Réponse au discours de réception de Jacques Adam

Le 2 décembre 1723

Henri-Emmanuel de ROQUETTE

Après que Monsieur ADAM eût achevé son Discours, Monsieur l’Abbé DE ROQUETTE, respondit.

Messieurs,

Enfin vos vœux & les nostres sont satisfaits ; un Prince éclairé, juste, reconnoissant, touché du soin que vous avez pris de cultiver son enfance, vous proposoit pour éleve à l’Académie, & plein des idées de la vraye gloire, il regardoit le titre d’Académicien comme la plus honorable distinction, qui pût récompenser la fidélité de vostre attachement, & l’importance de vos services.

Pouvions-nous ne pas accepter un gage si précieux de son estime & de sa bienveillance ? non, MONSIEUR, c’eût esté trahir nos propres interests. Vous aviez si j’ose le dire une espèce de droit acquis &c légitime sur la place que vous occupez. Depuis l’heureux jour où le grand Cardinal de Richelieu fonda cette Compagnie, elle s’est fait un honneur (j’adjouterois presque) un devoir, d’associer à ses travaux Académiques ces hommes choisis & distinguez, qui ont travaillé pour l’Estat, en formant des Princes soigneux de faire fleurir les Arts & les Lettres, & capables de remplir les devoirs de leur naissance.

Dans la tristesse & la désolation que nous cause la perte de six Académiciens, enlevez en moins d’un an ; la joye de vous recevoir, la présence des Augustes Personnes qui honorent vostre réception, suspendent & adoucissent nostre douleur ; mais qui peut tarir la source de nos larmes ?

Nous regretterons à jamais le pieux, le sçavant, l’illustre Confrère à qui vous succédez. Rien n’affoiblira parmy nous la vive impression de ses vertus.

Qu’on en nomme une qui ne fut pas la sienne ; la candeur, la droiture, l’affabilité, la douceur, l’exacte probité, firent pour ainsi parler le fond de son estre ; & s’il est permis d’adopter icy il pensée d’un Auteur prophane, cet homme simple & modeste sembloit moins l’image de la Vertu, que la Vertu mesme.

La nature luy prodigua les talents de l’esprit, l’estude luy acquit les richesses du sçavoir. Un jugement solide, se trouvoit joint en luy à une pénétration profonde. Un goust exquis en tout genre de littérature, avec une mémoire vaste, & fidelle. Un génie facile, & une ardeur infatigable pour le travail. Elle le suivit jusqu’entre les bras de la mort. Ouy, MESSIEURS, nous l’avons vu ce vénérable Vieillard accablé sous le poids des ans & des infirmités, traisner icy presque mourant les débris d’un corps usé par les veilles, y venir nous communiquer ses lumières, profiter des nostres, & ce qui est encore plus rare dans un homme sçavant, nous l’avons vû sousmettre avec docilité ses décisions, au jugement de ceux-mesmes qui respectoient les siennes.

Adjoutez aux dons de la nature ceux de la grâce. Une pieté sincère & éclairée, une soif ardente & insatiable de la vérité, une charité sans bornes. Une fidélité scrupuleuse à s’acquitter de tous ses devoirs. Le mespris des honneurs, le détachement des biens périssables. L’amour de la retraite au milieu des pompes de la Cour, & pour comble de perfection, une vie pure, exemplaire, irréprochable.

Ses premières inclinations le portèrent à l’estude des Loix, & aux pénibles exercices du Barreau, mais Dieu l’appelloit à des fonctions plus relevées. Il estoit né pour instruire les Grands.

Les prémices de ses soins furent consacrées à l’éducation de Messeigneurs les Princes de Conty. A ce nom quelles nobles ? quelles magnifiques idées se reveillent dans nos esprits ? Germanicus l’objet passager de la tendresse des Romains, Titus les délices de l’Univers, reparoissent à nos yeux dans la personne de ces deux Princes.

Ils furent élevez à l’ombre du Trosne, sous les regards de LOUIS LE GRAND. Ce juste estimateur du mérite qui sçavoit si bien le mettre en œuvre, & proportionner les emplois aux talens, sur la foy de ses propres yeux, jugea M. l’Abbé Fleury digne d’estre admis à la gloire de former encore deux jeunes Héros. L’un réservé par le Ciel, pour porter sur le Trosne d’Espagne les vertus des Rois de France ; l’autre qui ne fut monstré à la France, que pour exciter ses regrets, mais qui renaissant dans son Auguste postérité, devoit relever les ruines de la famille Royalle, & devenir la ressource de nos espérances.

