Réponse au discours de réception de l’abbé Terrasson

Le 29 mai 1732

Jean-Joseph LANGUET de GERGY

Réponse de M. L'Archevesque de Sens,
au Difcours prononcé par M. l’abbé Terraffon.

 

Monsieur,

Il eft glorieux fans doute d’être adopté parmi nous par un concours rapide de tous les fuffrages. Mais c’est une autre forte de gloire qui n’eft pas moins douce, d’avoir des rivaux & de l’emporter fur eux. La difficulté & l’incertitude rendent le fuccès plus intéreffant ; & fi un concurrent d’un mérite connu a balancé les voix, la préférence a quelque chofe de bien flatteur.

C’eft ce qui vous eft arrivé, Monsieur ; un concurrent aimé de plufieurs, eftimé de tous par des ouvrages connus, & qui peut-être fera un jour couronné comme vous, en rendant votre élection plus incertaine, l’a rendue pour vous plus intéreffante ; & le Difcours éloquent que vous venez de prononcer, honore notre choix en même-temps qu’il juftifie votre ambition.

Vos ouvrages avoient commencé depuis long-temps à vous frayer la route vers la place que vous occupez aujourd’hui. Votre Differtation critique fur un Poëme célèbre depuis tant de fiècles, avoit montré en vous ces caractères fi propres à former l’Académicien, une grande érudition, un ftile élégant, un goût délicat, & fur-tout une jufteffe de raifon & de philofophie fupérieure au goût, au ftile & à l’érudition. Je m’abftiens d’en dire davantage fur cet ouvrage, & de parler du deffein que vous avez eu d’entrer par-là dans la ligue qui vouloit arracher le divin Homère de la place d’honneur qui lui eft déférée depuis tant de fiècles : je me garderai bien de me mêler dans cette illuftre querelle. Ce qui me paroît certain, c’eft que votre attaque vous mérite deux éloges ; l’un, parce que vous y avez montré plus de modération que n’en avoit le héros d’Homère, combattant contre les Troyens, ou difputant contre le Chef des Grecs ; l’autre, parce que dans le choix des chofes que le monde doit eftimer, vous avez donné la préférence à cette ([1]) Philosophie fublime, qui n’eft autre que la raifon éclairée. Refte à juger fi la raison éclairée, en remarquant les défauts d’Homère, ne lui adjugera pas encore le premier rang, malgré fes défauts mêmes.

Je parlerai plus volontiers des éloges qui font dûs à la nouvelle Hiftoire ([2]) que vous avez donnée au public : elle en mérite particulièrement par le deffein que vous vous y êtes propofé, non d’amufer, mais d’inftruire le lecteur & de former fes mœurs. Dans ce fiècle, livré peut-être plus qu’aucun autre aux bagatelles indécentes, aux libelles amufans, aux fatyres qui n’épargnent ni les hommes, ni les Dieux, on eft heureux de trouver encore quelques Ecrivains auffi fages qu’ingénieux, qui veuillent bien s’étudier à déguifer adroitement, fous ce frivole qu’on recherche & dont on ne s’amufe que trop, des leçons utiles de probité, de religion, de modeftie & de défintereffement.

Feu M. de Cambrai vous en avoit donné l’exemple par fon Telemaque, ouvrage auffi utile qu’intereffant. Votre Hiftoire tend au même deffein, & elle a auffi fes graces. Je ne les égalerai pas cependant à celles de Telemaque ; vous en feriez vous-même offenfé : vous, dis-je, qui ayant mis Telemaque au deffus de l’Iliade ([3]), lui avez donné par là un rang que perfonne n’oferoit ni ufurper, ni accepter même fans rougir. Mais après l’admirable Telemaque, il y a encore bien des rangs d’honneur auxquels des ouvrages de même nature peuvent parvenir. Le vôtre, Monsieur, en mérite un diftingué par la diction qui en eft pure & fouvent brillante, par la philofophie qui en eft fage, par les événemens qui en font intéreffans & inftructifs, & fur-tout, comme je l’ai dit, par le deffein que vous vous êtes propofé en l’écrivant. Ce deffein manifefte tout ce que vous fentez en vous-même de goût pour la vertu : vous vous y êtes peint fans y penfer ; & lorfque j’ai lu votre ouvrage, ne vous connoiffant pas encore, j’ai cru dès-lors voir dans votre cœur les principes de toutes ces vertus que vous rendiez fi aimables dans votre Héros.

