Discours de réception du marquis de Sainte-Aulaire

Le 23 septembre 1706

François-Joseph de BEAUPOIL de SAINTE-AULAIRE

M. le marquis de Saint-Aulaire, ayant été élu par l’Académie française à la place laissée vacante par la mort de M. Testu, abbé de Belval, y est venu prendre séance le jeudi 23 septembre 1706, et a prononcé le discours qui suit :

 

Messieurs,

Si je m’étois flatté de mériter l’honneur que je reçois aujourd’hui, rien ne seroit plus propre à me détromper, que l’obligation où je me trouve ici de vous en rendre graces. L’idée de perfection que j’ai prise dans vos ouvrages, le discours que vous venez d’entendre1, ces lieux même où tout annonce l’éloquence, ne me font que trop sentir ce qu’exige de moi le glorieux titre dont vous m’avez chargé, et m’avertissent qu’il n’est plus temps d’espérer de l’indulgence pour des sentimens mal exprimés.

L’inclination que j’ai toujours eue pour les lettres, au milieu même des exercices et des devoirs qui semblent en éloigner le plus, vous a rendus favorables à des désirs que je n’ai point cachés. Mais puis-je espérer que le peu de temps que j’ai donné à l’étude me serve d’excuse, quand je prends la place d’un Académicien, dont l’éloquence naturelle vous charma tant de fois, sans avoir besoin de secours étranger.

Une santé délicate ne lui permit guère d’étudier que le monde et vous. La vivacité de son esprit, l’ardeur de son tempérament n’étoient pas compatibles avec beaucoup d’application ; mais ce qu’il y perdoit n’étoit regretté que de lui seulement, on gagnoit à ne trouver en lui que lui-même, toujours assez paré de ses graces naturelles, assez riche de son propre fonds.

De cette source d’abondance coulèrent ces sermons remplis de l’onction qui touche le cœur ; ces poésies accompagnées des graces qui charment l’esprit, ouvrages où ses mœurs étoient peintes, et qui l’acquittoient en même temps envers la religion et envers l’Académie ; de là ces discours si dignes de l’attention, que l’on étoit comme contraint de lui donner quelquefois même aux dépens des droits naturels de la conversation.

Il sut mériter de bonne heure, par les qualités qui rendent le commerce agréable, et conserver toujours par celles qui le rendent sûr, l’amitié de plusieurs personnages illustres pare leurs dignités, plus illustres encore par leurs vertus ; et puisqu’on est semblable à ceux avec qui on aime à vivre, le nom seul de ses amis suffit à son éloge.

C’est trop vous arrêter, Messieurs, sur l’idée d’une perte que je suis si peu capable de réparer ; ce souvenir augmente tout à-la-fois votre douleur et ma honte ; cherchons plutôt à les diminuer par l’espérance de me voir former sur votre modèle, et faire quelques progrès auprès de vous sur les pas d’un illustre confrère qui, au milieu des applaudissements qu’il vous attire de la justice que vous lui avez rendue, fera peut-être oublier au public que vous m’avez fait trop de grace.

C’est par le moyen des sociétés savantes que les hommes ont trouvé le secret de mettre, pour ainsi dire, l’esprit en commun ; par là s’est établi un commerce où l’intérêt que chacun en retire passe de beaucoup le fonds qu’il y porte, où personne ne perd la possession ni l’usage de ce qu’il donne, où le travail particulier devient le profit de tous.

Sans ce concours aussi agréable qu’utile, me permettrez-vous, Messieurs, de le dire, vous ne rempliriez pas si dignement les espérances de ce sublime génie, qui par le succès de ses grandes vues, prévoyant la gloire de ce règne, vous en confia le précieux dépôt, et se reposa sur vous du soin d’en consacrer le monument à la postérité.

Les fleurs immortelles de l’éloquence qu’il fit éclore, et qui furent ensuite cultivées de la même main qui tenoit la balance de la justice, eurent encore besoin de l’abri dont votre auguste protecteur les favorise, pour devenir entre vos mains, dignes de le couronner.

Il ne falloit pas moins que l’assemblage de tous les talens acquis et naturels pour parler d’un Roi en qui toutes les vertus se réunissent ; et si, loin de vos savans concerts, j’osai faire entendre ma foible voix, lorsqu’il m’étoit permis de ne suivre d’autres règles que celles de mon zèle ; daigner, Messieurs, vous en souvenir, mon ambition se bornoit à célébrer quelqu’une de ces vertus aimables, que le grand nombre de celles qui sont plus éclatantes dérobe aux yeux du public.

Vous le savez, Messieurs, plus on l’approche, plus on l’admire, et ce point de vue si fatal à la gloire des Princes les plus vantés, ajoute, toujours quelque nouveau lustre à la sienne.

Jamais il n’est si grand ni si respectable, que lorsqu’il se laisse voir dépouillé de la pompe de la royauté et de l’éclat qui l’environne.

Quelques ennemis que la fortune lui suscite, quelques obstacles qu’elle oppose à ses desseins, ses efforts ne servent qu’o montrer toutes les faces du héros ; elle met au jour des vertus qui demeuroient oisives et inconnues, et dans son inconstance même elle est constante à servir sa gloire.