Que manquoit-il à la gloire de M. l’Abbé Fleury ? Ses leçons, ses exemples plus forts, plus persuasifs que les leçons, l’avoient rendu pour ainsi dire le père des Princes & des Rois. Mais la Providence le destinoit à quelque chose de plus grand encore. A poser les fondemens de la félicité publique, en aidant à former un Roy selon le cœur de Dieu. A seconder par ses avis salutaires, le zèle & les succès des Grands Hommes, qui surveilloient à l’éducation Royale. A régler par les Loix austères de la conscience, des inclinations naissantes, qui dans leurs progrès, & dans leur force appuyée de tout le pouvoir de la Royauté, doivent décider du bonheur des peuples, & du salut de celuy qui les gouverne. A graver de plus en plus dans le cœur tendre & docile du jeune Monarque, la crainte du Roy des Rois, & l’amour de ses Sujets. C’est par là que l’homme de Dieu couronne ses travaux, & remplit ses glorieuses destinées.

Tant d’Emplois si nobles, si importans, ne le détournèrent jamais de la Loy qu’il s’estoit prescrite d’estre utile au public, & de faire servir la science à la religion. On voyoit partir de ses sçavantes mains des Escrits pleins de l’onction céleste, & dignes de la plume des premiers Pères de l’Eglise.

Qui peut louer assez dignement son Histoire Ecclésiastique ? Ouvrage immortel, où la postérité ne trouvera d’autre deffaut, que celuy de n’avoir pas esté conduit jusqu’à la fin. Tissu merveilleux de narrations simples, naïves, mais intéressantes. La doctrine s’y trouve si habilement liée, & comme enchaisnée avec les évenemens, que l’instruction s’insinue sous l’appas de la curiosité, & que le cœur se sent touché du désir de voir le restablissement de la discipline & des mœurs, en mesme temps que l’esprit est estonné du prodigieux nombre d’erreurs qu’il enfante.

Qu’il me soit permis, MESSIEURS, d’exposer à l’Assemblée une réflexion que la conjoncture me fait naistre. Elle est trop avantageuse à l’Académie pour la passer sous silence. Cinq Auteurs Grecs d’un rare sçavoir, ont pris soin dans les premiers Siécles de transmettre aux Siécles suivans les fastes de la primitive Eglise, & sans eux la foy, la constance, la ferveur des premiers Chrestiens demeuroient ensevelies dans l’oubly. De nos jours trois célèbre Escrivains François, animez du mesme esprit ont recueilly les restes précieux de l’Antiquité Sacrée, & tous trois sortent du sein de cette fameuse Escole. Tellement que par la sublimité de ses vues, par la noble émulation de ses enfans, elle embrasse dans la vaste estenduë de ses travaux, les deux plus grands objets qui puissent occuper l’esprit humain ; les Exploits, les Conquestes, les Victoires, les Vertus des Rois ses protecteurs qu’elle célèbre en toutes occasions : les Combats, les Triomphes, les Oracles de l’Eglise, la Mère commune des Fidèles, dont elle garantit les Annales, des outrages du temps.

Pour vous, MONSIEUR, si jusqu’icy renfermé dans vos devoirs, sans faste, sans ambition, sans empressement pour la fortune ; vous avez cultivé les Muses dans le secret & le silence ; & négligé de vous faire un nom éclatant dans la République des Lettres, recevez aujourd’huy la récompense de vostre modestie & accoutumez vos yeux à l’éclat qui se répand sur vous. Il est une obscurité volontaire & respectable, qui rehausse le prix de la vertu, & qui luy donne un nouveau lustre. C’est estre au dessus de la gloire, que de sçavoir la mespriser. Mais la gloire se plaist quelquefois à chercher ceux qui la fuyent, à vaincre la pudeur & la timidité du vray merite. La fonction que j’exerce icy, m’oblige de dévoiler le vostre, & d’exposer au Public les trésors que vous luy cachez.

Pour peu que vous vous prestiez au commerce de la Société : on découvre bientost une estenduë, une plénitude de connoissances utiles, agréables, & tellement diversifiées, que l’on trouve tousjours en vous l’agrément de la nouveauté.

La Fable, l’Histoire, les Orateurs, les Poètes sont rangez dans vostre mémoire avec tant de netteté, d’ordre, de précision, que vos conversations peuvent tenir lieu de lecture.