C’eft par cet endroit fans doute que vous avez mérité dans l’Académie des Sciences l’amitié & l’eftime de vos Confrères. L’Académie Françoife ne fait pas moins de cas de la vertu & de la probité : elle compte ces qualités au nombre de celles qu’elle cherche dans ceux dont elle fait choix. Ciceron mettait la probité au nombre des qualités de l’Orateur ; il la plaçoit même la première. L’Académie Françoife adopte fa maxime, en imitant fon éloquence : elle méprife les talens, quelque brillans qu’ils foient, fi ce luftre leur manque ; & malgré les murmures du vulgaire, ces Ecrivains, dont la plume simple, médifante, ou impure, attire de frivoles applaudiffemens, font parmi nous méconnus ou déteftés.

C’eft particulièrement par la probité, c’eft par les vertus, fi j’ofe dire, de fociété & de commerce, que vous nous devez dédommager de la perte que nous avons faite de M. le comte de Morville, dont vous prenez la place. C’eft par cet endroit feul que l’Académie a befoin d’être confolée, d’être dédommagée ; car pour la réputation, pour la gloire que fes vertus lui ont acquife parmi nous, elle subfiftera toute entière, & la mort n’ôte rien, ni à lui, ni à vous. C’eft le privilège des fociétés comme la nôtre de s’enrichir chaque jour de leurs propres pertes, & de conferver à jamais la gloire dont chacun de fes membres l’enrichit en y entrant. Dans les fociétés communes, les perfonnages qui les forment fe fuccèdent les uns aux autre, fans en augmenter les tréfors : heureux s’ils ne perdent rien de ce qui fait le fond & le mérite de leur Corps. L’Académie femble avoir un privilège fupérieur : ceux qui y entrent dépofent entre fes mains la réputation qu’ils ont acquife, & qu’ils acquièrent chaque jour. Leurs ouvrages, leurs talens, leurs belles actions, leurs vertus forment & augmentent d’âge en âge ce fond de richeffes qui fait fa gloire. Si elle fe donne de nouveaux membres, elle ne perd pas les anciens : ils vivent encore parmi nous : ils font dans nos mains, s’ils ont écrit : ils reftent dans nos hiftoires, s’ils ont honoré leur vie par leurs emplois & par leurs actions.

Monfieur de Morville vivra parmi nous par la gloire de fes emplois, ou plutôt par celle qu’il s’eft acquife en les exerçant : il y vivroit même encore par des ouvrages agréables & enjoués ; fruits des amufemens de fa jeuneffe, ou des délaffemens d’un âge plus mûr, s’il ne les avoit fait fupprimer tous avant que de mourir. Nous nous en plaindrions, fi ce n’étoit la piété qui lui a infpiré cet humble détachement ; mais nous n’ofons nommer injuftice, ce qui, à titre de facrifice, a été offert à Dieu.

Pour ce qui eft de la gloire qu’il a méritée dans fes emplois, elle eft à nous ; & je fuis chargé par vous, Messieurs, dans cette occafion, de la conferver à nos fucceffeurs dans fon éloge. Ils ne verront pas fans étonnement la fingularité de la deftinée de M. de Morville ; c’eft-à-dire, d’un homme qui, à l’âge de quarante ans, avoit déjà épuifé tous les degrés de la fortune & tous fes revers ; d’un homme qui a fu affortir les fonctions fi différentes dont il a été chargé, de chacune des vertus qui leur étoient propres, & dont la retraite a été foutenue par d’autres vertus non moins précieufes. Orateur, Magiftrat, Ambaffadeur, Secrétaire d’Etat, Miniftre de la Marine, Miniftre des affaires étrangères, enfin fimple particulier, toujours égal dans ces divers états, & toujours aimé. Un tel homme fans doute eft un homme rare, & par fes aventures, & par fes mérites.

