Réponse au discours de réception de l’abbé Giry

Le 10 mars 1742

Philippe NÉRICAULT DESTOUCHES

RÉPONSE

De M. DES TOUCHES, Directeur de l’Académie  Françoife, au Difcours de M. l’Abbé de Saint Cyr.

 

MONSIEUR,

Jufqu’àpréfent l’Académie n’a fait aucunes pertes, fans avoir eu de juftes motifs de les déplorer. Quelquefois même elle y eft d’autant plus fenfible, que n’ayant pas encore fixé regards fur ce qui peut la confoler, elle n’ofe fe flatter d’être affez heureufe pour retrouver ce qu’elle regrette.

 

Il n’eft que trop facile de fe repréfenter la douleur & les allarmes qui l’ont agitée, lorfqu’elle a perdu votre prédéceffeur ; & tous les hommes qui fe font une gloire & même un devoir de rendre au mérite fublime toute la juftice qui lui eft due, ne balanceront pas à dire avec nous aujourd’hui, que jamais homme ne mérita ni plus de regrets, ni plus d’encens, ni plus de monumens pompeux érigés à fa gloire, que l’homme illuftre auquel vous fuccédez.

 

Ce n’eft donc point ici l’exorde d’un éloge enfanté par la coutume, & par la feule néceffité de remplir les fonctions d’une dignité trop glorieufe pour moi, dont le fort aveugle a voulu m’honorer.

 

On ne pourra point dire que je tâche à m’attirer des louanges, en prodiguant à la médiocrité ces ornemens faftueux, flatteurs & féduifans, qui la repréfentent comme un objet d’admiration ; pénible effort d’une éloquence fardée, qui ne peut avoir que des fuccès honteux, & qui révolte la juftice & la vérité.

 

J’ai cueilli, j’ai ramaffé des fleurs fimples & naturelles, pour les répandre en foupirant fur le tombeau d’un grand homme ; grand homme aux yeux de la Compagnie qui vous adopte, aux yeux du Peuple, des Grands & de la Cour, aux yeux de tant de diverfes Nations qui l’ont connu, & qui ne l’ont connu que pour l’admirer.

 

La vérité, la feule vérité fans doute devroit m’infpirer le plus magnifique éloge ; & fans rechercher d’autres appuis, d’autres ornemens qu’elle-même, elle pourroit aifément fe rendre digne, & de celui qui en eft le fujet, & de ce nombreux concours d’Auditeurs refpectables, fi le fort eût voulu prendre le foin de la feconder, en lui procurant un plus digne Interprète.

 

Heureufement pour elle, & bien plus heureufement encore pour l’illuftre Académicien que nous pleurons, vous venez de faire l’ufage le plus heureux des traits admirables qu’elle vous a produits ; & mon bonheur ne feroit pas médiocre, s’il m’étoit poffible d’ajouter le même éclat à tant d’autres traits qu’elle va me fuggérer.

 

Mais quelle ambition me porte à former ces vœux ? Qu’ai-je befoin du fecours de l’art fur une matière fi riche & fi belle ? Parler du Cardinal de Polignac, n’eft-ce pas mériter d’être écouté ? Raconter fimplement fon hiftoire, n’eft-ce pas faire dignement fon éloge ?

 

Eh ! qui fe lafferoit d’entendre parler d’un des plus grands perfonnages que la France ait produits, d’un homme vraiment univerfel, d’un homme orné de tous les talens les plus folides & les plus brillans, & dont un feul, affaifonné du fel délicat & des graces charmantes dont il les relevoit tous, auroit fuffi pour faire un grand homme ?

 