Où m’emporte ce zèle dont j’ai tant de raisons de me défier ! J’abuse de votre attention, Messieurs, quand celle que je vous dois m’est si nécessaire.

J’apprendrai, en vous écoutant, à exprimer les sentiments d’admiration qui me sont communs avec vous ; mais où puis-je apprendre à vous exprimer ceux de la reconnoissance dont personne au monde n’est touché aussi vivement que moi ?

 

Note1 : Le discours de M. l’abbé de Louvois, reçu dans la même séance, à la place de M. Testu de Mauroy.

 

EPISTRE de Mr. le Marquis de SAINT AULAIRE
à Meffieurs de L’ACADÉMIE FRANÇOISE.

 

HABITANS du Vallon où croiffent les lauriers,

Qui couronnent le front des illuftres Guerriers,

Difpenfateurs des Prix ordonnez par la Gloire,

Et confidents cheris des Filles de Memoire,

C’eft à vous d’obferver par quels afpres chemins

Un demi Dieu s’éleve au deffus des humains.

De fes Exploits fameux fuivez la noble trace,

Lorfque des ennemis il va punir l’audace,

Ou que pour les vrais Rois dont feul il eft l’appuy,

Il brave l’Univers, conjuré contre luy :

Faites que l’avenir eftonné de fa gloire,

Sur la foy de CLIO foit forcé de vous croire,

Je vous laiffe le foin du Heros & du Roy ;

Je ne veux voir que l’Homme, & c’eft affez pour moy.

Ebloui de l’efclat des vertus heroïques,

Je n’offre mon encens qu’aux vertus pacifiques,

Deitez qui jamais ne deurent leurs Autels

Aux caprices du fort & des foibles mortels,

Dont la majefté douce & la beauté modefte

Laiffent à peine voir l’origine celefte ;

Mais qui mieux que la loy qu’impofent les Vainqueurs,

Fixent l’obeiffance & le culte des cœurs.

Je ne veux voir qu’un Prince attentif & fidelle

Aux foins dont le chargea la Sageffe éternelle,

Régler tous fes projets fur la divine Loy,

Faire fon intereft de celuy de la foy,

Déraciner l’Erreur, decrediter le Vice,

Faire fleurir les Arts, & regner la Juftice,

Mefler à tant de foins un honnefte plaifir,

Et d’un gouft noble & fin occuper fon loifir.

J’aime à le voir bannir la piquante Satire,

Qui briguoit prés de luy la liberté de rire :

De fes traits les plus fins elle l’auroit armé ;

Mais de fa propre force on le vit allarmé :

Il fceut que d’une main fi pefante, fi feure,

Jamais il ne partoit de legere bleffure :

Elle fut refervée à de plus grands travaux,

Et fon exemple feul fit la guerre aux deffauts.

La Satire deflors honteufe, consternée,

De fes riants attraits parut abandonnée ;

L’Envie au teint plombé, la noire Trahifon,

Étouffant leurs ferpents, ravalant leur poifon,

Cacheront à fes yeux une rage inutile,

Et chez fes ennemis chercheront un azile ;

Des vices décriez les appas impuiffants.

Ne s’expoferent plus à fes regards perçants.

Ainfi lorfqu’efchappez de leurs prifons profondes,

Les fiers Perturbateurs de l’empire des ondes.

Volent impetueux, & bouffis de fureur,

Y traifnent avec eux le defordre & l’horreur

Si Neptune attendri des cris d’un miferable,

Eleve fur les flots fa tefte venerable ;

A fon premier regard, au moindre mot tout fuit ;

L’affreux orage ceffe, un long calme le fuit :

Tel le front de LOUIS plus refpectable encore,

Affure le repos du peuple qui l’adore.

Jadis un noir Demon du Sang noble alteré,

Fut fous le nom d’Honneur des Braves reveré :

Par fes cruelles loix la vengeance & la haine

De leurs coups trop vantez faifoient rougir l’arene :

Les Edits de fix Rois fulminerent en vain ;

LOUIS feul triompha de ce monftre inhumain :

Il fceut de la Valeur moderer la furie ;

Et luy fit refpecter le foin de la patrie,

Il fçait prefcrire à Mars, au fort de fon courroux,

Où doivent s’adreffer & s’arrefter fes coups :

A toy feule, Themis, il foufmet fa puifffance ;

Jamais fes interefts n’ont chargé ta balance :

S’il s’oppofe aux rigueurs de tes feveres loix,

C’eft quand de la clemence il écoute la voix.

Aux pleurs des malheureux compatiffant, fenfible,

Aux prieres des sens à toute heure acceffible,

S’il remarque leur trouble à fon augufte afpect,

Un air doux les raffure & fouftient leur refpect.

Attentif & ferein il écoute, il prononce ;

On diroit que Minerve a dicté fa réponfe :

Ses refus font d’un pere, & fes graces d’un Roy ;

Tout ce qu’il a promis eft fcellé par la foy :

Genereux Ennemi, feur Allié, bon Maiftre,

Vous qui fiftes des Dieux, eft-il digne de l’eftre ?