A peine a-t-il vingt ans, qu’en qualité d’Avocat du Roi au Chatelet, il parle tous les jours avec grace, avec force, avec érudition : & en lui la jeuneffe fe trouve étonnée de fe voir affociée déjà avec la gravité & la fcience.

A vingt-cinq ans, Procureur Général du Grand Confeil, il devient comme l’ame de cet illuftre Corps. Il y brille par fa droiture & par fon intelligence : cependant il n’oublie pas qu’il eft jeune ; mais fa modeftie fupplée à la maturité de l’âge, & elle lui concilie l’autorité qu’un autre ne devroit qu’à fa veilleffe.

Il avoit à peine paffé trente ans, qu’on l’arrache à ces fonctions qui demandoient un homme droit, un homme ferme & inflexible ; & tout-à-coup on le tranfporte dans un emploi qui demande le plus, un caractère fouple, adroit, infinuant, je le dirois prefque, rufé & diffimulé. D’ailleurs l’Ambaffade de Hollande qui lui fut deftinée, étoit difficile. On fait quelles étoient alors les préventions qui éloignoient de nous cette République ; préventions fomentées par l’antipathie déclarée de quelques-unes des premières têtes de cet Etat.

Monfieur de Morville avec fa franchife, fa probité, fa bonne foi, fit ce que d’autres effayent fouvent de faire par la rufe & la diffimulation. Les cœurs lui furent bientôt ouverts, & par lui ils le furent à la Nation. On jugea de nous par lui ; & par lui nous parûmes aimables, eftimables, fociables à une République auparavant ennemie & défiante à l’excès. On peut juger de ce fuccès de Monfieur le Comte de Morville par les négociations plus importantes, plus étendues & plus difficiles, dont il fut chargé au bout de deux ans, en qualité de Plénipotentiaire au Congrès de Cambray. Là, fe conduifoit cette négociation fingulière, qui fera un problème pour les fiècles à venir ; négociation qui, fans paroître rien décider, opéroit dans toute l’Europe, une paix plus durable que celle qui eft fixée par des traités ; & qui, prolongée pendant plufieurs années, fufpendue enfuite, transférée à Soiffons, féparée enfin comme par hafard, fe trouve en apparence fans conclufion, & cependant fans rupture.

Monfieur de Morville n’y fut pas long-temps : la fortune vouloit le montrer à tous les emplois, l’effayer pour ainfi dire fur chacun ; & contente de fon effai, le transférer auffi-tôt à un autre. Un an après on le fait Secrétaire d’Etat, & on le charge du détail important de la Marine. De-là il paffe auffi rapidement au Miniftère des affaires étrangères.

Dans ce pofte délicat & difficile, où le Miniftre du Roi eft obligé, pour la défenfe de fes intérêts, de lutter pour ainfi dire fans ceffe contre toutes les Puiffances de l’Europe, de difcuter toutes leurs vaines prétentions, & de combattre à tout moment ou leur hauteur, ou leur ambition : dans ce pofte, dis-je, Monfieur de Morville fut conferver tout enfemble, & l’eftime de fon Maître, & celle des Ambaffadeurs qui négocioient à la Cour. Miniftre fecret fans être rufé, careffant fans s’avilir, franc & fincère fans imprudence, grave fans être fier. C’eft trop peu dire qu’il gagna l’eftime de tant d’hommes choifis de toutes les Nations : elle alloit jufqu’à la confiance & l’amitié ; & tous fe font fait un plaifir de lui en conferver les marques, lorfque la fortune toujours légère dans fes careffes, s’offenfa de ce qu’il fembloit vouloir la fixer par l’égalité de fon humeur & de fon caractère.

Elle lui préparoit une chute auffi rapide que fon élévation, lorfqu’il fut la prévenir par une retraite généreufe, honoré de l’eftime & des graces de fon Maître. Il n’avoit pas couru après la fortune, elle étoit venue comme d’elle-même s’offrir à lui ; il lui ôta le plaifir de confommer fur lui fa légèreté ; il renonça de lui-même à fon Empire ; & il montra par fon choix, qu’on peut être heureux fans fes careffes, content fans fes tréfors, & grand fans les bienfaits.