En effet, que lui reftoit-il à défirer ? Que pouvoit-on défirer en lui ? Naiffance illuffre, port majeftueux, gracieux maintien, phifionomie noble & heureufe, air impofant, accueil flatteur, grand efprit, bel efprit, efprit fublime, connoiffances diverfes & profondes, habitude de s’exprimer jufte & fur le champ fur toute forte de fujets ; goût fûr, éclairé, délicat ; éloquence naturelle, aifée, victorieufe ; adreffe, fagacité, difcrétion à l’épreuve d’un feu véhément ; art de fonder, de difcerner, de pénétrer les génies, de fe prévaloir de ces fubtiles découvertes, pour s’infinuer imperceptiblement dans les fecrets les plus cachés & les plus profonds ; d’écarter, de ramener, de divifer, de réunir les efprits, de fe transformer en eux pour s’en emparer ; que dis-je ? de toucher, d’entraîner les cœurs même de ceux qui fe tenoient en garde contre fes lumières, & qui redoutoient fa fupériorité ; de rendre aifées les affaires les plus épineufes ; de les entamer, de les conduire, de les amener à fes fins d’un air fimple, gracieux, naturel, écartant les apparences myftérieufes qu’affectent les Miniftres vulgaires, qui, pour fe faire regarder comme des hommes expérimentés, éminens, comme des négociateurs fubtils, impénétrables, n’ont point d’autre fcience que celle de faire naître les défiances, que celle de multiplier les obftacles, au lieu de les éloigner, de les applanir, de les vaincre par cet art conciliant fous qui l’art fe cache, & que votre illuftre Prédéceffeur initié dans tous les myftères du cœur humain, a fi fouvent & fi heureufement mis en œuvre.

 

Eh ! comment réfifter aux puiffans efforts d’un génie fi fertile & fi varié, à ces dehors ouverts & prévenans, à ces difcours touchans & pathétiques, à ces expreffions, tantôt claires & précifes, tantôt circonfpectes & ménagées, à cette abondance de moyens & d’expédiens, à ces infinuations adroites & preffantes, à cette fermeté mâle & vigoureufe dont il s’armoit contre la hauteur & la dureté ; enfin à cette admirable facilité de fe prêter & de plier, de menacer & de foudroyer, de s’adoucir & de fe rendre, toujours à propos, toujours de concert avec la prudence, maîtreffe abfolue de tous fes mouvemens, guide infaillible de toutes fes démarches ? Grand Dieu, quel homme no avons perdu ! Quel homme l’Etat doit regretter avec nous !

 

Je ne crains point qu’on reçoive cet éloge comme un pur affemblage de traits recherchés, de talens artiftement affortis pour imprimer l’idée d’un homme accompli, & fur-tout d’un parfait négociateur. Je trace un portrait fidelle, dont l’unique mérite eft la reffemblance ; perfection qu’un Peintre médiocre peut acquérir, fans atteindre à ces traits hardis, à ce coloris merveilleux qui caractérifent les grands Maîtres. Il fuffira donc pur exciter l’admiration & les regrets, jufte & glorieux tribut que l’envie même n’ofe refufer aux grands hommes que la mort ravit : il fuffira pour infpirer une noble émulation, & pour fervir de modelle à ces hommes heureufement nés, qui peuvent afpirer à réunir tant de précieux dons, & à les confacrer aux fervices de l’Etat.

 

France toujours fi féconde en grands perfonnages, loin de perdre de vue un fi beau modelle, prends foin de l’offrir fans ceffe à ces dignes Élèves que le Ciel prodigue en miracles pour ta gloire & pour ton bonheur, deftine à foutenir tes intérêts dans des Cours étrangères, à t’affurer une paix néceffaire, ou à préparer une guerre jufte, à déconcerter & à défarmer tes ennemis fecrets ou déclarés, ou à convaincre des Puiffances qui redoutent la tienne, qu’elle peut être le plus ferme appui de leur repos & de leur profpérité, le plus puiffant foutien de leurs droits & de leurs prétentions, & le plus sûr garant de leurs héritages & de leurs conquêtes.

 

Souviens-toi que pour te rendre de plus en plus auffi redoutable par les négociations que par les armes ; au lieu qu’autrefois la lenteur des traités raviffoit à ton impatience les rapides conquêtes que tu devois à ta valeur intrépide : fouviens-toi que tu dois élever précieufement dans ton fein, & diftinguer par les honneurs & les récompenfes, des hommes capables de marcher fur les traces de l’excellent homme que tu viens de perdre.

 

Pour les guider, pour les enhardir dans la pénible & vafte carrière où la force & la dextérité de fon génie auroient remporté de continuelles victoires, fi les talens les plus fublines étoient toujours les plus heureux, fais leur fouvent un fidelle récit de fes rapides & glorieux fuccés en Pologne ; noble & brillant effort d’un génie hardi, vif, ardent, infinuant, perfuafif, qui tenta de procurer une puiffante Couronne au grand & fameux Prince que tu chériffois fi juftement, & qui l’auroit emportée fur fon augufte Concurrent à tant d’obftacles que la force & le voifinage rendirent invincibles, n’euffent pas arrêté les infaillibles effets de la plus adroite & la plus heureufe négociation qui pût annoncer un grand homme.

