Discours de réception du comte Fleuriau de Morville

Le 22 juin 1723

Charles-Jean-Baptiste FLEURIAU de MORVILLE

Discours prononcé le Jeudi 22. Juin 1723, par M. le Comte de MORVILLE, Miniftre & secrétaire d’Etat, ayant le département des Affaires Etrangeres, lorfqu’il fut reçû à la place de feu M. l’Abbé DE DANGEAU.

 

MESSIEURS,

On ne peut connoître la véritable gloire, & ignorer de quel prix eft une place dans l’Académie Françoife. Souffrez que je me flatte de fentir toute la valeur de l’une & de l’autre, & par conféquent toute l’étendue de la grace que vous me faites aujourd’hui. Dans le commerce que j’ai eu avec les Étrangers, j’ai vû quelle étoit la réputation de votre Compagnie. J’ai vû combien vos travaux pour notre Langue ont réuffi, & quelle domination vous lui avez donnée fur toutes les autres. Dans les Cours de l’Europe, les Miniftres des différentes Puiffances s’accordent naturellement à ne négocier qu’en François ; les jaloufies ceffent à cet égard, & l’on commence par rendre à la Nation cet hommage d’autant plus flatteur qu’il eft volontaire. Qu’auroient efpéré de plus, & le grand Cardinal de Richelieu, lorsqu’il forma votre eftabliffement, & le Chancelier Seguier, lorfqu’il le foutint après lui ? Auroient-ils même ofé porter fi loin leurs efpérances ? Vous avez conquis l’Europe autant que l’efprit la peut conquerir.

De tous ceux qui ont compofé votre Compagnie, aucun n’a jamais mieux connu que celui auquel j’ai l’honneur de fuccéder, & les avantages de notre Langue, & l’importance de les étendre de plus en plus. M. l’Abbé de Dangeau né avec l’efprit du monde le plus droit, le plus précis, le plus capable de répandre par-tout des lumieres, ne crut point dégrader fes talens, en les appliquant du moins autant à la Grammaire Françoife, qu’à d’autres matieres plus élevées. Il avoit principalement en vûë les Etrangers, à qui il vouloit adoucir un travail pénible, ennuyeux, prefque infini. Il eft vrai qu’ils ne sen rebutoient pas, tant ils font perfuadés qu’il faut acheter, à quelque prix que ce foit, le plaifir de vous lire & de vous entendre.

Je fens dans ce moment, MESSIEURS, un reproche que vous me faites en vous-mêmes ; je vous attribue trop la gloire de notre Langue ; votre zele pour LOUIS le Grand en murmure ; j’en conviens, vous n’avez fait qu’aider par vos écrits à ce qu’a fait ce Monarque par fes victoires, par fes conquêtes, par l’éclat de tout fon regne ; & ces écrits mêmes, dont toute la louange femble vous appartenir, ne font-ils pas dûs, où à fes actions qui vous ont fourni de grands fujets ou à fes bienfaits qui vous ont animés ? On a voulu parler la Langue d’une Nation qu’il rendoit fi brillante par la valeur, & par l’efprit ; & ce qui ne reconnoiffoit pas fon empire, reconnoiffoit celui d’une Académie qu’il protégeoit & qu’il infpiroit.

Son régne va fe continuer fous fon augufte Petit-fils. Nous ne l’affûrons pas fur la foi du fang, quelquefois trompeufe ; mais fur la foi des mêmes vertus, qui déja fe développent en lui, & fur les foins qu’un grand & digne Prélat prend de les cultiver. Les premiers momens de fa Majorité ont été marqués par le plus grand ouvrage de la fageffe des Souverains, par des choix éclairés. Il n’a point voulu que le Prince qui lui remettoit le gouvernail, l’abandonnât ; il l’y fait affeoir auprès de lui ; & fes jeunes mains affermies par ce fecours, peuvent enfemble mouvoir tout & contenir tout. Il a confervé dans la dignité de premier Miniftre, qu’on regardoit comme abolie depuis un tems, par l a difficulté ou le peril de la remplir, un génie rare, fublime, qui repréfente à toute la France votre Fondateur, & qui eft ici votre Confrere.

Que ne vous dois-je point, MESSIEURS, d’avoir fait tomber fur moi votre choix, prefque dans le même tems. Mon abfence ne vous a pas empêché de vous fouvenir de l’empreffement que j’ai toujours témoigné pour le mériter ; & vous avez bien voulu prendre mes défirs pour des talens. Vous exprimez trop bien les fentimens, pour ne vous y pas connoître ; & j’efpere au moins, m’acquitter par-là de tout ce que vous avez fait pour moi.