Il le fut en effet dans fa retraite par cette égalité d’efprit, de conduite & d’humeur qui l’avoit fuivi par-tout, & par le concert des vertus domeftiques, trop fouvent méprifées des grands perfonnages. Dans le fecret de la maifon & du cabinet, les Héros qui brillent au dehors ceffent quelquefois d’être des hommes, ou plutôt ils font plus homme que les autres par leurs humeurs, leurs bifarreries, leurs défiances & leurs paffions. L’époufe, le domeftique, le courtifan éprouvent de moment à autre la petiteffe de ces génies que le monde eftime fi grands. M. de Morville accoutumé dans tous les états divers à ne négliger aucunes des vertus civiles & privées, en recueillit le fruit dans fa retraite, & il en éprouva la douceur. Bon mari, bon fils, bon maître, bon père, bon ami ; après avoir dépouillé les titres qui attiroient la foule & les refpects, il fe trouva encore environné d’une famille aimable, & d’une multitude d’amis. Sa maison, pour être moins tumultueuse, n’en était guère moins fréquentée : ce n’était plus des audiences, mais ce n’était pas non plus une solitude : l’empreffement des amis rempliffoit abondamment le vide qu’avoient laiffé les Cliens. On faifoit fa cour, non à fon crédit, mais à fa probité, à fes connoiffances fur tous les arts, à fon goût pour les belles lettres. Les Miniftres étrangers ne venoient plus négocier, mais ils venoient converfer, & ils y venoient affidûment : ils lui avoient confervé cette confiance qu’ils n’accordent ordinairement qu’à l’eftime, & qu’ils refufent prefque toujours à la dignité. Un d’entre eux, Ambaffadeur & beau-frère d’un grand Empereur ([4]), quoique d’une Religion différente, lui donna en mourant une marque bien fingulière de cette confiance commune : il fit exécuteur de fon teftament celui qui n’avoit plus d’autre rang pour mériter cette diftinction, que fa feule probité.

Ce qui doit ajouter un nouveau luftre au mérite de la vie privée de M. de Morville, ce fut le refpect qu’il eut toujours pour l’autorité qui étoit paffée en d’autres mains, & l’eftime qu’il conferva pour M. le Cardinal qui en étoit le principal dépofitaire. Honoré de l’amitié de ce Miniftre, & des graces qu’il reçut par fon canal, M. de Morville en parlait volontiers avec éloge ; il s’entretenoit avec plaifir du mérite des événemens aufquels il n’avoit plus de part ; & il admiroit fur-tout dans le Miniftre, auffi modefte que puiffant, une vertu qu’il avoit chérie & cultivée lui-même avec tant de foin, & j’ofe le dire, avec tant de fuccès.

Puis-je nommer ici, Messieurs, M. le Cardinal de Fleuri, fans donner quelques momens & à vos fentimens pour lui, & à ma reconnoiffance, duffai-je m’écarter de mon objet ? Celui que je vous préfente, ne vous eft pas étranger : c’eft votre Confrère ; c’eft lui qui eft aujourd’hui votre Directeur ; & fi le fort l’a choifi, nos vœux fecrets le confirment. Je remplis fa place par votre ordre ; mais je n’ai accepté cet honneur que pour lui en rendre hommage, & pour expofer dans cette occafion, ce que vos cœurs & le mien reffentent pour un Miniftre dont chacun de nous feroit fon ami, s’il étoit moins grand.

Que dis-je, moins grand ! Les dignités l’élèvent au-deffus de nous, mais fa modeftie l’en rapproche ; elle lui fait oublier tout ce que fon rang a de grandeur, & le plus puiffant des fujets eft aujourd’hui le plus fimple, le plus modefte, le plus affable.

La France a vu plufieurs fois des Cardinaux Miniftres, qui, par les prodiges de leur gouvernement, ont mérité divers éloges des fiècles futurs ; mais ils n’étoient pas moins grands par le fafte de leur dignité, que par la puiffance qui y étoit attachée. Ils cueilloient le jufte fruit de leurs travaux par les richeffes & les dignités qu’ils amaffoient dans leur maifon. Ils méritoient les refpects, mais ils ne les haïffoient pas : ils aimoient à fe voir entourés d’une Cour nombreufe, d’une foule de domeftiques, quelquefois d’une garde auffi formidable que celle de leur Maître.

