Discours de réception du marquis de Mimeure

Le 1 décembre 1707

Jacques-Louis de VALON, marquis de MIMEURE

Discours de Mr. le Marquis DE MIMEURE, prononcé le I. Decembre 1707. lorfqu’il fut reçu à la place de Mr. Coufin.

 

MESSIEURS,

Voicy donc le jour heureux, & malgré moy fi long-temps differé, où je puis enfin vous rendre grace de vos fuffrages, & commencer à jouïr de l’honneur où ils m’élevent.

Un prompt départ a fufpendu pendant plus de fix mois les tefmoignages publics que je vous devois de ma fenfible reconnoiffance ; mon devoir m’appelloit loin de vous, & me preffoit d’aller fervir voftre augufte Protecteur. Mais mon zele, je l’avouë, tout ardent qu’il eft pour fon fervice, n’eftouffoit pas en moy un fecret murmure de l’amour propre. Dans l’incertitude de ce que les hazards de la guerre pouvoient me referver, je partis plein de regret de n’eftre pas encore initié à vos myfteres. Si voftre choix, MESSIEURS, fembloit me promettre de participer un jour à voftre gloire, il ne raffuroit pourtant pas affez mes efperances, puifque mon nom n’eftoit pas encore efcrit parmy ceux de tant de perfonnes illuftres dont voftre Compagnie a tousjours efté compofée.

Tous les hommes, plus portez à s’aimer eux-mefmes qu’à fe connoiftre, & fenfiblement touchez que la mefure de la vie foit renfermée dans des bornes fi eftroites, fe flattent d’en prolonger en quelque forte la durée après la mort, par la reputation qu’ils ambitionnent de s’eftablir ; & foit chimere, ou raifon, c’eft un fentiment naturel qu’il feroit difficile & mefme dangereux deftruire, & de leur ofter.

En effet, MESSIEURS, le defir de vivre mefme au-delà du tombeau, eft le reffort puiffant qui dans tous les âges a fait agir les grands Hommes, a formé les Conquerants, les Politiques, & les plus celebres gens de Lettres.

C’eft une verité qui s’eft fait fentir vivement dans la conduite du fameux Cardinal de Richelieu. Ce grand Homme de qui le genie fublime, fuperieur à fa haute fortune, & de qui les actions à jamais memorables font fi fouvent prefentes à noftre fouvenir, après avoir par la force & la fageffe de fes confeils oppofé les premiers obftacles aux vaftes deffeins de la Maifon d’Auftriche ; après avoir attaqué l’héréfie jufques dans fon axile, & foufmis les flots de l’Ocean aux loix de fon Maiftre : ce grand Homme, dis-je, ne crut pas que fa réputation fuft affez durable, s’il ne procuroit l’eftabliffement de voftre illuftre Compagnie. Cet eftabliffement, digne objet de fon ambition, fut le chef-d’œuvre de fa prudence & de fes lumieres ; il prévoyoit bien, MESSIEURS, que vos Ouvrages pafferoient dans tous les fiecles, &que voftre reconnoiffance feroit à fa mémoire le gage le plus certain de l’immortalité.

Ce fut dans les mefmes veuës, que ce fage Chancelier, ce digne chef de Juftice, qui du vivant de ce premier Miniftre, avoit voulu eftre receu dans voftre Société, s’attacha après luy à en maintenir l’honneur & les avantages ; qu’il vous receut chez luy, qu’il affifta fi regulierement à vos Affemblées, qu’il vous appuya de fon credit, qu’il vous honora de fes confeils, qu’il infpira aux plus confiderables de fon fang le mefme efprit & les mefmes foins, & qu’il crut enfin avoir à jamais éternifé fon nom, quand vous luy accordâtes celuy de voftre Protecteur.

Et quel autre motif que l’efperance de paffer à la pofterité, a pû engager à tant de veilles, & de travail, le fçavant Confrere que vous avez perdu ? Jamais regret ne fut plus legitime que celuy que vous avez de fa perte ; affidu dans vos Affemblées, & tant de fois utile au public pendant fa vie, foit par d’excellentes traductions, foit par un Journal judicieux où il donna durant quelques années un Précis jufte, & elegant de tout ce qu’il y avoit de plus rare, & de plus nouveau dans la Litterature, il a voulu encore perpétuer fes graces au public après fa mort, par le don précieux qu’il luy a fait de fa Bibliotheque.