 

Souviens-toi, prends foin de leur raconter l’hiftoire des triftes conférences de Gertruydemberg, éternellement odieufes, rompues avec indignation, plus heureufement fuivies de celles d’Utrecht ; & pour leur infpirer une idée vive & frappante de la grandeur, de la dignité dont-il fut revêtir les démarches & les avances les plus mortifiantes, dis-leur en quel état tu te voyois réduite par les décrets immuables du Roi des Rois, qui devoit des revers & des adverfités à LOUIS LE GRAND, & qui deftinoit ce Monarque fi puiffant & fi refpectable, à convaincre l’univers autrefois confterné de fon bonheur, que les malheurs les plus cruels & les plus accablans, loin d’ébranler & de faire fuccomber un courage auffi chrétien qu’héroïque, ne fervent qu’à lui procurer de nouveaux triomphes, & qu’à mettre le comble à fa gloire.

 

Mais quelle épineufe, quelle redoutable fituation pour un Miniftre chargé de terminer une guerre fanglante & funefte, avec des ennemis avides & fuperbes, avec ce concours étonnant de Plénipotentiaires de la plus grande partie des Puiffances de l’Europe, dont chacune avoit fes prétentions différentes, & vouloit que tout leur fût facrifié !

 

Comment fortir d’un pareil chaos ? Quels efforts pourront modérer, borner, concilier des intérêts fi divers & fi compliqués, des intérêts foutenus avec tant de hauteur, avec tant d’opiniâtreté ?

 

N’en défefpérons point. Tout fe rend poffible aux efprits tranfcendans. Les difficultés les plus effrayantes, les obftacles les plus rebutans, les prétentions les plus déraifonnables, les proportions les plus infultantes difparoiffent enfin devant des génies mâles & puiffans, & cèdent infenfiblement aux refforts d’un art imperceptible, qu’une adroite & profonde politique a formé pour eux, & qu’ils font feuls capables de pratiquer. Et cet art auffi falutaire qu’admirable, qui jamais le pofféda mieux ? Qui jamais le rendit plus utile à fa Patrie, que le Cardinal de Polignac ?

 

Au milieu de cette foule de prétendans également animés à s’agrandir de nos débris, loin de balancer, de s’intimider, de fe décourager, il ofe repréfenter la France encore en état de fe relever, & de faire reffentir à ceux qui veulent l’accabler, qu’elle n’eft jamais plus puiffante, plus redoutable, plus féconde en reffources & en miracles, que lorfqu’on a la vaine audace de préfumer que l’on peut pénétrer & fe fixer dans fon fein.

 

Il prouve que cette brave, que cette intrépide Nobleffe, qui fut toujours la principale force de ce puiffant Royaume, eft plus déterminée qu’elle ne le fut jamais à laver tous nos affronts dans le fang ennemi, & à punir le deffein téméraire de forcer la France à recevoir docilement & fervilement la loi de ceux à qui elle impofoit depuis fi long-temps ; que fes Peuples tout auffi, jaloux de 1a gloire & de la grandeur de leur Patrie, ne peuvent foutenir l’idée d’une paix flétriffante, & qu’ils n’afpirent qu’à facrifier les reftes de leur fortune, leur vie même, s’il faut l’expofer, pour réparer des pertes qui les ont confternés, mais qui ne les ont point abattus ; qu’ils femblent propofer eux-mêmes de nouvelles impofitions, malgré le trifte état où la difette les réduit, & qu’ils courent en foule offrir à leur grand Monarque le tribut volontaire de leur zèle & de leur amour.

 

Enfin il peint la France toute femblable à l’ancienne Rome, inépuifable, infatigable, indomptable, plus grande que jamais dans le malheur même ; & par ce portrait fi vif & fi pathétique des nouveaux prodiges dont elle eft capable, heureufement & vivement appuyé de deux illuftres Collègues, & plus efficacement encore des continuels & puiffans offices d’une grande Reine, dont l’ambition n’afpiroit plus qu’à nous procurer la paix, & qu’à rendre fa mémoire éternellement précieufe à la France, il force infenfiblement les barrières impénétrables qu’on oppofoit à les négociations. Après les avoir foutenues & prolongées auffi long-temps que notre infortune l’exigeoit, pour préparer quelque événement falutaire, il parvient à leur faire prendre une forme fi favorable, que fi nos ennemis ont la hardieffe de les rompre, toute la faute, toute la haine en retombera fur eux ; qu’ils pourront être juftement acculés d’avoir voulu tout facrifier à leurs prétentions exorbitantes ; que les François, tout fatigués qu’ils font d’une guerre fi longue & fi malheureufe, reprenant enfin de nouvelles forces, ne refpireront plus qu’une prompte & jufte vengeance ; & que même quelques-uns des Alliés écoutant nos offres, feront bientôt difpofés à fe féparer de ceux qui ne veulent rien entrendre.

