Discours de réception de Pierre de Pardaillan d'Antin

Le 30 juin 1725

Pierre de PARDAILLAN d’ANTIN

DISCOURS

Prononcé le Samedi 30 Juin 1715

Par M. l’Evêque de Langres, lorfqu’il fut élu par Meffieurs de l’Académie à la place de feu M. l’Abbé de ROQUETTE.

 

MESSIEURS,

Si l’honneur que je reçois n’étoit deftiné qu’à ceux qui fe font rendus celebres par leurs Ouvrages ; fi pour être admis parmi vous, il eft falloit avoir acquis la réputation de bien parler, & de bien écrire, je ne me flatterois pas, de pouvoir aujourd’hui juftifier mon ambition & votre choix.

Lorfque j’ai fouhaité d’obtenir vos fuffrages (je ne rougirai point de l’avouer) je me fuis moins propofé la gloire d’être votre Confrere, que le bonheur de devenir votre éleve, & j’ai regardé l’honneur d’être reçu parmi vous, comme le moyen le plus fûr d’apprendre à perfuader & à plaire.

Ce n’eft pas feulement à titre de Poëte ou d’Orateur que l’on peut vous être affocié ; & fi quelqu’un regardoit comme une prévarication, la préférence que vous donnez quelquefois par vos fuffrages, il connoîtroit peu l’efprit de cette Académie & les motifs de fes préférences.

Parmi ceux qui aiment les Lettres, il y en a qui pouvant difpofer à leur gré de leur tems & de leur loifir, s’appliquent par goût à perfectionner les talens qu’ils ont reçûs de la nature, à fe former fur les grands modéles que l’Antiquité & l’Académie Françoife leur ont fournis, & à devenir par ce travail de grands Orateurs ou de grands Poëtes. Il en eft d’autres qui deftinés aux fonctions les plus importantes, s’attachent par devoir à acquerir les connoiffances néceffaires à ceux qui rempliffent les premieres dignités de l’Eglife ou de l’État.

Pour affocier les premiers, vous attendez que par la beauté de leurs Ouvrages, par l’élégance & la pureté de leur ftile, ils ayent mérité d’être affis à côté de leurs maîtres ; plus indulgens pour les derniers, vous les difpenfez des mêmes épreuves ; vous leur ouvrez plus facilement les portes de ce fanctuaire ; & bientôt par le commerce intime qu’ils ont avec vous, apprenant à manier la parole avec plus de fuccès, ils deviennent plus utiles à l’Eglife & à l’État, formant leur goût fur les regles de la bonne critique, ils acquierent le principal mérite d’un véritable Académicien, & vos décifions toujours également fages & éclairées en deviennent encore plus refpectables.

En confidérant l’Académie Françoife dans fa naiffance & dans fes progrès, on démêle facilement qu’elle fut établie, non pour raffembler des hommes confommés en l’art de bien parler & de bien écrire, mais pour fournir aux François les moyens d’atteindre à la perfection de cet Art.

L’amour des belles Lettres forme le berceau de cette Compagnie. Des perfonnes que leurs talens & leurs vertus rendoient également recommandables, s’affemblerent par le feul motif d’établir entr’eux un commerce d’érudition. Chacun rapportoit dans ces Affemblées le fruit de fes lectures & fes réflexions : chacun y donnoit ou recevoit des avis judicieux : chacun y exerçoit à propos une critique fage, polie & éclairée ; & ce commerce auffi agréable qu’utile produifit bientôt un fonds de richeffes communes, capables de fournir ces fecours & ces reffources que n’ont prefque jamais ceux qui conduifent leurs études dans le fecret de leur cabinet.

Cette fociété attira les regards du Cardinal de Richelieu ; il apperçut tout ce que pourroient produire de telles Affemblées, fi elles devenoient plus nombreufes, plus fréquentes & plus regulieres ; & ce grand homme traça fur ce plan la route qui devoit nous conduire à l’immortalité.

Les François commençoient alors à goûter les productions de l’efprit ; les belles Lettres que François I. avoit introduites dans ce Royaume, paroiffoient déja triompher du mépris qu’un peuple trop fier de fes propres avantages avoit eu jufqu’alors pour un mérite étranger à la Nation. Il étoit important d’affermir ce goût naiffant. Les nations s’illuftrent autant par les Lettres que par les Armes ; & ce fut pour hâter nos progrès, & pour donner à la France cette nouvelle illuftration que le Cardinal de Richelieu établit l’Académie Françoife.

Le fuccès a mis fous nos yeux la jufte proportion qui étoit entre les moyens que cc grand génie a employés, & la fin qu’il s’étoit propofée. Nos progrès ont été rapides, & le goût des Sciences & des beaux Arts eft devenu le goût general de la Nation.