Je me reconnois, je l’avouë, bien indigne de fucceder à un fi excellent Homme ; & quand je cherche, MESSIEURS, ce qui a pû vous engager à tourner les yeux fur moy pour remplir fa place, je n’y vois d’autre fondement que l’honneur que j’ay eu dés mes plus tendres années, d’eftre tiré du fonds de ma Province pour m’attacher à la perfonne du Fils du plus grand des Roys. Vous m’avez regardé, fans doute, en m’appellant parmi Vous, comme un tefmoin fidele des commencemens de la vie de Monfeigneur le Dauphin, & par là comme plus propre qu’un autre à vous informer des fentimens d’humanité nobles & pleins de grandeur qu’on luy a connus dés fon enfance, & de la vigilante attention qu’il a tousjours eue à fe former fur les exemples de fon augufte Pere. C’eft fur ce modelle qu’on l’a veu avec un courage intrépide, mais fimple, & fans oftentation, foufmettre le Palatinat entier en moins de deux mois, malgré la rigueur d’une faifon contraire, & faire tomber devant luy les remparts d’une Place fuperbe, qui eft encore aujourd’huy regardée comme la clef de l’Empire. Que fi dés fa premiere campagne il fceut s’attirer & l’eftime, & l’amour des troupes, il n’eft pas moins dans nos Villes les delices des peuples. Quel fut leur trouble, & leur inquietude, quand ils craignirent qu’une maladie cruelle ne mift en péril une vie qui leur eft fi précieufe ! Quel fut le tranfport de leur joye au retour de fa fanté !

J’ay lieu de penfer encore que s’il faut auffi vous rendre compte des deux campagnes où Monfeigneur le Duc de Bourgogne a commandé nos armées, l’honneur que j’ay eu d’y porter fes ordres, pourra donner quelque credit aux recits que j’auray à vous faire ; ma mémoire eft fidelle fur la haute idée qu’on y prit de luy, & fur le courage, & l’Intelligence qu’il y fit paroiftre. Quelle exactitude dans la difcipline ! Quel exemple de pieté & de regularité ! Puiffe un jour le Prince, que le Ciel luy a donné d’une Princeffe aimable, & qui luy eft fi chere, devenir comme fon pere, & comme fon ayeul, le digne imitateur des vertus de Louïs LE GRAND.

Je ne me donne donc à vous, MESSIEURS, que comme un Recueil hiftorique, fi j’ofe ainfi parler, où vous puiferez des faits que vous aurez foin de tranfmettre aux fiecles à venir : car la vie militaire, que j’ay menée depuis long-temps, ne m’a guere laiffé le loifir de cultiver le gouft naturel que j’ay tousjours eu pour les Lettres.

Ce gouft neanmoins dans fa naiffance avoit efté favorifé par un Homme du premier ordre, qui chargé du poids de l’éducation du grand Prince, auprès duquel on m’avoit appellé, ne dédaignoit pas de s’informer fi on prenoit foin de la mienne. Je parle icy de Monfieur le Duc de Montaufier qui nous a laiffé en fa perfonne un exemple remarquable, mais veritablement peu fuivi ; qu’on peut s’élever aux plus hautes dignitez de la Cour, fans art, fans flatterie, & avec un infléxible attachement à la verité, & à la juftice.

Vous trouverez peut-eftre, MESSIEURS, que je m’écarte icy de mon fujet, mais dans l’intereft que j’ay de vous perfuader quelle eft la reconnoiffance que je conferve à mes bienfaiteurs, pourriez-vous n’approuver pas que j’en tefmoigne pour celuy à qui je dois en partie les foibles connoiffances qui me reftent, fource de l’honneur que vous me faites aujourd’huy. J’ajoufterai mefme que c’eft peut-eftre de luy que je tiens un efprit de fincerité qui peut auprès de vous fuppléer à mon peu de mérite.

