Discours de réception de Jean Galbert de Campistron

Le 16 juin 1701

Jean GALBERT de CAMPISTRON

Discours prononcé par M. Campistron, Secrétaire Général des Galères, lorsqu’il fut receu à la place de Monsieur de Segrais.

 

Messieurs,

Quels termes faut-il que j’employe pour exprimer ma reconnoissance ? En connoissez-vous d’assez forts, & peut-il y avoir jamais une juste proportion entre ce que je vous dois, & mes paroles ?

Vous daignez m’appeler parmi vous, & m’accorder une place qui fait l’ambition, la récompense, le supreme honneur d’un homme de lettres.

Croiroit-on que dans ce jour mesme marqué seulement pour vous en remercier, j’eusse encore une plus grande grace à pretendre de vous ? Oüy, Messieurs ; quelque obligé que je vous sois, quels que soient les sentiments qui penetrent mon cœur, je ne compte de recevoir aujourd’huy que la moindre partie de vostre bienfait. Le temps seul peut luy donner tout son pris, & me conduire à la fin que je me suis proposée.

Vous me distinguez par un titre glorieux. Je vous demande, j’attends de vous des preceptes & des moyens pour le meriter. Je pense beaucoup moins à estre honoré qu’à estre instruit. C’est vos lumieres & vos conseils que j’ay particulierement recherchez.

Vous me les devez, Messieurs, & ce n’est qu’en m’en faisant part que vous respondrez dignement aux intentions de ce grand Cardinal qui forma cette Compagnie, & qui eut toujours pour elle tant d’estime, de consideration, & d’amour.

Ce sublime Genie a voulu par les sages loix qu’il a establies, & par l’ordre de succession qu’il a prescrit, asseurer à l’Académie Françoise une gloire qui ne perist jamais ; & dans cette veue il a entendu sans doute qu’il y auroit dans cette espace de Republique une noble Communauté, non comme au premier âge du monde des biens passagers & mesprisables, mais des thresors immortels & precieux de l’esprit.

Ce fut avec les mesmes desseins qu’après la mort d’Armand[1], un illustre Chancelier entreprit de consoler les Muses affligées, qu’il les protegea, & les recueillit dans le temps fatal qu’elles en avoient un besoin si pressant pour leur union & pour leur gloire.

Cependant, Messieurs, quelque avantage que je doive esperer de vos Leçons, quelque heureux changement qu’elles puissent produire en moy, je seray encore bien loin de reparer vostre perte.

Celuy qui par tant de rasions estoit si digne de vostre estime, & dont j’occupe à present la place, fut un de ses esprits rares que le Ceil fait naistre de temps en temps pour la gloire des lettres. Il parla en maistre le langage des Dieux & celuy des hommes. Il atteignit à la perfection de l’Eloquence & des la Poësie.

Si vous regardez[2] ces Ouvrages d’un caractère si singulier, ces ingenieuses productions de l’histoire & de l’imagination qu’il a si agreablement ornées. Quelle delicatesse dans les sentiments, quel tour heureux dans l’expression n’y trouve-t-on pas ! Quel meslange charmant & imperceptible de la verité avec l’invention ! Quelle manière fine & certaine d’attacher l’esprit, d’esmouvoir, d’interesser le cœur, & d’eslever l’ame au dessus d’elle mesme ! ce sont des chef-d’œuvres que ceux qui escriront dans le mesme genre se proposeront tousjours pour modelle.

Ses Eglogues & ses Idiles peintes d’après la nature mesme, nous representent par tout la simplicité & les graces de Theocrite & de Virgile, & ses Elegies nous font sentir toute la galanterie d’Ovide, & la tendresse de Tibulle.

Mais ce qu’il y eut de plus surprenant dans cet homme viritablement admirable, c’est qu’il sceut réunir en luy l’urbanité avec la profonde meditation des belles lettres, la retraite dans son cabinet avec le commerce du monde, l’estime de la Cour & celle de la Province, qu’il joignit encore la probité aux charmes de l’esprit, la sagesse aux agrements de la societé ; de sorte que dans[3] un âge où presque tous les autres hommes ne sont plus comptez estre en vie que parce qu’on ignore leur mort, il fit seul les delices & l’amour[4] d’une Ville tousjours celebre par la politesse & par l’esprit de ses Habitans, sans qu’il peust jamais souffrir la moindre atteinte de l’orguëil avec un merite si generalement reconnu.

Nous le pouvons dire hardiment, Messieurs, en luy rendant la justice exacte qui luy est deuë. Son nom tiendra tousjours un rang memorable entre ces noms fameux qui ont honoré le siecle passé, & mesme le Regne de Louis le Grand, Regne aussi illustre par les hommes extraordinaires qu’il peut compter, que glorieux par la grandeur & par la diversité des evenements qu’il renferme ; Regne enfin comparable à celuy des Heros fabuleux par les nouveaux prodiges que ce Monarque nous fait voir chaque jour.

Tantost c’est une fuite continuelle de victoires ; tantost la paix accordée aux despens mesme de ses propres avantages,à ceux qui n’osoient l’esperer. D’un costé toute la gloire d’un Guerrier triomphant. De l’autre toute sa bonté d’un Prince pacifique. Aujourd’huy c’est une Nation belliqueuse & superbe qui se jette à ses pieds, pour luy demander un Roy de son Sang, qui choisit pour son unique defenseur ce mesme Conquerant qu’elle avoit tousjours regardé comme le seul qu’elle eust à craindre, & qui ne trouve d’autre moyen pour maintenir dans toute leur splendeur ses Estats & son nom, & pour se conserver ces mesmes Provinces[5] qui depuis plusieurs Siecles avoient esté entr’elle & nous la seule cause de tant de guerres, que d’en faire ce Heros le depositaire & l’arbitre.

En vain les vieilles jalouises de Princes & de Peuples puissants, se reveillent contre sa gloire, & leur inspirent la defiance compagne inseparable de la foiblesse. En vain l’envie infatigable travaille à former de nouvelles lignes. Bien loin de donner une triste attention à ses fureurs et à ses apprests, nous ne songeons qu’à de nouveaux chants de victoire, seurs d’un glorieux advenir dont le passé merveilleux nous respond, & que le mesme Heros par ces admirables dispositions qui preparent tousjours les grands succès, rend desja present à nos yeux.

Mais je ne m’aperçois pas que je m’engage insensiblement à traiter ce sujet immense. J’ay tousjours moderé jusqu’icy la vivacité de mon zele. D’où vient qu’il s’eschappe aujourd’huy ? Si je luy permets de paroistre, ce n’est qu’en considerant que ces lieux destinez à retentir des eloges de leur auguste Maistre, m’authorisent en quelque sorte dans la hardiesse de les tenter.

Je cede, Messieurs, avec joye à cette noble ardeur que je sens qui me vient saisir pour m’y abandonner tout entier, & pour me joindre avec vous, puisque vous me l’avez permis ; heureux si dans ce concert de louanges que vous consacrez sans cesse aux vertus de vostre incomparable Protecteur, quelque ton de ma foible voix peut se faire entendre parmi les vostres.

 

[1] de Richelieu

[2] Zaïde la Princesse de Cleves.

[3] Quatre-vingts ans passés.

[4] Gaïa.

[5] Le Milanais & Païs-Bas.