 

Dès que le Cardinal de Polignac entrevoit tous les heureux effets qu’on peut efpérer de cette fituation, il prend un ton plus ferme encore & plus décifif. Ses Collégues l’imitent ; tous trois parfaitement d’intelligence, tous trois fagement concertés, ils s’emparent imperceptiblement de cet afcendant fi utile & fi néceffaire pour impofer aux ennemis les plus arrogans, & pour les réduire à des conditions raifonnables. Dès-lors le Cardinal de Polignac fe livre à toute fa véhémence. Il offre, il refufe ; il fépare, il unit ; il cède, il retient ; & dans le fein même de l’adverfité & de l’humiliation, il eft ferme, il eft haut, il eft impofant, & paroît plutôt Arbitre & Médiateur, que Miniftre d’un Prince qui demande la paix.

 

Dans la plus grande vivacité des Conférences d’Utrech, (conjoncture pour nous auffi douloureufe que délicate) un événement non moins heureux qu’imprévu, relève notre courage & la gloire de nos armes. La fameufe expédition de Dénain fi fagement concertée, fi fecrétement préparée, fi courageufement exécutée, fournit de nouveaux traits au Cardinal de Polignac. Il s’en fert en grand homme. Il n’eft plus fur la défenfive, il femble attaquer. Il ne veut plus fouffrir qu’on exige de nous des conditions trop dures & trop odieufes. Il fe borne à propofer fièrement ce que nous voulons bien céder ; & par des facrifices devenus indifpenfables pour laiffer enfin refpirer l’Europe, les Efpagnes & les Indes font affurées pour toujours à l’augufte petit-fils de LOUIS LE GRAND. La France renaît, la France redevient elle-même ; & fa rivale, fa rivale obftinée, cette Maifon non moins fuperbe qu’ambitieufe, qui regardoit le Royaume de Naples, le Duché de Milan, les Pays-Bas, comme un objet indigne de lui être offert, eft réduite à cette part d’une fucceffion immenfe, à laquelle une ligue jaloufe & formidable avoit voulu qu’elle osât prétendre, fière de toutes les forces de l’Europe réunies pour elle, & conjurées en faveur d’un droit chimérique, contre un droit jufte, inconteftable, évident, que la Providence elle-même a pris foin de maintenir à l’éternelle confufion de tant de Puiffances qui vouloient le facrifier à leur intétrêt, à leur haine, & à leur jaloufie.

 

Que de merveilles je pourrois dire encore du Cardinal de Polignac, fi je pouvois entrer dans tous les détails intéreffans de fes divers négociations à la Cour de Rome, où fon ardeur de briller & de fe rendre utile le conduifit, dès qu’il eut paffé le tems de briller fur les bancs litigieux de la plus fameufe École de Théologie qui foit dans la Chrétienté ! C’eft à cette Cour qu’il fit fes premiers effais politiques, defquels on eut promptement lieu d’augurer qu’il était né pour être un grand homme d’État. Et dans quelle Cour pouvoit-il trouver des Juges plus fubtils & plus clairvoyans ?

 

Rome & la France étoient brouillées alors, malgré l’intérêt preffant qu’elles auront toujours de vivre enfemble dans une étroite union.

 

Les fuites de cette fatale méfintelligence causèrent bientôt à l’Europe agitée de maux dont quelques-uns durent encore.

 

L’humeur inflexible du Pape Innocent XI, dont je fuis obligé de refpecter la mémoire, avoit feule produit ces finiftres événemens.

