Funérailles de M. le comte de Roquelaure

Le 27 avril 1818

Pierre DARU

INSTITUT ROYAL DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

FUNÉRAILLES

DE M. LE COMTE DE ROQUELAURE.

 

LE 27 Avril 1818 ont eu lieu les funérailles de M. le Comte DE ROQUELAURE (Jean-Armand), Membre de l’Académie Française. Après le service funèbre, M. le Comte DARU, Membre et Chancelier de l’Académie, a prononcé le discours suivant :

 

MESSIEURS,

CELUI de nos confrères à qui nous venons rendre aujourd’hui les derniers devoirs, avait vu trois fois se renouveler notre Compagnie. L’Église, la Cour, les Conseils, l’Académie, eurent à honorer dans M. de Roquelaure des mérites divers. Mais c’est à d’autres voix qu’il appartient de rappeler les vertus dont il donna l’exemple, le savoir, la tolérance qu’il montra dans un long exercice de l’épiscopat. Qu’il nous soit permis d’ajouter qu’il sut concilier des devoirs austères avec toutes les qualités d’un homme aimable, et avec ce culte que les esprits délicats aiment à vouer aux lettres.

Elles embellirent ses jeunes années, elles procurèrent à un homme qu’attendaient de hautes dignités, l’avantage plus rare d’être admis et de se plaire parmi les hommes éclairés. Elles ont contribué à ses succès, en lui prêtant le charme de cette éloquence que la vérité elle-même ne dédaigne pas.

Orateur évangélique, il fut l’interprète des royales douleurs qu’excita la perte d’une reine[1] chère à deux Royaumes. Il fut chargé de déposer au pied des autels le cœur de l’héritier du trône[2] enlevé si prématurément à la France. Ce fut à sa voix que s’ouvrirent devant une pieuse princesse[3] les portes de la retraite sainte où elle voulut oublier les grandeurs du monde, près de la basilique qui renfermait les cendres de  tant de rois ses aïeux.

Durant soixante-cinq années d’épiscopat, les honneurs vinrent chercher M. de Roquelaure. Il était parvenu aussi depuis long-temps à la seule dignité que la carrière académique puisse offrir, à celle de doyen de notre Compagnie. Mais cette dignité, comme toutes les autres, la fortune la vend ordinairement assez cher. M. l’archevêque de Malines fut du petit nombre de ces hommes qui ne payent point le tribut à la vieillesse.

Contemporain de tout ce que l’Académie eut de plus illustre pendant le dernier siècle, il était parmi nous comme une tradition vivante des générations écoulées. Plein de souvenirs, il inspirait autant d’intérêt que de respect, lorsqu’il nous entretenait de ces grands hommes avec lesquels on serait glorieux d’avoir vécu. Ainsi que tous les vieillards, pour qui les impressions récentes sont fugitives, il aimait à se reporter à quelque distance du temps présent, et parlait de ces illustres morts comme s’il les eût quittés de la veille, comme s’il eût été encore dans leur intimité ; mais par cela même il nous faisait partager son illusion, et nous étions quelquefois tentés de nous croire contemporains de ces hommes que leur gloire place déja parmi les anciens.

Il nous entretenait de ses souvenirs, non pour contenir l’amour-propre de ceux qui l’écoutaient, mais pour exprimer le charme qu’il avait toujours trouvé dans les relations littéraires, et nous n’avons pu voir sans quelque vanité que, forcé par son âge de renoncer aux soins de l’épiscopat, devenu insensible aux honneurs, son zèle pour l’Académie avait survécu à tous les autres intérêts. Il nous avait si bien accoutumés à son assiduité, qu’à notre dernière séance, son absence a suffi pour nous faire craindre de ne plus le revoir.

Ce pressentiment ne s’est que trop vérifié; et aujourd’hui que nous accompagnons son cercueil, il nous reste encore à recevoir de lui une dernière leçon. Un nom dès long-temps illustré, tous les dons de la fortune n’auraient pas suffi pour lui assurer un bonheur constant pendant un siècle de vie, si la modération de son caractère, l’amour des lettres, ne l’eussent fait jouir d’une inaltérable paix. De tout cet éclat étranger, il ne lui reste rien ; mais le bien qu’il a fait, les vertus dont il a donné l’exemple, et les pages éloquentes qu’il nous a laissées, consacrent sa mémoire.

 

[1] La reine d’Espagne.

[2] Monseigneur le dauphin.

[3] Madame Louise, carmelite à Saint-Denis.