Discours de réception Claude Gros de Boze

Le 30 mars 1715

Claude GROS de BOZE

DISCOURS prononcé le 30 Mars 1715, par M. GROS DE BOZE secretaire perpétuel de l’Académie Royale des Infcriptions & des médailles, lorfqu’il fut reçu à la place de M. de Fenelon, Archevéque Duc de Cambray.

 

MONSIEUR,

Je me croirois fort à plaindre fi vous ne connoiffiez d’autre Éloquence que celle des paroles : Une joye extrême m’en laiffe à peine l’ufage, & je ne feus que trop en ce moment, qu’elle dérobe à ma reconnoiffance jufqu’aux expreffions les plus communes.

 

Souverains difpenfateurs d’une gloire durable, votre fuffrage met le comble aux honneurs de l’Efprit, il ajoûte aux dignités du fiécle, il releve les avantages de la Naiffance, il immortalife. Quel Titre avois-je, MESSIEURS, pour prétendre à ce haut degré de faveur, & comment avez-vous pû, j’ai prefque dit ofé, vous prêter à mon ambition ? N’avez-vous point à craindre encore que dans cette Affemblée même il s’éleve quelque voix hardie qui vous reproche le Succeffeur que vous donnez à un Académicien auffi diftingué que l’étoit M. l’Archevêque de Cambray. L’impoffibilité de le remplacer, qui fait fi dignement fon Eloge, fera-t-elle auffi fûrement votre excufe?

 

Non qu’il faille le parer ici de l’ancienneté de fa Nobleffe : il fembloit ne s’en fouvenir lui-même que pour être plus fidéle à tous fes devoirs, & un zéle femblable à celui qui fit les premiers Heros du Chriftianifme, le confacra dès fes plus brillantes années à l’humble emploi des Miffions Apoftoliques.

 

L’Héréfie profcrite par un Edit à jamais mémorable, demandoit alors, pour être enfin détruite, le fecours de ces Hommes fages & ardents, fimples & profonds, qui par la folidité des difcours, & plus encore par la régularité des exemples, fçavent confondre les funeftes préventions de l’erreur. Il fut choifi pour lui porter ce dernier coup dans les Provinces où elle s’étoit établi une efpéce d’Empire, & où fous de fauffes idées de conftance, elle infultoit à la rigueur des Loix.

 

Que ne peut la Vérité dans une bouche éloquente ! FENELON parle, les ténebres fe diffipent ; il plaît, il inftruit, il perfuade, il entraîne les cœurs, lors même qu’il ne fonge qu’à convaincre l’efprit, Des villes entiéres fignalent l’abjuration, de leur aveuglement fur les débris de leurs Temples, & les Miniftres détrompez reviennent à la tête du troupeau qu’ils avoient égaré.

 

Sa modeftie fut trahie par l’éclat du fuccès ; la Cour reconnu fes divers talents ; le Prince confia l’Education de fes petits-Fils à celui qui avoit fi heureufement travaillé au falut de fes Peuples.

 

Dois-je vous rappeller, Éducation précieufe ! Digne objet de l’attention du plus grand des Rois ; Honneur immortel de ceux qu’il a daigné y commettre fous fes yeux. Auguftes Difciples ! Vous avez trop tôt rempli les efpérances de votre Guide ; il fouhaitoit de vous voir parfaits : que ne l’êtes-vous devenus plus lentement. Le Ciel qui n’a fait que vous montrer à la Terre, vous a cuëillis comme des fruits déja mûrs : Vos jours ont été comptez par le nombre de vos connoiffances ; & ce qui manquoit à votre âge a été remplacé par vos Vertus.

 

Heureufe la Nation que Dieu, a traitée moins févérement que nous, & à qui il accorde de pofféder encore dans fon Roi ce qui refte de cette noble portion de la Sageffe de LOUIS, & des foins de FENELON.

 

Il fçut, MESSIEURS, vous intéreffer, il vous affocia prefque à un fi glorieux Emploi. Il défira, il obtint une place parmi Vous : il vint y puifer cette dernière perfection, dont il n’y a point de régles écrites, & qui ne peut s’acquérir que par un commerce intime avec les plus grands Maîtres. De-là fes beautés naïves et riantes, ces tours nobles & hardis, ces expreffions fines & délicates, ces graces vives & légères, qui caractérifent tous fes Ouvrages ; & qui jamais peut-être ne fe font montrées fi abondamment que dans ceux qu’il refufoit d’avoüer ; parce qu’échappez aux heures perduës d’une plume plume facile, ils expofoient trop la fécondité de l’imagination.

 

Les befoins d’un grand Diocèfe vous arrachèrent bientôt cet illuftre Confrère. Obligé de s’y livrer tout entier, il y porta en en quelque forte les Thréfors de l’Académie : Ces Trésors, qui pour être répandus avec profufion, ne font jamais diffipez, cette lumiére dont l’éclat augmente à mefure qu’elle éclaire plus d’endroits différents. Par lui la Théologie reçoit des ornemens, qui fans la rendre moins refpectable ou moins profonde, raniment fans ceffe le courage des lecteurs. Lettres, Sermons, Mandements, FENELON ramene tout à votre goût ; il marque tout au coin de l’Immortalité.

