Réponse au discours de réception de Jean-Joseph Languet de Gergy

Le 18 août 1721

Jean-Roland MALLET

Reponse de Monsieur MALLET, Directeur de l’Académie, au Difcours prononcé par Monfieur LANGUET, Evêque de Soiffons, le jour de fa reception, le 18 aout 1721.

 

Monsieur,

Je n’entreprendrai point de repondre aux louanges que vous donnez à l’Académie, ni de vous donner celles que vous méritez : Nous avons fuivi les loix ordinaires & prefcrites pour les Elections fi vous montez aujourd’hui d’un degré dans la République des Lettres, le remercîment que vous venez de faire à l’Académie, juftifie la fageffe de fon choix & la confirme dans l’opinion qu’elle avoit de vous.

Il regne dans toutes les parties de votre Difcours une diction pure & polie, une imagination vive & féconde, un génie noble & élevé. Ces talens font hereditaires dans votre Famille, & l’on y trouve également de quoi former l’accord harmonieux de l’Eloquence, & celui de la Politique.

De plus grandes qualités & de folides vertus me font paffer légérement fur votre érudition, & fur l’étendue de vos connoiffances : mais ne dois-je pas fçavoir que la louange n’eft qu’une foible récompenfe de la vertu, & que les perfonnes, qui font comme vous, élevées aux premiéres dignités de l’Eglife, ne l’écoutent jamais fans peine, & la regardent prefque toujours comme une politeffe dangereufe, qui allarme leur modestie ?

Je n’ai ni l’intelligence ni la capacité néceffaires pour parler de cette douceur & de cette charité, dont vous portez les principes dans le cœur, de cette fimplicité & de ce zele qui vous font enter dans les differens befoins du troupeau qui vous eft confié. Je connois tout le prix de ces vertus, mais je craindrois d’en affoiblir la gloire.

En me fervant du pouvoir que l’Académie donne à ceux qui ont l’honneur de parler pour elle, je dis vous dire, MONSIEUR, que vous entrez dans une Compagnie qui ne connoit d’autres biens que ceux de l’efprit, & qui honore plus la Sageffe que la Fortune ; où regne une focieté douce, & une émulation noble ; où chacun de nous vient dépofer fes connoiffances & fes lumiéres, fe dépouiller de fon propre fonds, & par un échange continuel & volontaire, s’enrichir de celui des autres. Plus vous avez de talens, plus vous contractez d’obligations. Affujetti à nos loix & à notre difcipline, fouvenez-vous, toutes libres qu’elles font, que vous êtes préfentement chargé d’une portion du travail commun.

Je ne vous parlerai point de la naiffance l’Académie ; c’eft l’ouvrage d’un grand Cardinal, plus recommandable encore par la force de fon génie, par l’importance & le succès de fes entreprifes, que par fes dignitez & par fa fortune. RICHELIEU, cette ame du premier ordre, & que le Ciel avoit choifie & deftinée pour être maîtreffe des autres, voulut en établiffant l’Académie, que chaque Académicien eût fon rang & fa fonction dans l’Empire des Lettres : vous venez partager avec nous l’honneur de cet établiffement, vous venez en même tems partager la reconnoiffance que nous devons à notre illuftre Fondateur, & vous ne pouvez nous refufer une partie du tems que vous n’employerez pas aux devoirs de l’Epifcopat.

Vous succedez, Monsieur, à un Magiftrat, qui avoit été jugé digne des premiéres places, long-temps, même avant que d’y arriver. Rappelons ces tems, où chargé de l’adminiftration generale de la Police, il en rempliffoit tous les devoirs avec autant de facilité que de vigilance. Une capacité éclairée & de détail adouciffoit la pefanteur du fardeau dont il étoit chargé : une feverité difcrete & compâtiffante ne lui faifoit punir que ce qu’il ne pouvoit corriger : une hardieffe fage & refléchie ne laiffoit rien aller au hazard de ce que la prudence pouvoit regler. Dans les occafions difficiles & tumultueufes, où les loix font prefque toujours fans force, où chacun occupé de fa propre confervation, écoute plus fa néceffité que la voix du Magiftrat ; on l’a vu également agiffant & tranquille pourvoir à tous les befoins, & rétablir par-tout l’ordre & la paix. Il perfuadoit les uns, il intimidoit les autres, il raffûroit ceux-ci par fa fermeté, il encourageoit ceux-là par fon exemple, & dans les dangers publics, il portoit lui-même les premiers fecours.

Les fatigues genereufes qu’il effuya pour remplir fes devoirs, & la reputation qu’il s’étoit acquife, le conduifirent enfin aux premieres dignités & aux premieres places. Cette reputation étoit d’autant plus folide, qu’elle étoit fondée fur des fervices dont le Public avoir recueilli tout le fruit & tous les avantages.

Et fi-LOUIS a affuré le repos & le veritable bonheur à fes Peuples en établiffant les Loix d’une Jurifprudence entièrement confacrée à l’utilité commune, j’ofe dire qu’il a fait honneur à fa fageffe en confiant le précieux dépôt de fes ordres à un Magiftrat auffi capable de foûtenir l’autorité de ces mêmes Loix.

C’eft par des choix auffi heureux & auffi fages qu’un Roi fait paroître la fuperiorité de fon difcernement : mais toutes les actions de LOUIS ne font-elles pas marquées à ces mêmes caracteres de prudence & d’équité ? Vous avez fait, MONSIEUR, un fi beau portrait de fes vertus, & vous avez expliqué avec tant d’éloquence la protection dont il honora l’Académie en l’approchant de fon Trône, & en la croyant néceffaire à la gloire de la Nation, que je me contenterai de dire que fi LOUIS fut par fa naiffance le grand des Rois, fes exploits, fa juftice & fa pieté l’ont rendu le plus grand des hommes.

Que de vertus à imiter ! & quelle glorieufe fucceffion à recueillir Four notre Jeune Roi ! Sa fanté l’a rendu pendant quelques jours l’objet de notre douleur & de nos craintes ; mais il eft devenu par une prompte guerifon, celui de notre joye & de nos efperances : elles font encore augmentées par la connoiffance que cet accident nous a donnée de fa fermeté, & de la bonté de fon tempérament, & nous voyons avec plaifir dans fes yeux & fur fon vifage ces mêmes rayons de Majefté temperés par des traits de douceur & de bonté qui produifent le refpect & l’amour dam le cœur des Peuples. L’Illufttre Prélat, qui eft chargé de fon inftruction, trouve dans toutes fes actions des gages affûrés de notre fécilité : ce qui manque à l’âge eft remplacé par un heureux naturel, & dans la faifon des premières fleurs, il porte déjà des fruits. Que n’en devons-nous point attendre, puifque la Providence a placé auprès de fa perfonne un Grand Homme, capable par l’amour de la verité, & le zele du bien public, de former une ame vraîment royale (vertus &é emplois héreditaires dans Sa Maifon) ; & que le Prince qui nous gouverne, & qui joint les richeffes de toutes les fciences à tous les principes d’équité, de politique & de gouvernement, lui apprendra le grand art de regner & les moyens d’affûrer le bonheur de la Nation ?