Discours de réception de Prosper Jolyot de Crébillon

Le 27 septembre 1731

Prosper JOLYOT de CRÉBILLON

Remerciement prononcé le 27 Septembre 1731. par M. de Crebillon, lorfqu’il fut reçu à la place de M. de la Faye.

 

MUSE, voici le jour fi long-temps attendu,
Jour dont aucun efpoir ne m’annonçoit l’Aurore ;
Jour heureux, qui pour nous ne luiroit point encore,
Si de nos feuls fuccès fa courfe eût dépendu.
Mufe, vous le voyez ; une troupe immortelle
Daigne vous partager fes honneurs, fes emplois :
Parlez, & s’il fe peut, juftifiez fon choix :
Mais ne prononcez rien qui ne foit digne d’elle.

 

Apollon, c’eft ici que tu dois m’avouer.
Puifque ta voix m’appelle au Temple de Mémoire ;
Je ne demande rien qui ne foit à ta gloire,
Ce font tes Favoris que je voudrois louer.
Aucun fiel n’a jamais empoifonné ma plume.
Ferois-je pour chanter des efforts fuperflus ?
Dieu des vers, aux rayons dont brillent tes Elus,
Souffre pour un moment que mon feu fe rallume.
Je les vois tout couverts de ces rayons divins :
Dans leurs mains chaque jour tu dépofes ta Lyre ;
Ma Mufe, un jour de gloire eft un jour de délire,
Sers mon audace, & prends la Lyre dans leurs mains.

 

Téméraire, arrêtez, & refpectez Minerve ;
Elle a, comme Apollon, fes Autels en ces lieux :
La Raifon y préfide, & fon front férieux
Se rideroit aux traits d’une indifcrette verve.
Je la vois qui déja blâme nos vains efforts ;
Puifque du moindre excès fa dignité s’offenfe,
Mufe, ne célébrons que ma reconnoiffance :
La Raifon elle-même avoura nos tranfports.

 

Mais quel éclat nouveau tout-à-coup m’environne ?
Sommes-nous fur l’Olimpe ou dans le champ de Mars ?
Quel charme vient d’unir fous mêmes étendards
Les enfans des neuf Sœurs aux Enfans de Bellone ?
Pourpre, Mitres & Croix, Mars, Neptune & Thémis,
Tout fe confond ici, s’allie & s’humanife ;
Sans orgueil avec moi le Héros fraternife,
Et je ne crois plus voir qu’une troupe d’amis.

 

Ame de Richelieu, contemple ton ouvrage,
Qui doit ainfi que toi percer la nuit des temps :
Ces illuftres Mortels, fans ceffe renaiffans,
Comme pour t’affurer un éternel hommage.
Dans l’art de gouverner moins Miniftre que Roi,
L’Univers, en tremblant, adora ton genie ;
Tout plia devant toi dans le cours de ta vie :
Tu foumets l’avenir & régnes après toi.

 

Cependant il n’eft plus, ce mortel fi célébre,
Qui fit trembler Thétis & le fier Dieu de l’Ebre.
Quelle éclipfe pour vous ! Et quel aftre nouveau
Pouvoit ici du jour ramener le flambeau ?
Mais en Sujets la France auffi riche que Rome,
En même temps regrette & produit un grand homme.
Armand vous laissoit-il l’efpoir d’un fucceffeur ?
Il apparut, cueillit ce fublime héritage ;
Et fur Armand Seguier eut même un avantage,
Du plus grand des mortels il fut le Précurfeur.

 

LOUIS, ô nom chéri ! Souverain adorable ;
Des caprices du Sort exemple mémorable,
A tes Mânes facrés nous n’offrons plus de fleurs
Que nos regrets profonds n’arrofent de nos pleurs.
Vous, qui l’avez fuivi de victoire en victoire,
A la fois compagnon & témoin de fa gloire,
Qui de tout votre fang fûtes la confacrer,
Guerrier, qui mieux que vous pourroit la célébrer ?
Quel Roi mérita mieux une augufte louange ?
De dons & de vertus quel précieux mélange !
C’étoit après les Dieux, l’ame de l’Univers.
Roi, grand par fes exploits plus grand par fes revers ;
La mort termine en vain fon illuftre carrière.
Ce demi-Dieu mortel reffemble à la lumière
Qui prend de nouveaux feux dans l’ombre de la nuit ;
Et femble encor s’accroître au moment qu’elle fuit.

 

France, confole-toi, LOUIS vient de renaître ;
Des Hommes tels que lui peuvent-ils ceffer d’être ?
Digne Trône d’un Roi fameux par fes travaux,
On diroit que le Ciel te doive des Héros ;
Que le Sang des Bourbons, Tige heureufe & féconde,
Doive dans chaque Enfant donner un Maître au Monde.
François, loin de gémir fous d’odieufes loix,
Vous retrouvez toujours vos Pères dans vos Rois.
Votre bonheur conftant ne dépend point des Parques.
A peine vous perdez le plus grand des Monarques,
Qu’un autre, jeune encor, fait briller des vertus,
Que Rome à quarante ans admiroit dans Titus.
Jufte, clément, pieux, fon auftère jeuneffe
Semble déjà dicter les loix de fa vieilleffe.

 

Un Miniftre attentif, prudent, religieux
Fuyant des vains lauriers l’état ambitieux,
Qui fait, du bien public fage dépofitaire,
Ufer, en citoyen, du pouvoir arbitraire ;
Aigle de Jupiter, mais ami de la Paix,
Il gouverne la foudre, & ne tonne jamais.
LOUIS, c’eft mériter l’Empire de la Terre,
Que favoir dignement confier fon tonnerre.

 

Tu crains, après ces Noms, de reparoître au jour,
LA FAYE ; & que crains-tu ? C’eft ici ton féjour,
Vient t’y montrer paré de ces graces naïves,
Qu’Apollon dans tes Vers femble tenir captives.
De ton génie heureux prête-moi la douceur.
Viens toi-même établir ton foible Succeffeur.
De combien d’agrémens ta raifon fut ornée ?
Sur quels objets encor parut-elle bornée ?
Le goût du vrai, du beau, cenfeur ingénieux,
Qui, fans s’humilier, montroit à faire mieux :
Le Sel Athénien, l’Urbanité Romaine ;
Tour à tour Lélius, Malherbe, ou la Fontaine ;
Aimable pareffeux plongé dans le loifir,
Quel n’eût il pas été ? Mais fa Mufe volage
Parmi tant de talens qui n’avoit qu’à choifir,
Aimoit trop de l’efprit le doux libertinage.
Quelle perte pour vous ! Quelle honte pour moi !
Apollon, je me tais ; j’efpérois mieux de toi.
Il faut plus de grandeur, quand l’audace eft extrême.
Sur ta foi j’ai fuivi mon orgueilleux projet :
Tu ne te plaindras pas du moins de mon fujet ;
Et tu me le fais croire au-deffus de toi-même.