Réponse au discours de réception de Prosper Jolyot de Crébillon

Le 27 septembre 1731

Jacques HARDION

Réponfe de M. HARDION, Directeur de l’Académie Françoife, au Remerciment de M. de Crebillon

 

MONSIEUR,

Une mort précipitée nous a enlevé un Confrère, que le caractère de fon efprit & la douceur de fes mœurs nous font également regretter. Né avec d’heureufes difpofitions pour la Poëfie, M. de la Faye en fit fon plus agréable amufement, & réuffit dans les différens genres où fon goût l’avoit porté. Soit que dans des fujets galans il se plût à exprimer, ou les fentimens d’un cœur tendre & délicat, ou les tranfports d’une joie aimable ; foit qu’avec la Lyre de Malherbe, il célébrât fur un ton plus férieux & plus élevé, les puiffans charmes de l’Harmonie, l’ame des beaux vers, & en foutînt les priviléges contre un illuftre ami[1], qui s’étoit fait un jeu de les attaquer, pour l’exciter à les établir plus folidement ; fous quelque forme qu’il ait voulu fe montrer, il a fait voir par tout une imagination féconde & brillante, un génie fimple, aifé, naïf, toujours ennemi de l’affectation, & de cette parure recherchée qui détruit les vraies beautés de la nature.

Mais auffi fimple dans fes mœurs que dans fes écrits, il fut regardé comme un modèle des vertus propres pour la Société ; & autant qu’on eftimoit dans fes Poëfies, l’agrément, l’élégance, la délicateffe, autant on aimoit dans fa perfonne la docilité, la modeftie, la politeffe, & fur-tout une gaieté douce & fpirituelle, dont il affaifoinnoit tous fes difcours.

Des talens fi precieux, des qualités fi défirables, lui avoient ouvert l’entrée de cette Compagnie ; mais nous avons été réduits à le pleurer, prefque au moment que nous commencions à jouir du plaifir de le pofféder. Vivement frappée d’un coup fi peu attendu, l’Académie a cherché fa confolation dans le choix d’un Succeffeur qui la dédommageât de la perte qu’elle a faite. Elle s’eft flattée de trouver en vous, MONSIEUR, toutes les qualités qui pouvoient remplir fes efpérances ; &, ce qui met le comble à fon bonheur, votre élection a eu autant d’Approbateurs qu’il y a de perfonnes éclairées fur le vrai mérite.

Cette juftice étoit due aux Ouvrages dont vous avez enrichi le Parnaffe François, à ces excellentes Tragédies qui font depuis fi long-temps l’objet de l’admiration publique, & qui feront, n’en doutons point, un fujet d’émulation dans les fiècles à venir. On peut, MONSIEUR, par le faux éclat de quelques fleurs paffagères, éblouir pour un inftant des Spectateurs avides de nouveautés. Ils cèdent d’abord à la douce illufion d’un trait lumineux, d’une penfée plus fpécieufe que folide, & ne démêlent pas toujours du premier coup d’œil le vice caché fous l’apparence de la beauté. Mais lorsque des Poëmes tels que les vôtres, MONSIEUR, redemandés avec empreffement, reparoiffent toujours plus beaux & plus dignes d’être applaudis ; lorfque livrés au grand jour de l’impreffion, plus dangereux encore que celui de la repréfentation, ils ont foutenu le rigoureux examen du Cenfeur recueilli dans le filence de fon cabinet ; lorsqu’ils ont réfifté aux efforts de l’envie toujours armée contre les Auteurs vivants : quelles preuves plus certaines peut-on défirer de leur perfection ? quels préfages plus affurés de leur durée ? Oui, MONSIEUR, la poftérité portera de vos Tragédies, le même jugement que nous en portons aujourd’hui ; & vous êtes parvenu à cette gloire fi rare, parce qu’en les compofant, vous avez eu en vue le jugement de la poftérité ; parce qu’à l’exemple des Sophocles, des Euripides, & de ceux qui parmi nous les ont ou égalé, ou furpaffé, vous vous êtes conftamment attaché aux règles immuables du vrai & du beau ; & que vous avez compris qu’en marchant dans la route qu’ils ont tenue, vous preniez l’infaillible moyen d’immortalifer votre nom et vos Ouvrages.

 

[1] M. de la Motte.