Funérailles de M. le comte François de Neufchateau

Le 11 janvier 1828

Charles-Marie-Dorimond de FÉLETZ

INSTITUT ROYAL DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

FUNÉRAILLES

DE M. LE COMTE FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU.

DISCOURS DE M. DE FELETZ,

DIRECTEUR DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE,

PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES

DE M. LE COMTE FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU,

LE 11 JANVIER. 1828.

 

MESSIEURS,

LES lettres perdent, par la mort de M. le comte François de Neufchâteau, un des écrivains les plus instruits, les plus laborieux, les plus ingénieux et les plus féconds ; l’Académie Française, qui perd tout ce que perdent les lettres, a, de plus, à regretter un de ses membres, les plus assidus dans son sein, tant que sa santé le lui a permis, les plus zélés pour la gloire de la compagnie, et qui, triomphant, par ce zèle même, des douleurs d’une longue et cruelle maladie, a pris jusque dans ces derniers temps, le plus de part aux travaux qui l’occupent le plus habituellement, et y a apporté le plus de soins et de lumières ; la société, enfin, partagera ces regrets, en voyant disparaître un homme dont l’esprit actif et le cœur bienveillant s’accordèrent constamment à rechercher les moyens de l’enrichir, de l’embellir, de la rendre plus florissante et plus heureuse par les progrès de l’industrie, du commerce, de l’agriculture et des arts.

Quoique M. François de Neufchâteau ne fût pas le plus vieux de nos écrivains et de nos gens de lettres, il est peut-être le plus ancien de tous, et leur doyen dans la carrière littéraire. Cette carrière ayant commencé pour lui avec une sorte d’éclat à l’âge de treize ou quatorze ans, son nom fut proclamé il y a plus de soixante ans, dans la république des lettres, et il n’a cessé d’y être répété depuis. La vocation des lettres ne saurait être plus précoce : la sienne, dans un âge aussi tendre, s’annonça assez heureusement, pour que le premier dispensateur de la réputation et de la gloire littéraire, à cette époque, lui adressât des vers flatteurs, trop flatteurs même sans doute, mais c’était déja une véritable gloire pour un enfant obscur de la Lorraine, d’avoir fixé les regards d’un homme qui remplissait l’univers de sa renommée.

Fidèle à une vocation confirmée par un si éclatant succès, M. François de Neufchâteau s’adonna avec ardeur à la culture des lettres, et embrassa, pour ainsi dire, tous les genres : poésie fugitive, poésie didactique, lyrique dramatique, traduction en vers, jurisprudence, politique, économie, histoire, érudition, philologie, il s’occupa tour-à-tour des objets scientifiques et littéraires les plus divers et les plus opposés. La nomenclature de ses ouvrages prendrait plus d’espace et de temps que je ne puis en accorder aujourd’hui à son éloge, et les titres de plusieurs d’entre eux suffiraient, pour ainsi dire, à cet éloge, par le but d’utilité qui les a dictés, et par le souvenir du succès qu’ils ont obtenu.

En considérant le nombre de ces compositions littéraires, on serait tenté de croire que M. François de Neufchâteau s’était uniquement livré, et sans distraction, à son goût pour les lettres. Toutefois la médiocrité de sa fortune, dans sa jeunesse, l’avait obligé d’occuper plusieurs emplois dans l’administration civile et judiciaire. Il remplit plusieurs de ces fonctions dans sa province ; il en exerça, et même d’assez importantes, jusque dans le Nouveau-Monde, et je ne puis passer ici sous silence son séjour à Saint-Domingue, où son nom se rattache à d’utiles conseils, à d’utiles réformes, dont le souvenir n’est point encore effacé après tant de catastrophes et de si horribles révolutions, et où, au milieu des soins compliqués de l’administration, il s’adonnait encore aux lettres et à la poésie. C’est là qu’il traduisit en vers le Roland furieux de l’Arioste, long et important ouvrage qui périt dans un terrible naufrage, auquel l’auteur n’échappa lui-même que par une sorte de miracle.

Bientôt la révolution, qui éclata au milieu de sa carrière, l’arracha à ses études favorites, et donna de plus longues et de plus fortes distractions au penchant qui l’entraînait vers la culture des lettres. Dans l’état actuel des esprits et de la société, il ne doit plus être question des opinions qu’ont professé les hommes dans ces circonstances nouvelles pour eux, difficiles et violentes. Ces opinions doivent surtout s’effacer sur la tombe ; c’est de leurs actions que les hommes y sont justiciables. Observons toutefois que M. François de Neufchâteau refusa d’être de la Convention ; qu’il refusa à la Convention d’être son ministre de la justice, et qu’il fut long-temps emprisonné par elle. Ministre de l’Intérieur plus tard, il encouragea les savants, propagea les lumières, fit répandre les ouvrages utiles dans des provinces éloignées, où jusque-là ils ne parvenaient pas, et les y fit déposer dans les bibliothèques publiques ; il entreprit lui-même des voyages dans les provinces pour y perfectionner l’agriculture, le commerce, les haras ; c’est à ce ministre actif et plein de zèle pour le bien public, que la. France dut la première exposition des produits de l’industrie française : innovation ou institution heureuse qui a eu d’heureux résultats ; enfin, il mérita par sa sagesse, sa modération et son impartialité, les injures et même les dénonciations de ceux aux veux de qui ces vertus étaient des crimes.

Le retour de nos rois, nous ramena des temps plus heureux. M. François de Neufchâteau fut de bonne foi dans l’hommage qu’il rendit à nos princes, nous en avons pour garants sa conduite pendant les cent jours. Sa Majesté Louis XVIII avait accueilli avec bonté dans M. François de Neufchâteau l’homme de lettres, l’homme d’esprit et l’homme de bien.

Membre dès l’origine de l’Institut, à la création duquel il n’avait été étranger, M. François de Neufchâteau appartint, lors de la division de ce corps savant en classes, et plus particulièrement lors de sa réorganisation en 1816, à l’Académie Française : j’ai déja dit les qualités précieuses qui ne cessèrent de l’y distinguer.

N’ayant point eu l’honneur de connaître M. le comte François de Neufchâteau, je ne puis vous entretenir, Messieurs, de son caractère particulier, de ses vertus domestiques et privées ; mais il est permis de les présumer, par une sorte d’analogie, du caractère de ses actions publiques et de la nature de ses travaux. Ce qui résultera incontestablement de la considération des unes et des autres, c’est que sa vie entière fut pleine, laborieuse, constamment occupée et utilement occupée.