Discours de réception de Boivin de Villeneuve

Le 29 mars 1721

Jean BOIVIN le Cadet, dit BOIVIN de VILLENEUVE

Discours prononcé le Samedi 29. de Mars 1721
PAR MONSIEUR BOIVIN, lorfqu’il fut reçu à la place de feu M. HUET, ancien Evêque d’Avranches.

 

MESSIEURS,

J’ai toujours regardé l’honneur d’être admis dans cette illuffre Compagnie, comme le plus digne objet de l’ambition d’un homme de Lettres. Quelle gloire en effet pour un Poëte, pour un Orateur, pour un Grammairien, de recevoir par vos mains une couronne que les plus illuftres têtes n’ont pas dédaignée !

 

Oui, MESSIEURS ; ceux que les plus grandes dignités, ceux même que les plus grandes actions élevent au-deffus des autres, hommes, femblent oublier leur rang & leur grandeur, pour venir goûter le plaifir de fe mêler ici parmi vous. Oferois-je le dire ? Le titre d’Académicien ajoute en quelque façon un nouveau lustre à la plus haute nobleffe, & rehauffe l’éclat de la pourpre même.

 

Mais l’éclat feul ne doit jamais nous éblouir. Si ce que nous faifons n’eft utile, la gloire, que nous en attendons, eft vaine & méprifable.

 

Le defir, MESSIEURS, d’être affocié par vos fuffrages à des perfonnes du premier ordre, n’eft pas une vaine ambition. C’eft une émulation louable, qui n’a pour objet que la vraie & folide gloire. Combien d’excellens efprits auroient langui dans l’oifiveté, fe feroient endormis dans le foin de la pareffe, dangereufe ennemie du travail & de l’étude, fi le defir, ou de fe voir un jour affis parmi vous, ou de mériter du moins votre approbation, ne les avoit réveillez, ne les avoit engagez à faire d’heureux efforts, & à travailler utilement, foit pour le Public, foit pour eux-mêmes ?

 

Je ne le diffimule point, MESSIEURS. Ce defir, quelque ambitieux qu’il me parût, eft entré plus d’une fois dans mon cœur, m’a foûtenu, m’a fortifié, non pas tant contre ma pareffe, que contre ma timidité naturelle. Le triomphe de ceux que j’ai vû de tems en tems remporter le prix, où j’afpirois fecretement, l’honneur que je ne pouvois m’empêcher de leur envier, quoique je les en cruffe plus dignes, m’a fouvent porté à entreprendre ce qui étoit au-deffus de mes forces.

 

Et comment ceux à qui la fortune n’a donnné que de foibles fecours pour fortir de l’état obfcur où ils font nez, ne chercheroient-ils pas à s’ennoblir par un honneur où il leur eft permis d’afpirer, lorfqu’on voit un de ceux-mêmes chez qui la grandeur n’eft pas un don de la Fortune, mais un bien héréditaire, difputer le prix de l’Eloquence aux plus fameux Orateurs, & par un difcours noble, fimple, élégant, qu’on diroit que les Graces lui ont dicté, mériter de vous un fuffrage que vous ne pouviez refufer au nom qu’il porte ?

 

En vain l’émulation, amie du travail, & mere de beaux ouvrages, trouveroit ici fa récompenfe, fi après y avoir été couronnée elle y demeuroit oifive. Mais non, MESSIEURS, elle n’en devient que plus active & plus jaloufe de fa propre gloire. J’en prends à témoin tant de chefs-d’œuvre d’Éloquence & de Poëfie, tant de bons livres d’Hiftoire, de Critique & de Littérature, qui fortent continuellement de vos mains, que le Public reçoit avidement, & qui foutiennent fi bien la réputation de leurs Auteurs. Et n’eft ce pas dans cette Académie, que Demofthene, Ciceron, Horace, Plutarque, & tout ce qui nous refte des meilleurs Auteurs des bons fiécles, ont appris à parler notre langue en nous communiquant les richeffes des deux plus belles langues du monde ?

 

Que la poftérité reconnoiffante rende donc d’éternelles actions de graces à la mémoire du Cardinal de RICHELIEU, qui n’ayant eu jamais en vûe dans tous fes projets, que l’utilité publique & la gloire du nom François, connut le premier, & fit connoître à LOUIS le Jufte, que l’inftitution de cette Académie étoit également utile & glorieufe à la France.

 

Que les fiécles les plus reculés fe fouviennent qu’après la mort de votre premier Bienfaiteur vous trouvâtes, MESSIEURS, un fecond Mecéne dans le Chancelier Seguier, dont la Maifon fut l’azyle des Sçavans, & dont le fang refpire encore ici le même amour pour les Lettres.

 

Que ceux qui célébreront à l’avenir les actions de LOUIS LE GRAND, n’oublient pas qu’un Roi, Protecteur des Rois, voulut bien fe déclarer le Protecteur de l’Académie Francoife.