 

Le Cardinal de Polignac, tout jeune qu’il étoit, fe comporta dans cette conjoncture fi difficile, fi délicate & fi dangereufe, fut parler, agir, s’entremette avec tant de prudence, d’adreffe & de dextérité, que le Pape Alexandre VIII fucceffeur d’Innocent XI, chargea le jeune Négociateur d’apporter en France un projet d’accommodement qu’il avoit ménagé ; projet que la mort trop prompt de ce fage Pontife rendit inutile, à la vérité : mais que d’illuftres, que de puiffans amis, quelle brillante réputation ne laifffa-t-il point à la Cour de Rome ? Et qui peut ignorer avec quel éclat & quelle dignité il y a foutenu pendant fes dernières négociations, les intérêts, le crédit & la gloire de fon Maître ; & quel afcendant il acquit dans cette Cour délicate, qui veut toujours l’avoir fur toutes les autres ?

 

S’il dut à fon génie heureux & tranfcendant, la gloire fi rare d’y paffer pour un grand Miniftre, il n’y brilla pas moins par fa vafte érudition, par l’excellence & la délicateffe de fon goût, & par fa louable avidité d’y rechercher & d’y raffembler les reftes les plus précieux de l’Antiquité : éternels monumens de la magnificence d’Athènes & de Rome, & de la perfection que tant de beaux arts y avoient acquife ; tréfors ineftimables dont il enrichit fa Patrie, pour lui fournir d’excellens & d’infaillibles moyens de connoître, d’imiter & d’égaler enfin ce que les Grecs & les Romains nous ont laiffé de plus exquis.

 

J’ai peine à finir fur ce grand homme. A quel excès n’étendrois-je point fon éloge, fi je le repréfentois auffi profond Philofophe, que parfait Négociateur ? Poëte auffi fublime que profond Philofophe ; mais Philofophe qui ne recherche & qui n’aime que la vérité. Poëte qui n’emploie fon effor divin qu’à la défendre contre l’erreur & l’emportement ; qui ne fe rend l’Emule de Lucrèce, que pour détruire fes fophifmes ; & qui ne lui ravit fes armes & toutes fes graces, que pour diffiper les dangereux enchantements de la pernicieufe doctrine d’Epicure ; doctrine follement renouvellée de nos jours par de prétendus efprits forts, eftimés beaux efprits, dont tout le relief eft une hardieffe imprudente, que des mœurs perverfes & corrompues, foutenues d’une fcience fuperficielle & mal dirigée, fon feules capables d’infpirer.

 

Je le répète, j’ai peine à finir l’éloge du Cardinal de Polignac. Ne devrois-je pas vous parler de l’inimitable Difcours qu’il prononça le jour de fa réception ? Chef-d’œuvre d’éloquence & d’efprit qu’on ne peut ni trop louer, ni trop admirer. Il n’y a perfonne de nous, MESSIEURS, qui ne fe fouvienne des profondes réflexions qu’il y ait fait fur les décrets imprévus de la Providence, qui non feulement ont placé fur le Trône d’Efpagne l’augufte petit-fils de LOUIS XIV, mais qui nous prouvent & prouveront à la poftérité, que Charles-Quint, Philippe II, & leurs premiers fucceffeurs n’ont travaillé que pour la gloire & la grandeur de la France, en croyant travailler aux dépens de cette Couronne, pour la grandeur & la gloire de leur Maifon. Qui jamais a mieux réfléchi, mieux parlé que le Cardinal de Polignac ?

 

Mais c’eft trop m’étendre fur fon fujet. Quoiqu’il me paroiffe inépuifable, quoique je ne me laffe point de le traiter, quoique je m’apperçoive qu’on fe prête à mon zèle, il faut enfin l’avouer ingénûment, je fens mon génie trop refferré pour une matière qui n’a point de bornes. D’ailleurs, plus je m’efforcerois à l’approfondir, plus je ferois renaître de regrets & de douleurs.

 

Aidez-nous, MONSIEUR, à nous confoler, s’il eft poffible que nous nous confolions ; au moins fommes-nous tous également perfuadés que perfonne n’eft plus capable que vous d’adoucir notre perte. Elle eft irréparable, à la vérité ; mais vous nous apportez de nouveaux tréfors qui contribueront à la diminuer.

 

Il eft vrai, comme vous le dites vous-même, avec cette aimable & modefte ingénuité, compagne ordinaire d’un parfait mérite, que s’il vous eft glorieux de vous voir parmi nous le fucceffeur d’un homme fi célèbre, cet honneur doit vous paroître bien dangereux.