Je vois dans le Cardinal Miniftre une autre forte de prodige ; c’eft celui que le fage admiroit, & dont il doit avec étonnement : où le trouverons-nous ? Un homme au milieu de tous les biens, qui n’en veut pofféder aucun ; difpenfateur de tous les bienfaits, il ne prend rien, il ne reçoit rien, il refufe ce qui lui eft le plus légitimement attribué, ce qui lui eft le plus gracieufement offert par fon Roi. A peine fait-il s’il a un nom, s’il a des parens ou des alliés : ceux-ci n’obtiennent que des graves communes, & des graces méritées par leurs propres fervices.

Je le vois, auffi puiffant, auffi abfolu qu’aucun de ceux qui l’ont précédé dans le même rang ; mais je le vois & fans fafte & fans fuite ; j’approche de fon appartement fans effuyer de rebuts ;: je ne rencontre fur ma route ni garde ni défenfe ; à peine vois-je quelques domeftiques tous auffi obligeans que leur Maître eft affable : je pénétre jufqu’à fon cabinet fans trembler ; il fe montre feul, mais je vois autour de lui toutes fes vertus, fa modeftie, fa douceur, fa piété, fon détachement ; cette garde ne m’effraye pas : je parle avec la confiance qu’il excite lui-même ; & foit qu’il accorde ou qu’il refufe, il n’importe, je le quitte en lui livrant & mon amour & mon eftime.

Heureux le Prince qui a fu choifir un Miniftre auffi défintéreffé que fidèle ; un Miniftre fans hauteur, fans fiel, fans paffions, fans humeur, fans cupidité : plus heureux d’avoir puifé dès fa jeuneffe, dans les inftructions & les exemples de ce fage conducteur, cette piété, cette bonté, cette modération qui relève l’éclat de la Majefté, & qui, fans affoiblir nos refpects, captive nos cœurs & notre amour. Heureux fon Peuple, fi, malgré le penchant qui le porte à murmurer toujours, à critiquer & à fe plaindre, il fait connoître le bonheur qu’il a d’obéir à un Roi affable dans fa Cour, pacifique dans fes deffeins, religieux dans fes devoirs, chafte dans fes plaifirs, modéré dans tous fes défirs.

Me fuis-je trop écarté de mon fujet, Messieurs ? Au moins vous me l’avez pardonné : ce que je fai de vos fentimens, m’affure que je l’ai vu fans vous déplaire. Je reviens au premier objet de nos éloges & de nos regrets, & je contemple encore un moment notre Confrère dans la fin de fa courfe. Ce moment n’eft pas le moins brillant pour lui : il eft auffi le plus inftructif pour nous. Une vie ornée de tant de vertus morales, que le monde louoit & eftimoit, lui déplut à lui-même aux approches de ces momens où les grandeurs, les fciences, les applaudiffemens, les vertus même qu’on peut appeller profanes, font rangées au nombre des vanités. C’eft ainfi que l’on en juge, lorfque la lumière de l’Éternité qui approche, commence à diffiper les ombres qui nous cachent les défauts de ces biens & de ces vertus. M. de Morville éclairé de bonne heure par cette favorable lumière, accourut à Dieu de bonne foi, il s’humilia, il gémit ; peut-être trouva-t-il de quoi gémir & s’humilier dans tout ce que nous avons cru fi louable en lui, felon les vues humaines. Il mit en Dieu feul fa confiance, & il nous laiffa en mourant cette falutaire leçon qu’il donna à fa famille : qu’il n’y a rien de vraiment eftimable que les vertus chrétiennes, rien n’eft folide que la Religion, rien n’eft heureux ou confolant que la fidélité à la pratiquer ; & que, comme l’a dit un grand Roi, après avoir épuifé toutes les délices de l’efprit & des fens, tout eft vanité fur la terre, & rien autre chofe que vanité.

 

[1] Préface de la differtation fur l’Iliade.

[2] Hiftoire de Sethos.

[3] Differtation fur l’Iliade, chap.2. art.I.

[4] Le Prince Kourakin.