Car enfin, MESSIEURS, les plus nobles ornemens de l’Eloquence, & ces tours heureux & délicats qui donnent le prix à vos Ouvrages, me femblent aujourd’huy peu neceffaires au deffein d’éternifer le zele, & l’admiration que vous avez pour voftre Augufte Protecteur. S’il faut parler des merveilles de fa vie, ne fuffit-il pas que la fincerité foit noftre feule guide ? Tefmoins de tant de prodiges, ne fuffit-il pas que nous attirions pour eux la foy de la pofterité la plus reculée, par la fimplicité, par la multitude, & l’uniformité de nos dépofitions ?

Quel regne jamais fut marqué de tant de Victoires ? Nos Legions fous les ordres de ce grand Roy ; n’ont-elles pas efté tousjours invincibles ? En vain loin de fes yeux la fortune a-t-elle donné quelques marques de fon inconftance naturelle ; fon caprice n’a fervi qu’à nous frapper d’une nouvelle furprife pour une fermeté heroïque, que des fuccés prefque jamais interrompus avoient dérobée à noftre connoiffance. Il faut des temps difficiles pour mettre à l’épreuve les reffources d’un courage ferme. L’ame de Louïs fuperieure aux évenemens réunit fon activité, fans paroiftre occupée ; elle eftend sa prévoyance, elle embrasse tout, elle repare tout, fon courage nous ranime ; & fans porter la veuë au-delà de l’année mefme où je vous parle, (car pourquoy rappellerois-je inutilement icy, & des conqueftes, & des vertus que tant d’autres avant moy ont desja plus dignement célébrées ?) quelle moiffon de gloire pour Louis LE GRAND dans le feul cours de cette campagne ! La Flandre a veu reprimer l’audace d’un Ennemy fuperbe qui menaçoit de percer nos frontieres ; ce torrent impétueux qui fembloit vouloir tout inonder, a efté arrefté dans la premiere rapidité de fa courfe. L’Allemagne a éprouvé de nouveau la terreur de nos armes, nous avons porté le ravage jufques dans fon fein. Les rivages de la Méditerranée ont veu la retraite honteuse d’une flotte ennemie, & d’une armée temeraire qui leur preparoient des chaifnes. L’Efpagne a veu fes champs baignez du fang de ceux qui venoient l’envahir ; une victoire complette a ouvert la campagne ; elle s’y termine par la prife des Places les plus féditieufes, & par le triomphe d’un Prince digne du Sang dont il eft forti. La mer vient de voir ou pris ou bruflez ou difperfez les vaiffeaux de ceux qui s’arrogent fur elle un empire illégitime. Enfin malgré tous les efforts de l’Europe unie & conjurée, lorfqu’il a fallu attaquer, il femble que le Dieu de la guerre nous ait prefté fon épée ; quand il a fallu feulement se défendre, il femble que Pallas nous ait confié fon AEgide.

Après tant d’avantages, que ne devons-nous pas attendre du defir fincere que LOUIS LE GRAND conferve de reftablir & d’affurer la tranquillité des Nations ? Nous le fçavons, grand Roy, fi vous veillez avec fuccés à tendre vos Eftats contre la confpiration generale des Puiffances qui nous environnent ; Vous afpirez encore davantage à donner la Paix, & à foulager les peuples que le Ciel vous a foufmis. Que fi vos Ennemis tousjours unis par des fentimens de crainte & de jalousie, ou féduits par une confiance mal fondée, ofoient fe flatter de laffer noftre patience & d’épuiser nos forces ; qu’ils fçachent qu’auffi bien que voftre gloire, noftre zele n’a point de limites ; que nous facrifierons à jamais pour elle & nos biens & nos vies, & qu’ils reconnoiffent enfin à leur honte combien il y a de reffource, & de courage dans une Nation fidelle, gouvernée par un Maiftre à qui il nous eft fi glorieux d’obéir, & qu’il eft fi jufte d’aimer.

 Alors, MESSIEURS, quand après une Paix defirable & glorieufe mon devoir me permettra de me trouver foigneufement à vos Affemblées, je tafcheray par voftre commerce de me rendre plus digne du choix dont vous m’avez honoré ; j’efcouteray long-temps comme un difciple attentif & appliqué à s’inftruire : & fi ma foibleffe ne me permet pas de vous atteindre, content de vous applaudir, fi je ne puis vous imiter, je me flatte du moins que mes empreffemens, & mes foins affidus feront affez heureux pour vous plaire, & que ma venération pour cette illuftre Compagnie m’attirera quelque part à l’honneur de voftre bienveillance.