Discours de réception d’Antoine Portail

Le 28 décembre 1724

Antoine PORTAIL

DISCOURS

Prononcé le Jeudi 28. Decembre 1724.

Par M. le Premier Préſident, ayant été élû par Meſſieurs de l’Académie Francoiſe, à la Place de feu M. l’Abbé de CHOISY.

 

MESSIEURS,

L’honneur que je reçois d’être choiſi par une Compagnie qui ne connoît d’autre rang que celui que donne la vertu ; d’autre diſtinction que celle qui eſt attachée à la ſupériorité des talens, doit flatter tous ceux qui font nés ſenſibles à l’amour de la véritable gloire.

La faveur, le hazard des conjonctures, les caprices de la fortune peuvent quelquefois diſtribuer des graces & des dignités ; le mérite ſeul a droit de déterminer votre choix.

Déja animé du même eſprit que Vous, aſſocié à vos ſentimens, intereſſé à votre gloire, n’aurois-je pas quelque ſujet de craindre, que l’exacte obſervation de cette loi ſi ſage, qui défére tout au mérite, ne ſe fût en quelque forte démentie en ma faveur ?

Des occupations ſérieuſes & continues, un état élevé en dignité, mais aſſujetti à des devoirs, dont l’exercice aſſidu étoit peu propre à cultiver les talens extérieurs de la parole, & les ornemens du Diſcours, ſembloient ne m’avoir laiſſé depuis long-tems d’autre part dans les ouvrages d’eſprit, que celle d’admirer en ſecret les plus parfaits modéles, qui ſortoient de vos mains.

L’exemple & les bontés d’un jeune Roi, comblé de toutes les graces de la nature, dont la conſervation eſt le plus tendre objet de nos vœux, & le plus ſolide fondement de nos eſpérances ; les ſuffrages d’un Prince, qui fait honneur au choix & à la confiance du Souverain par ſon application infatigable à remplir tous les devoirs du ſuprême miniſtre, ſi cher à la Nation par les ſoins qu’il prend d’augmenter & d’affermir chaque jour la félicité publique, ſi utile, j’oſe le dire, à ſon Maître, par les grands exemples, & les grandes leçons de Juſtice, de Régle, de Fermeté, qu’il donne dans la ſcience du Gouvernement, ont peut-être diſpoſé vos eſprits en ma faveur. Vous avez pu croire, qu’un Magiſtrat, élevé aux premiers honneurs par un choix ſi reſpectable, devoit être un ſujet propre à recevoir toutes les diſtinctions & toutes les récompenſes attachées à la vertu.

Ou plûtot, Vous avez été touchés MESSIEURS, de ce goût naturel, de ce fond d’eſtime, que j’ai toujours fait paroître pour tous ceux qui ſe ſont diſtingués par la beauté du génie, par les graces de l’Eloquence, par le mérite de leurs ouvrages. Cette maniére de penſer, qui a ſouvent éclaté au dehors que la Maiſon d’un premier Magiſtrat devoit être comme un aſile toujours ouvert aux Sçavans, que leur ſocieté lui faiſoit honneur, que leur commerce devoit faire ſes plus nobles & ſes plus cheres délices, a pû vous intéreſſer & vous plaire. Vous avez jugé, que celui qui connoiſſoit cet art innocent, de s’approprier des tréſors attachés aux lumiéres & à la confiance des hommes illuftres, pouvoit mériter par ce ſeul titre de leur être affocié.

C’eſt fans doute ce goût naturel, que j’ai toujours fait paroître pour les grands Hommes, & pour les actions brillantes, qui m’avoit attiré dès mes plus jeunes ans, les bontés & la protection de ce grand Monarque, qui en étoit lui-même le plus parfait modéle.

Comme jamais Prince n’a fourni aux Muſes de plus grandes matiéres & de plus nobles ſujets, jamais Prince ne les a honorées d’une protection plus éclatante. Jaloux d’être ſeul votre Chef, il ne céda jamais ce titre à perſonne. Prévoyant tout ce qu’on devoit attendre de vos travaux & de vos exercices, pour la perfection de notre Langue, & pour la gloire de ſon nom ; il les rapprocha de lui, il les fixa ſous ſes yeux dans ſon propre Palais : ſemblable à ces Temples fameux de l’antiquité, qui inſpiroient leurs Miniſtres ; & leur dévoiloient l’avenir. La Majeſté de cet auguſte azile parut auſſi-tôt vous animer du même eſprit. Deflors vous prédîtes les grandes deſtinées de ce Monarque, qui devoit être un jour la honte ou le modéle des Rois tint naîtront après lui.

