la perfection de nos Ecrits, sont votre ouvrage, MESSIEURS : & c’est ainsi que vous avez rempli les vues de votre Illustre Fondateur. Ce génie vaste & profond, qui embrassoit d’un coup d’œil la fuite & la fin des projets qu’il avoit conçus, RICHELIEU envisagea, dans le plan de votre établissement, tous les avantages qui en dévoient naître, Il prévit des succès, dont il n’a pas été le témoin : & les prévoir, c’étoit en jouir. Mais pouvoit-il penser qu’un jour, frappez de l’éclat de ces mêmes succès, nos souverains ne dédaigneraient pas de prendre dans vos Fastes, un rang qu’il avoit occupé le premier ? Après la mort d’Armand, SEGUIER vous offrit un azyle dans le Temple de la Justice, dont il étoit le Chef ; comme s’il eût voulu, en vous y introduisant, vous approcher du Thrône, au pied duquel vous appelloient vos Destinées.

 

Dispensez-moi de rien ajouter aux Eloges, qu’une juste admiration & une ingénieuse reconoissance vous ont inspirez, depuis près d’un siécle, à l’honneur d’un Prince, dont le régne est la plus brillante Epoque de notre Histoire, &, de la Vôtre. Ou du moins, si je rappelle aujourd’hui les Titres de Pieux, de Juste, de Victorieux, de Pacificateur, de Protecteur des Muses, tant de fois employés pour designer LOUIS XIV. que ces mêmes traits servent à former le Portrait de LOUIS XV. & que dans L’Auguste Petit-Fils, on reconnois se son Immortel Bisayeul.

 

Grand Roi, cette ressemblance tourne encore à votre gloire. Les vertus que l’on admire dans l’Héritier de votre Sceptre, sont le fruit des exemples que vous lui avez laissez, & fur-tout des admirables Instructions que vous lui donnâtes, au moment fatal, où vous parûtes vous reprocher à vous-même cette portion de votre héroïsme, qui avoit trop coûté à vos Sujets.

 

Nous ne fçaurions en douter, MESSIEURS : les dernieres paroles de LOUIS XIV. mourant, font les maximes fondamentales de l’heureux gouvernement, sous lequel nous vivons. Un Ministre sage, aussi modéré dans l’exercice de son pouvoir, que désintéressé dans l’usage qu’il en fait, un Ministre ami de la Vertu & des Lettres, également cher à son Maître qui a mis en lui toute fa confiance, aux Peuples qui bénissent son nom,&aux Puissances étrangères dont il a mérité d’être l’Arbitre, procure la Paix à l’Europe, dans un temps où la France feule paroissoit n’avoir aucun intérêt de la désirer.

 

Déja nous goûtons les douceurs de cette Paix glorieuses avant qu’elle nous soit annoncée. J’aprendrai de Vous, MESSIEURS, à la célébrer : le bonheur public fera l’objet des premières Leçons d’Eloquence que je vais recevoir. Pouvois-je être admis parmi-Vous, fous des auspices plus favorables ?

 

[1] L’Académie des Belles Lettres.