Funérailles de M. le marquis de Laplace

Le 7 mars 1827

Pierre DARU

INSTITUT ROYAL DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

FUNÉRAILLES

DE M. LE MARQUIS DE LAPLACE.

DISCOURS DE M. LE COMTE DARU

CHANCELIER DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE,

PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES DE M. LE MARQUIS DE LAPLACE,

LE 7 MARS 1827,

 

MESSIEURS,

C’est donc ici, au milieu de tout ce qui atteste le néant de l’humanité, que nous venons déposer des cendres animées hier par l’un de ces beaux génies que la nature produit, de loin en loin, pour consoler les hommes, en leur montrant toute la sublimité de l’intelligence. II n’appartient qu’aux dignes appréciateurs des travaux de M. de Laplace de nous dire ses droits à l’admiration de la postérité. Mais ceux à qui n’a pas été donné de le suivre dans sa vaste carrière, lui doivent plus particulièrement de la reconnaissance, pour avoir rendu plus accessible la science de cet Univers dont il a expliqué les mouvements, et où il a laissé, dit-on, peu de problèmes à résoudre.

Dans cet homme qui fut un des flambeaux du siècle où nous avons vécu, il a été permis aux yeux les moins habiles de remarquer ce zèle qui donnait l’impulsion aux progrès de l’esprit humain. Depuis ceux qui furent les confidents de ses hautes pensées, jusqu’à la jeunesse studieuse, pour qui une si belle gloire ne doit être qu’un encouragement, tous peuvent nous dire avec quelle vive sollicitude il dirigeait leurs efforts. Initié à toutes les sciences, mais trop sage pour ne pas choisir, et trop éclairé pour que son choix fût une exclusion ; les embrassant toutes d’un regard, saisissant leurs rapports, jugeant leurs besoins, leurs moyens, leur portée, le philosophe marchait en avant de son siècle pour indiquer à ses contemporains les points où il y avait des phares à placer, des découvertes à faire.

Ce génie si étendu, qui avait consacré sa vie aux vérités susceptibles de démonstration et à la contemplation des phé­nomènes célestes, avait senti que les lettres sont aussi pour l’espèce humaine un moyen de perfectionnement et de bonheur. Comme il aimait la vérité, il aimait le beau : il avait conçu que l’une et l’autre ont le même principe. C’était un spectacle propre à resserrer la noble alliance des sciences et des lettres, que celui d’un grand géomètre, se passionnant pour les beautés de l’éloquence ou de la poésie et en admirant la finesse de son goût, nous y trouvions une preuve de plus de la justesse de son esprit.

Ailleurs, de plus dignes hommages lui seront offerts ; ailleurs on nous parlera des dignités dont il fut revêtu, et que nous n’avons pas le temps d’énumérer en présence de tant de gloire. Ce jour est un jour de deuil pour le monde savant. Dans toute l’Europe, on gémira de la perte que nous avons faite. Mais nous, si souvent admis aux foyers de cet homme illustre, nous qui nous honorons de nos regrets, à quel souvenir consolant pouvons-nous nous attacher ? à la pensée qu’il trouva le bonheur dans une vie studieuse, dans une famille, où tout ce qu’il y a de bon, d’aimable, d’affectueux, se pressait autour de lui, que ses ouvrages ont révélé des vérités impérissables, et que son nom traversera les siècles avec ceux des D’Alembert, des Lagrange et des Newton.