 

Raffurez-vous, MONSIEUR, il l’eft moins pour vous que pour tout autre ; & le choix unanime de l’Académie eft une preuve auffi éclatante qu’infaillible, de la haute opinion qu’elle a de vous, & qui fera glorieufement confirmée par tous ceux qui vous connoîtront.

 

Prenez donc ici votre place avec toute la confiance que nous vous infpirons, & ne craignez plus que le public puiffe foupçonner. Ne dites plus vous-même que vous ne devez cette place qu’au glorieux emploi dont vous êtes chargé.

 

Ou fi vous lui êtes redevable en quelque forte d’une diftinction fi flatteufe pour tout homme de Lettres, croyez avec nous qu’il n’y a contribué, qu’en ce qu’il vous a mis en droit d’exiger de notre attention qu’elle fe fixât fur vous comme fur un excellent fujet, qui devoit nous offrir toutes les qualités que nous de défirons dans ceux que nous voulons affocier à nos exercices.

 

La douceur de votre caractère, la délicateffe de votre efprit, la vafte étendue de votre érudition, qui joint à toutes les graces & à toutes les fineffes de nos Langue, la plus profonde connoiffance des Lettres Grecques & Romaines, tant d’autres raifons que je pourrois citer, dont je fais grace à votre modeftie, & vous donnoit des droits légitimes fur nos fuffrages.

 

Et quand même nous n’aurions pas fi lien connu vos juftes prétentions, l’emploi que votre mérite & vos vertus vous ont procuré, ne fuffifoit-il pas pour infpirer en votre faveur les plus avantageux préjugés ?

 

N’étoit-ce donc pas affez pour nous, MONSIEUR, de confidérer que notre AUGUSTE PROTECTEUR, & que cet homme prodigieux, honoré de toute fa confiance, & qui femble renaître tous les jours pour la mériter de plus en plus par les merveilles continuelles de fon miniftère, vous ont choifi pour contribuer à l’éducation d’un Prince, objet fi précieux de leurs foins & de leur attention ? Ne feroit-ce pas une forte de crime que d’imaginer qu’un homme d’un mérite médiocre eût fixé leur choix, pour des fonctions fi délicates & fi importantes ? N’avons-nous pas les preuves les plus folides de la jufteffe de leur difcernement, dans les qualités éminentes des perfonnes qu’ils ont propofées pour préfider à l’éducation du plus augufte Elève dont l’Europe fe puiffe glorifier ? Pouvoient-ils trouver deux plus excellens Maîtres, l’un pour perfectionner fon cœur, & l’autre pour orner fon efprit ?

 

Auffi que ne devons-nous point attendre d’un Prince fi aimable, fi charmant, doué par fon heureufe & augufte naiffance, de tous les dons qui peuvent fatiffaire & juftifier un jour l’amour ardent, l’attachement fans bornes des François pour leurs Souverains ; d’un Prince guidé par des mains fi foigneufes de cultiver des fruits déja fi beaux, & de les amener rapidement à leur maturité ?

 

Quelle gloire pour vous, MONSIEUR, d’y contribuer fi heureufement ! Et quelle joie pour nous d’avoir l’occafion de vous faire reffentir la tendre & vive eftime dont nous fommes pénétrés pour ceux que leurs vertus éclatantes, & leurs talens fupérieurs appellent à cette royale éducation !

 

L’Académie fe fait toujours une gloire de leur rendre la juftice qu’elle croit leur devoir, & d’adopter des Sujets qui travaillent fans relâche à former, à établir, à fixer les plus folides fondemens du bonheur & de la gloire de l’Etat.

 

Ce n’eft pas d’aujourd’hui qu’elle prouve fon zèle à décorer fa lifte des noms fi recommandables de ces excellens hommes, & à couronner avec autant d’ardeur que de folemnité, des foins qui les rendent fi chers aux bons Frarçois.

 

On a vu dans cette lifte, & fans ceffe on verra dans nos Annales les noms fameux des Boffuets & des Fénélons : quels hommes !

 

Encore aujourd’hui, quelle fameufe époque ! nous jouiffons du plaifir inexprimable & de la gloire immortelle d’y voir le nom rerpectable du plus zélé, du plus habile, du plus fage & du plus heureux dépofitaire de l’autorité fuprême, à qui jamais Prince l’ait confiée, à qui jamais la France ait été plus redevable de ce qui peut la rendre heureufe & triomphante.