L’établiſſement d’une Compagnie qui devoit ſi-tôt mériter l’eſtime & la protection du plus grand Roi du monde, ne pouvoit être que l’ouvrage du plus grand de tous les Miniſtres. Ce vaſte & ſublime génie, dont les hautes entrepriſes ne pûrent jamais borner ni épuiſer les vûes, ne trouvant plus rien dans le Gouvernement politique, qui eût échappé à ſa pénétration & à ſa vigilance, découvre encore dans l’Empire des Lettres, des objets dignes de ſes ſoins & de ſon attention. Avide de toute forte de gloire, peu content d’avoir imprimé au Nom François cette ſupériorité de valeur & de puiſſance qui l’a rendu ſi redoutable, il entreprend de lui donner encore cette fupériorité de goût, de lumiéres, de connoiffances, qui forme les Nations polies & fçavantes.

Le ſuccés de ce grand ouvrage fut auſſi prompt que le projet en étoit noble. A peine ce fameux Cardinal, s’eſt-il déclaré le protecteur des beaux Arts & des Sciences, que l’émulation ſe ranime ; le goût, juſques-là imparfait & incertain, s’épure & ſe fixe ; les ouvrages d’eſprit ſe perfectionnent ; les Hommes illuſtres en tout genre de littérature ſe multiplient ; tout accourt au bruit de cette protection ſi puiſſante & ſi marquée ; tout ſe réunit autour de ce nouveau Mécêne, pour former ce Corps Académique, qui bien loin d’avoir dégeneré, comme les établiffements ordinaires, a tous les jours acquis un nouvel éclat, & aſſûre à ſon Fondateur une gloire immortelle.

L’honneur de vous proteger devint alors & fera toujours l’objet de l’ambition des plus grands Hommes. Aux bienfaits du premier Miniſtre, ſuccéda le zéle d’un Chancelier de France, encore plus reſpectable par ſes vertus que par ſa dignité, & qui ſe montra ſi attentif à ſoutenir, les progrès d’un établiſſement auſſi utile à l’Empire des Lettres, qu’honorable à la Nation.

Parmi cette foule d’Auteurs célébres, qui ſortis de cette ſource pure & féconde, & qui ont répandu votre réputation dans toute l’Europe, s’étoit diſtingué l’illuſtre confrere que nous regrettons, & dont la place m’eſt déférée par vos ſuffrages.

Iſſu d’une race noble, né dans le ſoin de la politeſſe, élevé dans le commerce continuel des compagnies les plus choiſies, & des eſprits les plus ornés, il ſçut y puiſer cette douceur de mœurs, ces graces naturelles, cet eſprit d’inſinuation & d’enjouement, qui le rendoit aimable à tout le monde. Brillant & plein de faillies dans la converſation, ami fidéle, officieux, empreſſé à plaire, il poſſedoit l’art de faire déſirer par-tout. Habile à mettre à profit tous les événements de la fortune, ſi les conjonctures le porterent juſques chez les nations les plus éloignées, ce fut pour y ſoutenir un caractere de repréſentation & de dignité. Bientôt il y acquit des connoiſſances devenues utiles à ſa patrie par ces relations ſi propres à ſatisfaire la curioſité du Lecteur, & où il a trouvé le ſecret d’inſtruire en amuſant, & d’intereſſer fans matiere & ſans ſujet.

Propre à tout genre de littérature, verſé dans la connoiſſance de l’Hiſtoire Eccléfiaſtique & profane, on l’a vû depuis s’élever avec ſuccés juſqu’aux matieres les plus graves & les plus ſérieuſes. Cet ordre, cette clarté que l’Auteur a ſçû y répandre, cette pureté de langue, cette noble ſimplicité qui y règnent par-tout, cet enchaînement naturel de faits qui mettent ces matieres ſublimes à la portée de tous les âges & de tous les ſexes, qui attachent l’eſprit, qui rempliſſent le cœur fans fatiguer l’attention, & laiffent toujours un nouveau défir de lecture, ont peut-être rendu ces ouvrages aufſi utiles au Public, que ceux où les Sçavants admirent l’érudition la plus profonde.

Que ne m’est-il permis, MESSIEURS, de me former après lui fur de ſi grands modéles, & de me perfectionner continuellement dans vos doctes aſſemblées ; mais ſi le ſervice du Roi, & la multitude d’occupations attachées à la place importante dont il a bien voulu m’honorer, me privent quelquefois de cet avantage ; j’y ferai toujours préſent par mes déſirs, par les ſentimens de mon cœur, & par la reconnoiſſance que je vous doit à ſi juſte prix.