Discours de réception de Jacques Hardion

Le 28 septembre 1730

Jacques HARDION

DISCOURS

Prononcé le Jeudi 28. Septembre 1730

Par M. HARDION, Garde des Livres du Cabinet du Roi, lorfqu’il fut élû par Meffieurs de l’Académie Françoife à la place de feu M. l’Evêque d’Angers.

 

MESSIEURS,

Lorfque j’ai ofé vous demander la grace que vous m’accordez aujourd’hui, je n’ai pas eu la préfomption de croire que je puffe réparer la perte que vous avez faite. Vous ne l’avez pas efpéré vous-mêmes ; inftruits comme vous l’êtes, MESSIEURS, du mérite de M. l’Évêque d’Angers, vous avez connu toute la difficulté de le remplacer.

Que pourrois-je en effet vous dire fur fon génie pour l’Éloquence, qui ne fût infiniment au-deffous de l’idée que vous en avez ? La nature l’avoit elle-même formé au grand art de perfuader les hommes par la parole & une étude continuelle avoit porté au comble de la perfection, ce riche préfent de la Nature. Orateur fécond, fçavant, judicieux, il fçut tempérer l’auftérité des préceptes, par les charmes d’une élégante compofition ; il fçut par les tours les plus ingénieux, s’infinuer dans les cœurs, pour en triompher plus facilement & plus fûrement ; il fçut s’élever à la hauteur du ftile fublime, mais fans fafte, fans orgueil, & fans s’écarter de cette aimable & noble fimplicité qui doit être la bafe de la véritable éloquence.

Vous admirâtes principalement dans fes difcours, fi fouvent & fi juftement applaudis, ce fond de probité que vous exigez néceffairement de l’Orateur. Il l’avoit reçû en naiffant, comme un héritage paternel, & il en fit pendant le cours de fa vie, l’unique principe de fa conduite & de fes actions. De-là, cet attachement invariable aux devoirs de fon Miniftre ; de-là ces tendres inquiétudes fur les befoins du troupeau qui lui avoit été confié ; de-là, ce zele ardent pour les conduire dans les voies de la vérité : zele infatigable dans fon activité, parce que la charité l’animoit, mais toujours modéré dans fes effets, parce qu’il étoit réglé par la prudence.

Que vous offrirois-je, MESSIEURS, qui pût calmer vos juftes regrets ? Encore une fois, vous n’efpériez pas trouver des talens & des vertus qui paffent la portée ordinaire des hommes, & vous vous êtes bornez à chercher dans le fucceffeur que vous donneriez à M. l’Évêque d’Angers, un grand amour pour les Lettres ; la docilité néceffaire pour profiter de vos inftructions & de vos exemples ; une vive ardeur pour vous fuivre, au moins de loin, dans la carriere de la Gloire ; un cœur capable de reconnoiffance.

Voilà, MESSIEURS, ce que je puis me flatter de vous apporter, & c’eft ce qu’ont pû vous promettre de moi ces illuftres Confreres, à qui je dois l’heureufe prévention qui m’a attiré vos regards. J’ajouterai, car je ne veux rien taire de ce qui peut juftifier votre choix, & n’eft-il pas permis dans cette occafion d’avoir de la vanité ? J’ajouterai que vous n’avez pas été infenfibles aux vœux d’une Compagnie fçavante que vous eftimez, que vous aimez, & qui dans mes jeunes années, daigna m’adopter pour l’un de fes Eléves. Elle n’oublie point qu’elle vous doit fon origine, & vous vous en fouvenez avec complaifance. Vous partagez la gloire de fes fuccès, parce qu’ils font le fruit de fon attention à vous imiter. Occupée, comme vous, du foin de maintenir en France l’Empire de la Littérature, elle s’applique, à votre exemple, à enrichir la Langue Françoife des précieufes dépouilles des Grecs & des Romains. Elle apprend dans leurs doctes Écrits, ce que vous pratiquez fi heureufement dans les vôtres, MESSIEURS, l’art de penfer & l’art de parler. Car vous êtes perfuadez que l’un & l’autre fe doivent un mutuel fecours ; que les penfées les plus juftes, les plus fines, les plus nobles perdent leur prix, fi elles ne font revêtues des ornemens du ftile qui leur eft propre, & qu’elles acquierent plus de force & de dignité, plus de grace & de douceur, felon que l’expreffion eft plus vive & plus concife, plus étendue & plus fleurie.