 

C’eft lui, tout nous l’attefte, c’eft lui dont l’ame auffi pure que magnanime, auffi vertueufe qu’éclairée, a fait germer dans l’augufte fein de notre Monarque toutes ces royales qualités, fi dignes compagnes d’un grand Potentat, fi noble ornement du premier Trône de l’Univers.

 

C’eft lui qui, toujours attaché, toujours fixé fur fes pas, a fait fon devoir unique, fes plus chères délices, de nous préparer un Roi qui pût remplir toutes nos efpérances, furpaffer même notre attente & nos vœux, & qui non-feulement fût infiniment digne de l’amour de les Sujets, mais de l’admiration, de l’eftime & de la confiance de toutes les Nations. Un Roi non moins admirable par fa candeur, par fa droiture, par fon équité, par fa douceur, par fon extrême tendreffe pour fes Sujets, que par tous les plus brillans attributs d’un parfait Monarque : un Roi judicieux, infaillible, invariable dans fes choix ; effentielle qualité d’un grand Prince, qui fait difcerner & chérir le mérite éminent ; & qui, bien loin de le traverfer dans fon effor, par une inconftance d’idées & de fentimens, l’encourage, par une eftime auffi perfévérante que jufte, à méditer, à concerter avec lui les plus grands projets ; à faire éclore du fein d’un fecret impénétrable, des chefs-d’œuvres de politique & de prudence, des prodiges qui nous étonnent & qui nous raviffent, des événemens merveilleux qui changent la face de l’Europe ; événemens qui femblent donner au Monarque des François le gracieux droit de diftribuer des Couronnes, de difpofer même de celle de l’Empire qu’il pouvoit faire rentrer dans fon augufte Maifon, mais qu’il fe plaît à placer fur la tête d’un grand Prince fon Allié, fon parent, fon ami, pour lui prouver à la face de tout l’Univers, que la France eft une amie auffi fidelle que puiffante, & que fon fage & vertueux Monarque n’a point de plus grande & de plus vive ambition, que celle de favoir fe modérer & fe vaincre, jufqu’à facrifier l’intérêt le plus féduifant, aux plus magnanimes efforts de la reconnoiffance.

 

Quel admirable triomphe ! Quel effet divin d’une ame héroïque que le Ciel fe plut à former pour notre bonheur, que le Ciel fe plut à rendre parfait, lorfqu’il confia le foin glorieux de la cultiver à l’homme le plus capable & le plus digne de hâter en elle l’accompliffement de fes favorables décrets !

 

Et cependant, MONSIEUR, cet homme fi refpectable, dont ma foible main vient de crayonner l’image, le dirai-je ? vous aurez déformais l’honneur ineftimable de le compter au rang de vos Confrères, & ne craignez point qu’il s’en offenfe. Du haut degré de grandeur & d’autorité où fes vertus & le bonheur de la France l’ont fait monter, il ne dédaigne pas de jetter fouvent fur l’Académie, & fur tous ceux dont elle eft compofée, les regards les plus attentifs & les plus favorables. Il s’intéreffe à nos travaux, il nous honore de fon ethnie ; nous ofons même nous flatter qu’il nous aime, parce qu’il eft sûr de notre profonde vénération, de notre dévoûment inviolable pour notre AUGUSTE PROTECTEUR, & qu’il n’eft convaincu depuis très long-temps, qu’être de l’Académie Françoife, & fe faire une loi fuprême d’aimer fon Roi, ce font deux attributs inféparables.

 

Voue en ferez fouvent témoin, MONSIEUR, fi vos fonctions peuvent fe concilier avec nos vœux. Pour peu qu’elles vous laiffent le loifir de venir affifter à nos exercices, vous y verrez les preuves les plus éclatantes de la réalité de ces fentimens qui fans ceffe ont régné dans cette célèbre Compagnie depuis le premier inftant de fon établiffement, & qui deviennent tous les jours plus vifs en s’y perpétuant.

 

Vous vous y livrerez fans doute avec d’autant plus de zèle & d’empreffement, que votre heureufe fituation vous met à portée de voir, de connoître, d’admirer l’excellent Prince qui règne fi glorieufement fur la France, pour y répandre les plus douces influences dont le Ciel l’ait jamais favorifée ; & ce puiffant génie, Miniftre de fes volontés, modelle auffi rare, auffi nouveau que parfait, à qui l’Hiftoire n’offre rien de comparable, n’offrira jamais de fupérieur, peut-être jamais rien d’égal.