Réponse au discours de réception de Bernard de La Monnoye

Le 23 décembre 1713

Jean d’ESTRÉES

RESPONSE DE M. L’ABBÉ D’ESTRÉES, Commandeur de l’Ordre-du Saint Efprit, au Difcours de Monfieur de la Monnoye.

 

LE devoir de reconnoiffance, MONSIEUR, dont vous venez de vous acquitter envers la Compagnie, eft une nouvelle obligation que vous luy avez, parce qu’en vous impofant ce devoir par fes Statuts, elle vous donne lieu, & vous met en droit de publier vous-mefme, pour ainfi dire, voftre mérite.

 

La remercier aujourd’huy du choix qu’elle a fait de Vous, c’eft apprendre à toute la France que vous eftes un de ces hommes illuftres par leur efprit & leur capacité, qu’on fepare de la multitude, pour leur donner un rang, où il eft permis à très-peu de perfonnes d’afpirer. Il eft de certaines graces qui ne font honneur qu’à ceux qui les accordent ; mais il en eft d’autres qui font la gloire de ceux qui les reçoivent ; telles font toutes celles qui font la recompenfe de la vertu & des autres bonnes qualitez perfonnelles, telle eft celle que vous recevez maintenant.

 

Elle doit Vous flater d’autant plus agréablement, qu’elle a efté accompagnée de circonftances qui fe rencontrent rarement dans ces fortes d’occafions. Les fuffrages fe trouvent d’ordinaire partagez par le mérite des divers Prétendants. Celuy qu’on vous connoift depuis long temps n’a permis à perfonne de balancer ; quelle gloire pour vous, MONSIEUR, que ce confentement general & unanime en voftre faveur !

 

Tout a contribué à vous faire honneur en cette rencontre. Depuis un tres grand nombre d’années, l’Affemblée n’avoit jamais efté fi brillante que le jour de voftre Election. Tout ce que l’Académie a de plus illuftre à la Cour, & de plus diftingué dans la Prélature voulut y avoir part. On y vit la Pourpre donner un nouvel efclat à cet augufte lieu, & les membres de l’Académie, qui en font reveftus, s’y réunirent exprès pour confpirer au choix qu’on devoit faire de voftre perfonne.

 

Qu’auriez-vous peu fouhaiter de plus, MONSIEUR ? je crois mefme que voftre modeftie, qui fait voftre principal caractere, & à laquelle feule vous devez vous en prendre, fi l’on ne vous a pas fait pluftoft l’honneur que vous recevez aujourd’huy, a un peu fouffert de cet efclat extraordinaire ; & elle n’avoit garde d’afpirer à rien de plus glorieux ; mais cette vertu à laquelle on apptaudit tousjours, lorfqu’on la voit juftement honorée, eft fouvent heureufement trompée, dés que le mérite qu’elle cache efclatte malgré elle. Le voftre, MONSIEUR, a efté jufques aux oreilles du Roy, & le fidelle recit qu’on luy a fait, a attiré de fa part à voftre Election une approbation également honorable pour l’Académie & pour vous.

 

Car ce grand Prince, qui par les victoire de l’année précédente fit accepter la paix à la plufpart de fes ennemis, & qui par la prife des deux plus fortes places d’Allemagne vient d’obliger enfin le plus animé de tous à concourir avec luy à la confommation de ce grand ouvrage. Ce grand Prince attentif à tout, daigne entrer en mefme temps dans les interefts de cette Compagnie qui a l’honneur de l’avoir pour fon Chef & pour fon Protecteur.

 

Nous nous féliciterions avec encore plus de joye de vous voir prendre place parmi nous, s’il ne nous en avoit pas coufté la perte de voftre illuftre Predeceffeur. Quelque dignement que vous le remplaciez, nous nous fouviendrons tousjours que nous l’avons perdu, & les traits mefmes par lefquels vous luy reffemblez, nous en rappelleront fouvent l’idée. Cette perte m’eft tres-fenfible à moy en particulier qui l’aimois tendrement, & elle l’eft à toute la Compagnie à qui il a rendu tant de fervices & fait tant honneur.

 

On peut dire que feu Monfieur l’Abbé Regnier Defmarais eftoit le modelle d’un parfait Académicien, & par fes belles qualitez & par l’ufage qu’il en a fait ; fon efprit naturellement poli avoit efté cultivé par l’eftude & par un travail continuel. Divers ouvrages qu’il a donnez au public en noftre langue monftrent jufqu’à quel point de perfection il la poffedoit. Il en connoiffoit à fond tout l’art & tout le génie.

 

Maiftre de fon expreffion & de fon ftyle, foit dans fes grands ouvrages, foit dans une infinité de petites piéces d’efprit qui luy fervoient de delaffement, il fçavoit y mettre toutes les graces dont la matiere eftoit fufceptible. On y voit par tout la fimplicité & le naturel joints à l’élégance & à la Nobleffe.

 

Il reüffiffoit également en Profe & en Vers : Son Poeme de la vie du Roy merite de voir le jour. On y connoiftra le feu & l’elevation dont le grand âge n’avoit rien diminué.

 

Tous ces talents efoient relevez dans M. l’Abbé Regnier par une probité generalement reconnue, par une droiture, une fincerité, un amour de la vérité dont on ne le vit jamais s’efcarter. Son amitié par là faifoit honneur à ceux qu’il appelloit fes vrais amis, parce qu’il ne la leur donnoit que quand il reconnoiffoit en eux ces mefmes qualitez aufquelles feules il accordoit fon eftime.

 

Tel eftoit celuy, MONSIEUR auquel vous fuccedez dans l’Académie : la maniere dont vous y avez efté receu fait connoiftre qu’on n’y a pas de vous une idée moins avantageufe !

 

Voftre réputation n’eft pas moins generalement eftablie, il n’y a gueres d’homme d’efprit, pour peu qu’il ait de commerce avec le monde, qui ignore l’eftendue de fes connoiffances dans les belles Lettres, combien vous eftes versé dans la lecture des anciens Autheurs, foit Latins, foit Grecs, combien tant de belles connoiffances font heureufement rangées dans voftre efprit. Quel plaifir on a de vous voir refpandre ces threfors dans les converfations fçavantes, quand les occafions s’en prefentent. Combien vous vous eftes formé le gouft avec ces grands Maiftres, & combien vous avez donné de preuves de la delicateffe que vous avez prife dans leurs ouvrages, par ceux qui vous font efchappez, de temps en temps, & qui vous ont tousjours merité l’approbation & l’eloge du public.

 

Mais, MONSIEUR on attend de vous que vous imitiez encore voftre Predeceffeur dans le zele qu’il avoit pour l’Académie, dans fon application au travail, dans fon affiduité aux Affemblées. Vous fçavez les nouveaux projets qu’elle a formez pour l’utilité publique & pour le progrès de la belle litterature. Vous y devez contribuer par l’ufage de vos talents, & par toute l’application dont vous eftes capable. Attaché comme vous avez tousjours efté à tous vos devoirs, on fe promet que vous ferez fidelle à celuy-cy, qui vous devient effentiel au moment que vous devenez membre de cette Compagnie.