Tel eft, MESSIEURS l’objet de vos travaux, & pourroit-on n’en pas fentir l’utilité ? Vous nous faites connoître qu’il y a un choix de mots néceffaires pour chaque nature d’ouvrage, pour chaque ordre de penfées ; & que de la différente combinaifon des fons de ces mots, réfulte une harmonie ou noble, fiere, hardie, magnifique ; ou fimple riante, délicate & gracieufe ; que cette harmonie doit, par fa varieté, renouveller fans ceffe l’attention, & prévenir le dégoût qui naît d’une trifte uniformité. Vous voulez que, femblable à ce Dieu fi célébre dans la Fable, le ftile prenne continuellement de nouvelles formes pour attirer & pour féduire le Lecteur ; mais pour le féduire innocemment, & toujours à fon avantage. Enfin vous reconnoiffez qu’il y a une bienféance effentielle à chaque genre d’écrire, comme il y en a une qui appartient à chaque état, à chaque condition. Elles partent toutes deux du même principe, c’eft-à-dire, d’une exacte raifon ; & vous voulez en voir l’empreinte dans les mœurs, comme dans le langage. Vous fçavez que l’étude des Lettres humaines doit avoir pour objet d’éclairer l’efprit, & de regler le cœur, & que ce fut dans ce double point de vûe, que le Cardinal de Richelieu forma le projet de votre établiffement.

Ce grand Miniftre avoit compris que fans la vertu, la Science devient un poifon d’autant plus dangereux, qu’il s’infinue fous une apparence plus féduifante ; que fi elle n’eft guidée par la verité, elle nous précipite dans les plus funeftes égaremens, & traîne à fa fuite les plus honteux défordres. Mais il jugea qu’une focieté de gens de Lettres, également diftingués par leur fçavoir & par leur fageffe, communiqueroit avec le goût d’une agréable érudition, la politeffe & la pureté des mœurs ; donneroit en même tems, des regles & des exemples pour bien parler, & pour bien vivre ; exciteroit l’ambition de tous ceux qui aimeroient la vertu ; les inviteroit à faire de génereux efforts pour fatisfaire une paffion fi raifonnable ; infpireroit enfin l’amour du bon ordre & de cette tranquille innocence qui fait la félicité des Peuples. Projet magnifique ! Vûes fublimes ! dont les heureux fruits augmentent chaque jour la gloire de votre illuftre Fondateur.

Vous le perdîtes, MESSIEURS, lorfqu’à peine vous commenciez à jouir paifiblement de fes bienfaits. Quelle fut votre douleur, & feroit-il poffible de l’exprimer ? Mais le Chancelier Séguier s’empreffe d’effuyer vos larmes. Je le vois, MESSIEURS, qui vous tend cette main fecourable, qui fut toujours le ferme appui des hommes vertueux. Il vous affemble dans le Sanctuaire des Mufes & de la Juftice ; il ranime votre courage, & la rapidité de vos progrès fous ce digne chef, frappe les regards de LOUIS LE GRAND, de ce Prince, le plus parfait modele des Rois, à qui rien n’échappoit de ce qui pouvoit accroître la fplendeur de fon Empire, & affermir le bonheur de fes Sujets. Il connaît les avantages d’un établiffement que la faine politique avoit elle-même enfanté. Il s’en déclare le Protecteur & vous ouvre fon Palais. Deflors vous n’eûtes à craindre ni les outrages des ans, ni ceux de l’envie ; deflors vous fûtes affurés d’une glorieufe immortalité.

LOUIS XV. met le comble à des graces fi fingulieres. Il veut avoir fous fes yeux les chef-d’œuvres qui font fortis de vos mains, & en regarde la lecture comme un délaffement digne d’un grand Roi. Ils font l’ornement de cette Bibliotheque, dont lui-même a conçu l’idée & formé le plan. Quelle gloire pour moi, MESSIEURS, d’avoir pû contribuer à l’arrangement de ce précieux recueil ? & quel eft mon bonheur de pouvoir contempler de près les vertus d’un Prince né pour être les délices du Genre humain ? Cette majefté qui brille dans toute fa perfonne, cette égalité, cet amour de la regle & de la bienféance, cette piété fincere, ce refpect pour la Religion : vertus que le Ciel a récompenfées par des gages réitérés d’une faveur particuliere ; vertus qu’il tient de fon augufte naiffance, & qui furent cultivées par cet homme fage que le choix de LOUIS XIV. avoit appellé à ce grand emploi. Que pourrois-je, MESSIEURS, ajouter à cet éloge ? Le jeune Monarque reconnoît le zéle de ce fage, de ce fidele Miniftre. Touché de fon équité, de fa modération, de fon défintereffement, il l’admet à fa confiance la plus intime, & par-là donne la preuve la plus éclatante de la pénétration de fon efprit, de la jufteffe de fon difcernement, & de la bonté de fon cœur.