Le nom de LOUIS LE GRAND, MESSIEURS, vous fait fouvenir avec douleur de la perte que vous fîtes, lorfque le Ciel l’enleva trop tôt à la terre, quoique plein de jours & raffafié de gloire.

 

Mais vous ne l’avez point perdu. Vous le voyez renaître dans l’héritier de fon Nom & même de fon Sceptre. Vous y retrouvez déja la même protection, & vous y retrouverez dans peu les mêmes vertus. Que ne devons-nous point efperer & des heureufes difpofitions qu’il a reçûes du Ciel en naiffant, & de l’éductation qui les cultive ?

 

Cependant, MESSIEURS, les Sciences, les Lettres, & les beaux Arts fleuriffent en France plus que jamais, fous les yeux d’un Prince qui a toujours aimé ce qui fait l’objet de nos études & de notre admiration. Protecteur de toutes les Académies, il feroit le premier dans chacune par fes talens, s’il ofoit fuivre le goût que la nature lui a donné. Mais l’attention qu’il doit à la confervation de ce Royaume, l’appelle à des foins bien plus importants.

 

Le fouvenir de ce que vous devez, MESSIEURS, à vos bienfaicteurs, me fait infenfiblement oublier ce que je dois à la mémoire de l’illuftre Académicien auquel je fuccede.

 

Le fçavant Monfieur Huet a fait admirer fon érudition, non feulement chez les Etrangers, juftes eftimateurs d’un mérite dont l’éclat ne frappant que de loin leurs yeux, ne pouvoit ni les bleffer ni les éblouir ; mais plus encore dans fa Patrie, qui lui a toujours rendu juftice, & qui le regardoit comme un de fes principaux ornemens.

 

Il avoit brillé dans fa jeuneffe parmi ces grands hommes, que nous réverons aujourd’hui comme les Héros de la Littérature. Les Sirmonds, les Petaux, les Saumaifes, les Bocharts, virent éclorre la premiére fleur de cet efprit, dont l’heureufe fécondité devoit produire dans la fuite cette abondante varieté de fruits, qui ont enrichi pour jamais, la République des Lettres.

 

Vous connoiffez, MESSIEURS, tout ce qu’il a écrit en Vers, en Profe, en Latin & en François. Dans quel genre d’écrire n’a-t’il pas mérité la haute eftime que le Public a faite de fes Ouvrages ? Poëte ingénieux, excellent Critique, Hiftorien, Philofophe Théologien, il étoit lui feul une Académie entiére de Scavans ; ou pour mieux dire, il réuniffoit en lui feul tout le fçavoir de plufieurs Académies.

 

L’érudition chez lui n’étoit ni fauvage, ni rebutante. Humain, affable, prévenant d’une converfation aifée & agréable, il fçavoit plaire aux ignorans mêmes.

 

Ce n’eft pas à moi de lui donner la louange qu’il a méritée d’Académicien diligent & affidu. Heureux ceux qui ont profité de fa diligence, & qu’il a eu pour témoins de font affiduité !

 

Plus je confidére, MESSIEURS, ce qu’il étoit & ce que je fuis, plus je cherche en moi même, par où j’ai pû mériter l’honneur de lui fuccéder. Seroit-ce par quelque conformité de mes études avec les fiennes ? Je cours véritablement dans la même carrière : mais combien fuis- je éloigné du but où il a atteint !

 

Difons la vérité, MESSIEURS, puifque vous m’avez mis en quelque manière dans la néceffité de juftifier votre choix ; l’immenfe Bibliotheque, dont l’ufage auroit dû multiplier mes connoiffances, fi mon efprit avoit été moins borné, le College Royal, & l’Académie des belles Lettres, où j’ai l’honneur d’avoir pour Confreres tant de fçavans hommes ; tout cela, MESSIEURS, aura pû vous faire croire que vous trouverez en moi ce que vous avez trouvé dans les excellens fujets, que la même Académie, la même Ecole, & la même Bibliotheque vous ont fournis.

 

N’y auroit-il point trop de vanité à dire que l’amitié dont m’honorent des perfonnes, d’un elprit & d’un ordre fupérieur, a pû me tenir lieu de mérite auprès de vous ? ou que le bonheur que j’ai depuis long-tems, d’être à portée de puifer dans les plus pures fources du bon goût, & de confulter les plus grands Oracles de notre fiécle eft peut-être ce qui a déterminé votre choix ?

 

Mais quelque raifon qui ait pû vous prévenir fi favorablement pour moi, cette prévention me fait trop d’honneur, MESSIEURS, je comprends, trop toute l’étendue de votre bien-fait, pour ne pas fentir vivement, & pour oublier jamais à quoi m’engage la connoiffance que je vous dois.