Avant l’établiffement de cette Compagnie, les Anciens étoient nos uniques maîtres. Ils, trouvoient parmi nous beaucoup d’Émules, mais peu de Rivaux. La Langue Latine étoit prefque le feul interpréte de l’efprit des François. Ils empruntoient d’elle les tours & les expreffions, & par ces imitations ferviles, ils fembloient avouer qu’ils n’ofoient ni parler ni penfer de leur chef.

Devenus moins timides, nous avons fecoué ce joug honteux. Le génie de la Nation s’eft développé ; il eft forti du fein de cette Académie un grand nombre d’ouvrages, où ils font raffemblés les ornemens & la folidité, la délicateffe & la force, l’élégance & la jufteffe, la clarté & la précifion ; & la Langue Françoife eft devenue une Langue fçavante, qui partagera avec les Grecs & les Romains la gloire d’éclairer & d’inftruire la pofterité.

Mais ce n’étoit pas affez de lui avoir menagé cette glorieufe prérogative, il falloit encore la garantir de ces funeftes changemens que toutes les Langues ont éprouvés. Et n’eft-pas ce que votre illuftre Fondateur a entrepris, lorfqu’il vous a prépofés pour modeler les caprices & la legereté de l’ufage, arbitre trop abfolu du deftin des Langues vivantes ? Projet jufqu’àlors inoui, & qui pourtant s’exécute heureufement tous les jours, par le foin que vous prenez de réfifter à ces fortes de torrens que forme quelquefois l’amour déréglé de la nouveauté, & de perpétuer parmi nous le goût des véritables beautés de la Poëfie & de l’Eloquence.

J’ai appris dans l’Académie des belles Lettres à connoître l’utilité des Societés Littéraires ; & ce que j’ai éprouvé en me trouvant dans le centre de l’érudition, m’a fait défirer ardemment d’approcher de la fource du beau.

Mes vœux font fatisfaits : Heureux fi vous approuvez, MESSIEURS, que j’aye employé à parler de l’Académie Françoife, une action deftinée à faire éclater ma jufte reconnoiffance & à louer l’illuftre Confrere que vous avez perdu.

Mais pourquoi ne pourrois-je pas me flatter d’avoir fatisfait par ce Difcours aux devoirs que m’impofent vos ufages. Ce que j’ai dit de l’Académie fert à former le caractere de M. l’Abbé de Roquette. Dire de lui dans cette circonftance, qu’il a joint au mérite d’un bon Citoyen, & au zele le plus ardent pour la Religion toutes les qualités d’un parfait Académicien, n’eft-ce pas en faire l’éloge le plus accompli ? Et comment pouvois-je, mieux marquer à quel point je fuis touché de l’honneur que vous me faites, qu’en retraçant ici tous les avantages qui l’accompagnent ? Il n’eft point de meilleur garant des fentimens d’un cœur bien né que de voir qu’il connoît tout le prix du bienfait qu’il a reçu.

Je le connois, MESSIEURS, on apperçoit bientôt combien il eft utile & glorieux d’entrer dans cette Illuftre Compagnie, quand on l’envifage dans fon véritable jour. On découvre alors pourquoi le Chancelier Seguier ce digne Chef de la Juftice, ce modéle des grands Magiftrats, jugea que le Protecteur des Loix devoit être le vôtre ; & c’eft pourquoi le plus grand de nos Rois fixant pour jamais le fort de l’Académie Françoife, la plaça à l’ombre de fon Trône, & regarda la protection qu’il lui affûroit, comme un des devoirs de la Royauté. Louis XIV. vous donna des marques éclatantes de fon eftime ; fignalez votre reconnoiffance ; qu’il foit toujours un des principaux fujets de vos veilles ; qu’il devienne par vos foins l’objet de l’admiration de la poftérité la plus reculée. Il vous eft refervé de tranfmettre dignement à nos neveux l’hiftoire d’un Regne fi fécond en merveilles.

Le fucceffeur de fa Couronne s’eft accoutumé dès l’enfance à prendre ce Héros pour modéle. Pendant que l’augufte Prince à qui il a confié fon autorité, rempli de zele pour fa Patrie, de tendreffe & de refpect pour le Roi, gouverne l’État avec autant de prudence que de fermeté, notre jeune Monarque s’inftruit dans l’art de regner. Nous voyons croître tous les jours fes vertus & nos efpérances. Il s’eft montré capable de confiance & de fecret dans un âge que caracterifent prefque toujours la l’indifcrétion & la légereté ; ennemi du luxe & de la moleffe, attentif à remplir tous les devoirs de la Religion ; déjà occupé de foins importans, il affofie à fon Trône une Princeffe recommandable par fa vertu, par fes qualités du cœur, & par fes talens de l’efprit. Puiffe une fi belle union donner à cet Empire une longue fuite de Heros, qui rendent à jamais durable la gloire & le bonheur de la Nation Françoise.