Réponse au discours de réception du baron de Montesquieu

Le 24 juin 1728

Jean-Roland MALLET

Reponse de M. MALET, Directeur de l’Académie, au Difcours prononcé par M. le Préfident DE MONTESQUIEU, le 24 janvier 1728.

 

Monsieur,

Vous avez parfaitement juftifié le choix de l’Académie par le Difcours que vous venez de prononcer. Penfées brillantes, tours heureux, expreffions vives & ferrées ; tout nous annonce qu’après avoir donné dans un Augufte Tribunal des marques d’une juftice exacte, vous allez employer pour la gloire de la République des Lettres ce feu d’imagination, cette élévation d’efprit, dont tous vos Ouvrages font remplis. Mais le Public perdroit trop, fi vos amis en étoient plus long-tems les feuls dépofitaires. Né dans une Province, où l’efprit, l’éloquence, & la politeffe font des talens naturels ; connu par plufieurs Differtations fçavantes, que vous avez prononcées dans l’Académie de Bourdeaux, vous ferez prévenu parce même Public, fi vous ne le prévenez. Le génie qu’il remarque en vous le déterminera à vous attribuer les Ouvrages Anonymes, où il trouvera de l’imagination, de la vivacité, & des traits hardis ; & pour faire honneur à votre efprit, il vous les donnera malgré les précautions que vous fuggerera votre prudence. Les plus Grands Hommes ont été expofés à ces fortes d’injuftices ; Rendez donc au plûtôt vos Ouvrages publics, & marchez à la gloire que vous méritez. Plus vous vous ferez connoître, plus on applaudira au choix que nous avons fait de vous pour fuccéder à M. de Sacy.

Cet Académicien, dont la mémoire nous fera toujours chere, avoit toutes les qualités que demandoit cette Profeffion, qui dans Rome & dans Athenes élevoit ceux qui l’exerçoient aux premieres Charges de la République. Une voix touchante, une prononciation agréable, un gefte libre, une phyfionomie heureuse, une mémoire exacte & fidelle. Habile à démêler la vérité des faits, éclairé dans le choix des moyens, folide dans fes preuves, noble & simple dans fes expreffions, il fit toujours honneur aux Loix, foit en les foûtenant, foit en les interprétant. Il fe faifoit admirer par la beauté de fon efprit, rechercher par la douceur de fes mœurs, aimer par la bonté de fon cœur. Il étoit poli, obligeant, défintereffé, & les affaires ne lui ôtoient rien de fon enjouement. Il joignit aux qualités d’habiIe Avocat, & aux vertus d’aimable citoyen tous les talens d’un bon Académicien.

Monfieur de Sacy, trouvant beaucoup de fineffe dans les penfées de Pline le jeune, affez d’agrément dans le ftile, infiniment de nobleffe dans les fentimens, en fit une étude particuliere. Dans la Traduction qu’il a donnée des Ouvrages de cet Orateur, il eft aifé de remarquer les nouvelles beautés que ce fidèle interprête a ajoûtées aux richeffes de l’original ; mais ce qui fait le plus d’honneur à fon efprit & à fon cœur, c’eft fon Traité de l’Amitié.

Perfuadé, que prefque tous les hommes s’en piquent, fans la connoître & fans en remplir les devoirs, il travailla à donner des regles & des principes à cette difpofition naturelle, qui les porte à s’aimer les uns les autres ; il n’oublia rien pour leur apprendre qu’il n’y a de véritable amitié que celle, qui n’a pour fin que l’amitié même, & pour convenance que la vertu. Il examina avec une attention réfléchie l’objet & la nature de l’Amitié, les qualités propres à la former, les précautions que nous devons prendre avant de nous y engager & les devoirs qu’elle nous impofe.

Mais fi la vertu lui parut la fource la plus pure de l’amitié, il la regarda auffi comme le feul chemin qui peut conduire à la gloire ; il effaya même de nous en tracer quelques préceptes. Pouvoit-il plus dignement remplir les vûes de notre illuftre Fondateur ; car fi la feule ambition convenable aux grands Hommes eft de faire des actions dignes d’être écrites, la nôtre eft d’écrire des chofes dignes d’être lûes.

Jufteffes de penfées, folidité de raison pour les foûtenir, ftile fimple & naturel pour les exprimer ? Voilà en peu des mots notre étude, notre fcience, & notre gloire. Plus nous nous défions de nos connoiffances, plus nous en acquerons ; plus nous cherchons à mériter des louanges, moins nous en demandons ; plus nous avons de difcernement pour diftinguer le beau du médiocre, & le parfait de ce qui ne l’eft pas, plus notre critique doit être douce, & notre approbation méfurée. Ainfi pour être Académicien, ne croyez pas, Monsieur, n’avoir d’autre fonction que de juger ce que les autres font ; & ne craignez point d’être obligé de louer ce qui ne fera pas digne de l’être ; affidu à nos exercices vous en ferez bientôt perfuadé, & vous travaillerez vous-même avec nous à faire connoître l’utilité de l’établiffement de l’Académie.

Notre jeune Roi s’en eft déclaré le Protecteur ; venez nous aider à lui en marquer une refpectueufe reconnoiffance, & à célébrer fa piété, fa douceur, & le juste difcernement qu’il a fait paroître en mettant à la tête de fes Confeils & de fes Miniftres le même Prélat, à qui fon augufte Bifayeul avoit confié le foin de fon éducation.

Ce refpect pour le choix & la mémoire du plus grand des Rois eft d’autant plus louable, que ce Cardinal, également judicieux & actif, pénétre avec facilité le fond des affaires les plus importantes, en démêle toutes les circonftances, en prévoit toutes les fuites, & prend les moyens les plus fages & les plus doux pour les concilier. Sans ambition, fans fafte, & maître de lui-même, il ne forme que des deffeins glorieux à fon Prince & utiles à fa Patrie. Tous fes foins n’ont pour objet que d’affurer par une paix durable le repos & la tranquillité de l’Europe. Nous en recueillerons les fruits les plus précieux par le rétabliffement entier de notre commerce, & par de nouveaux foulagemens.

Grand Dieu ! qui tenez dans vos mains le fort des Rois & des Peuples, nous n’aurons plus rien à fouhaiter, quand vous aurez accordé à des Sujets fidèles un Dauphin, qui foit un jour pour la gloire & la félicité de ce Royaume, le digne héritier des qualités vraiment Royales du plus aimable des Rois, & de la plus vertueufe des Reines.