 

Mais, où m’engage infenfiblement une matiére réfervée à des bouches Evangéliques. Qu’elles publient à la face des Autels ce que fa piété ajoûtoit à fon Eloquence, ce qu’une charité fans bornes lui faifoit entreprendre de grand, de pénible, fouvent même de fupérieur en apparence à toutes les forces humaines. Qu’elles le reprefentent tranfporté de ce zèle, de cet amour fi fur-naturel auquel s’abbandonnant dans la chaleur d’un premier combat, il fit craindre aux Légions du Seigneur qu’il ne tournât contre elles le glaive de la parole. Qu’elles expriment, s’il fe peut, l’heureufe & furprenante rapidité de fon retour à l’immuable Drapeau, dès qu’il entendit la voix du Chef. Pour moi, j’ofe à peine porter jufques-là mes regards. Je croirois entrer dans le Sanctuaire, & toucher d’une main profane ces vafes facrez dont la feule vuë infpire une crainte religieufe. M. l’Archevêque de Cambray ne doit s’offrir à moi qu’en qualité d’Académicien : qualité que l’éloignement & l’Epifcopat n’avoient pu rendre fterile, & qu’il a mérité jufques dans les derniers tems de fa vie par d’amples Mémoires fur ce que l’Éloquence & la Poëfie attendent encore de vos recherches.

 

Il fembloit, MESSIEURS, avoir appris de votre Fondateur même, de quelle conféquence il eft de joindre les richeffes de la Science aux dignitez de l’Eglife, & d’unir la Littérature à la Religion, pour les faire concourir au bonheur de l’État. C’eft l’idée que votre Hiftoire donne du grand ARMAND : & c’eft de ce point de vùë qu’il eft beau de le confidérer foulant aux pieds les titres pompeux ou terribles que la crainte & l’admiration lui avoient donnez à l’envi.

 

Ce n’eft plus ce Miniftre entreprenant & infatigable, qui par les refforts cachez d’une Politique immenfe agite l’Univers entier ; affermit ou ébranle à fon gré les Trônes des Rois ; qui porte nos armes victorieufes au delà des Alpes, & donne des chaînes à la mer, quand elle favorife des rebelles. C’eft l’Ami, le Protecteur des Mufes, qui fenfible & délicat fur la véritable gloire, les engage à être pour jamais les Dépofitaires de la fienne. Que j’aime à le voir, ce Légiflateur paifible, exciter les travaux dans fa République naiffante, régler lui-même la forme de vos exercices, entrer dans les moindres détails de vos occupations.

 

Une mort prématurée l’enleva aux Lettres, à la Patrie ; mais le nom de SEGUIER brilloit déjà à la tête de vos Faftes, Héritier du goût & de la tendreffe de Richelieu, le foin de vous conferver devint pour lui la plus chere portion du Miniftére.

 

Comment fuivrai-je le cours de vos deftinées ? J’entrevois ce jour éclatant où LOUIS vous adopta & vous logea dans fon Palais. A fon afpect les fleurs renaiffent fur le Parnaffe ; les Mufes femblent ne s’être exercées que pour lui dans l’art de faire des Couronnes immortelles. Votre reconnoiffance lui confacre les veilles des plus grands Poëtes, des meilleurs Hiftoriens, des plus excellens Orateurs.

 

Eft-ce l’effet de l’air qu’on refpire ici ? A peine affis parmi vous, un fecret mouvement m’excite à célébrer fes actions héroïques ; vous n’avez pas encore dénoué ma langue, & déjà je brûle d’entreprendre un Panégyrique que vous regardez vous-mêmes comme le Chef-d’œuvre de l’Éloquence. Mais non, MESSIEURS, ne craignez rien du zèle qui m’anime, je fçaurai modérer des tranfports qui commettroient votre réputation, ou qui trahiroient vos bontez. Je n’ai qu’à me rappeller combien de fois quoique foutenu par quelque connoiffance des Éloges, dont la flatterie des Grecs & l’orgueil des Romains ont chargé les monumens de leurs Princes, j’ai fenti la difficulté d’exprimer fur le marbre & fur le bronze les plus fimples véritez d’un Régne fi fécond en merveilles. Heureux d’avoir pu, en même tems approcher une Princeffe[1] qui moins diftinguée par le brillant amas de Sceptres & de Couronnes qu’elle voit à fes côtez, que par fes lumiéres & par fa grandeur d’ame ; mais qui plus eftimable encore par fon tendre dévouëment pour le Roi, en répand les douces impreffions fur tout ce qui l’environne. Quelles avances & quelles reffources l’efprit n’a-t’il pas coûtume de trouver dans les fentimens du cœur !

 

Vous m’ouvrirez encore, MESSIEURS, de nouvelles routes ; vous me familiariferez avec ces traits originaux & prefque divins, qui doivent peindre & tranfmettre jufqu’à la derniére poftérité mille Héros dans un feul, le vrai Chrétien, le grand Homme, le Conquérant, le Pacificateur, le Reftaurateur de la Difcipline militaire, le Protecteur des Arts, le Deftructeur de l’Héréfie, le Père de fes fujets, l’Exemple des Rois, l’admiration des Peuples les plus reculez.

 

Déjà formé, comme pour vous, par un grand Maître, par ce digne Confrère[2], fur qui vous jettez d’abord les yeux, fans attendre que je le défigne au moins fous les noms de Varron & de Mécene, un double intérêt m’engage à recueillir le fruit de vos doctes Leçons avec la plus fcrupuleufe exactitude. L’obligation de feconder vos deffeins pour la gloire de votre Augufte Protecteur ; & l’envie de mériter enfin les bienfaits qu’il daigne répandre fur moi depuis long-tems.

 

[1] S.A.R. MADAME.

[2] M. l’Abbé de Bignon.