Les Langues mortes & vivantes, vous sont connues, vous sont familières.

Les Mémoires de ce fameux Guerrier , que l’Empire consterné, opposa vainement à la France pour contre-balancer la valeur & la prudence des Condés & des Turennes ; ces Mémoires, dis-je, ont reçu comme un nouveau jour par celuy que vous leur avez donné dans nostre Langue ; & malgré la précaution que vous avez prise de supprimer vostre nom, ils le porteront aux Siécles à venir, avec celuy de ce grand Capitaine.

Mais ce qui releve infiniment ces qualitez naturelles & acquises, c’est le rapport, la conformité qui se trouve entre M. l’Abbé Fleury & vous, mesme sincérité, mesme droiture, mesme désintéressement, mesme probité, & dans des professions differentes, mesme régularité, mesmes mœurs ; en force que la nature, ou plustost la Providence, sembloit nous designer en vous, celuy qu’il falloit choisir pour le remplacer dignement, & que vous ne succédez à une partie de ses fonctions, qu’après vous estre approprié la pluspart de ses vertus.

Avec un si rare assemblage de talens & de perfections, pouviez-vous présumer, MONSIEUR, que vous seriez tousjours le maistre de vous dérober au grand jour, & l’honneur d’avoir si heureusement conduit les estudes d’un Prince du Sang, n’estoit-il pas un présage assuré que la gloire de vostre éleve rejailliroit enfin sur vous. Jouissez, MONISEUR, du plaisir de l’avoir mis en estat d’instruire & d’éclairer les autres. Goustez la joye secrette qu’on lit dans vos yeux, lorsque vous voyez chaque jour briller en luy ces traits de lumière, qui partent d’un esprit vif, aisé, pénétrant, élevé, agréable.

Faut-il que je sois obligé de sacrifier à sa modestie tout ce que mon cœur m’inspire sur son sujet, sa présence me retient. Mais l’amour de la justice, le zèle du bien public, le dévouement au Roy, & à la Patrie, sont des louanges qu’on ne sauroit luy refuser, qu’il ne peut refuser luy-mesme, & seules elles suffisent pour accomplir son Eloge.

Ce Prince qui connoist par luy-mesme l’utilité de vos instructions, dépose ce qu’il a de plus cher entre vos mains. Il vous confie ses espérances ; sûr d’une capacité déja éprouvée. Il attend de vous les premiers succès du dessein qu’il se propose, de faire passer dans l’heritier de sa grandeur tout le sçavoir, toute la vertu, & tout le héroïsme de ses ancestres.

Que ce dessein si grand, si digne de luy, si utile à l’Estat, & qui roule en partie sur vos soins, ne vous fasse point oublier nos interests particuliers. Il est de vostre fidélité, il est de vostre reconnoissance, de faire renaistre dans vostre nouveau disciple les sentimens d’estime & d’affection, que l’Oncle, & l’Ayeul eurent pour cette Compagnie. Elle ose se vanter de n’avoir pas esté tout-à-fait inutile à leur gloire. Ces lieux ont retenty du bruit de leur renommée, & des prodiges de leur intrépide courage.

Gran, Neuhausel, Steinquerque, Nervinde, y ont esté célébrez plus d’une fois. Après donc que vous aurez mis devant les yeux du Héros naissant ces exemples domestiques, qui doivent l’animer si puissamment à la, vertu. Apprenez luy que la protection dont le Roy nous honore, est un titre qui doit nous assurer celle des Princes du Sang Royal ; qu’ils se sont empressez à l’envy de nous indiquer des sujets, qui pussent soustenir la réputation de l’Academie.

Qu’il sçache par vous, MONSIEUR, que nous avons porté nostre ambition jusqu’à souhaiter que le Prince qui luy a donné la naissance, mît le comble à ses faveurs, en se donnant luy-mesme à nous. Eh plust au Ciel que la déférence que nous avons marquée pour ses désirs, fut un attrait assez puissant, pour l’engager à souffrir, à désirer mesme, que la postérité voye son nom meslé avec les nostres. Il entend nos vœux, & pour un cœur avide & capable de toute forte de gloire, quel motif plus pressant que ces vœux mesmes.

Leurs Altesses Serenissimes Monseigneur le Prince de Conty, Madame la Princesse de Conty, Mademoiselle de la Roche-sur-Yon.

Montecuculli.