Funérailles de M. le marquis de Fontanes

Le 19 mars 1821

François ROGER

INSTITUT ROYAL DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

FUNÉRAILLES

DE M. LE MARQUIS DE FONTANES.

 

LE 19 Mars 1821, ont eu lieu les funérailles de M. le marquis de FONTANES, (Louis), Membre de l’Académie Française. Arrivé au lieu de la sépulture, M. ROGER, Membre et Directeur de l’Académie, a prononcé le discours suivant :

 

MESSIEURS,

Quand la mort enlève du milieu de nous un homme dont la vieillesse ou les infirmités nous ont, pour ainsi dire, familiarisés avec l’idée de sa perte, nous gémissons sans doute ; nous regrettons que la Providence n’ait pas étendu plus loin encore en sa faveur le privilège de longévité qu’elle semblait lui promettre. Mais perdre inopinément, dans la maturité de l’âge et du talent, un écrivain qui préparait, il y a peu de jours encore, de nouvelles jouissances et une nouvelle illustration à l’Académie, par la publication d’un ouvrage brillant de toute la force et de tout l’éclat du style poétique, voilà de ces coups qui déconcertent tous les calculs, qui renversent toutes les espérances, qui consternent, qui brisent le cœur de tous les amis des Lettres ! mais que dis-je, des Lettres ? ce n’est pas pour elles seulement que sont précieux les jours d’un écrivain tel que M. de Fontanes, c’est pour l’État, c’est pour la société tout entière.

Ah ! s’il eût suffi, pour le conserver à la vie, des vœux de tant de familles qui lui ont dû l’éducation de leurs enfans, de tant de professeurs auxquels il a ouvert la carrière de l’enseignement, de tant de jeunes élèves qu’il a maintenus dans le devoir par ses leçons, de tant de vertueux ecclésiastiques qu’il a défendus, protégés, employés, en dépit de tous les genres de résistance, de tant de malheureux de tout âge et de toutes les classes, qu’il a consolés, soutenus, soulagés par ses largesses; s’il eût suffi des vœux de ces grands corps politiques ou littéraires qu’il a présidés et illustrés; s’il eût suffi enfin des vœux de ce Monarque éclairé, protecteur naturel des bonnes lettres, c’est-à-dire des saines doctrines, M. de Fontanes vivait encore.

Il vivrait ! et ses écrits, modèles achevés de goût raison, d’onction et d’élégance, porteraient encore la persuasion dans les esprits les plus rebelles, dans les cœurs les plus endurcis.

Il vivrait ! et les conseils du Prince et la Tribune patricienne ne réclameraient pas en vain les lumières de sa sagesse ou la puissance de sa voix, de cette voix qui sut faire entendre si souvent la vérité au despote qui la craignait le plus, de cette voix dont le silence même fut, un jour, si courageux, que le meurtrier du Duc d’Enghien eût préféré peut-être une accusation publique.

Mais, ô regrets superflus ! que peuvent, hélas ! et le vœu des rois et le vœu des citoyens contre cette loi suprême qui fait disparaître à son gré de la société les hommes qui honoraient le plus et qui la défendaient le mieux ! Déja, dans les premiers jours de ce mois, la religion et la monarchie out perdu plusieurs de leurs plus éloquens apôtres, Cette époque semble fertile en destructions ! Puissent du moins, au milieu de la fatale disparition des hommes, se conserver et se maintenir les doctrines et les institutions ! et puisse la société, luttant avec succès contre les dangers qui la menacent, survivre encore long-temps à la perte de ses plus honorables défenseurs !