Réponse au discours de réception de Pierre de Pardaillan d’Antin

Le 30 juin 1725

Nicolas de MALÉZIEU

RÉPONSE

De M. DE MALEZIEU, Directeur de l’Académie, au Difcours prononcé par M. l’Evéque de Langres, le jour de fa reception, le Samedi 30 Juin 1715.

 

 

MESSIEURS,

Les perfonnes que la curiofité attire à nos Affemblées en ces jours de folemnité, auroient un grand intérêt que l’ufage eût autorifé le Directeur de l’Académie Françoife à faire ce qu’ont accoutumé de pratiquer les Souverains, quand ils ont à traiter des chofes d’importance ; ils s’expliquent ordinairement par la voix de leur Chancelier.

Je n’aurois pas manqué de recourir aujourd’hui à la voix du Chancelier de la Compagnie, pour faire plus d’honneur à la mémoire du digne Académicien que nous venons de perdre, & mieux relever le mérite de fon illuftre fucceffeur.

Mais puifque la coutume exige malgré mon âge, mes infirmités, & même mes afflictions domeftiques, que je me charge d’un fardeau que je reconnois fort au-deffus de mes forces, je ne veux pas du moins abufer long-tems de l’attention de la Compagnie,

Je vous dirai fimplement, MONSIEUR, que c’eft avec une extrême fatisfaction que l’Académie Françoife reçoit aujourd’hui dans fon fein un digne rejetton de la celebre Julie[1], & du grand Duc de Montaufier. Elle n’oubliera jamais que ce fut à l’Hôtel de Rambouillet, Maifon celebre, dont il fera parlé tant qu’il y aura des hommes de Lettres fur terre, & fous les yeux de vos illultres Ayeux, que les Voitures, les Vaugelas, & les Balzacs tracerent les premiers linéamens d’un deffein dont la perfection étoit refervée à un grand Miniftre qui n’étoit né que pour exécuter ces miracles.

Ce grand homme crut qu’après avoir coupé la tête à l’hérefie, il lui reftoit encore à exterminer l’ignorance, monftre non moins fatal aux grands Etats ; & ce fut dans cette vûe qu’il fit le grand établiffement, dont le premier projet lui avoit été fuggéré par ce qui fe pratiquoit dans la Maifon de vos refpectables Ancêtres.

 

[1] Mademoifelle de Rambouillet, depuis Ducheffe de Montaufier.

Car ce fut chez eux, MONSIEUR, que l’on vit premierement ce concours d’Hommes illuftres par lefquels, malgré la différence des dignités & de la naiffance, regnoit une parfaite égalité, dans laquelle tout le monde oublioit fes avantages perfonels, pour ne s’occuper que de la perfection des belles Lettres : fondement de ce qui fe pratique encore aujourd’lhui parmi vous, MESSIEURS, où l’on voit les Généraux d’armée laiffer leurs lauriers à la porte, & les premiers Magiftrats de l’Etat n’apporter ici qu’un efprit de docilité, pour contribuer tous enfemble à la perfection de ce grand deffein qu’avoit en vûe votre premier Protecteur ; image bien naïve de ce que les anciens Poëtes nous ont dit de ces Ifles fortunées, où ils fuppofoient qu’étoient reçûes les ames bienheureufes qui n’avoient confervé de tout ce qui les avoit diftinguées parmi les hommes, que leurs genereufes inclinations. Et je ne doute pas, MONSIEUR, que ce ne foit le fang de Julie & celui de Montaufier, que vous portez dans vos veines, qui vous a infpiré ce defir ardent d’être affocié à une Compagnie qui a eu leur Palais pour berceau, & à laquelle vous avez été, pour ainfi dire, incorporé avant que de naître.

La belle jeuneffe dont vous jouiffez, MONSIEUR, vous autorife à concevoir de juftes efperances de voir le progrès floriffant du régne de notre augufte Protecteur, & à le voir un jour recevoir les hommages de l’Univers, comme fon incomparable Bifayeul ; & que vous pourrez vous-même dans le tems, celébrer fes victoires dans cette même Salle qui a tant de fois retenti de celles de LOUIS LE GRAND.

La fanté ferme & vigoureufe dont le Ciel favorife ce jeune Monarque, femble nous promettre, MESSIEURS, que la Providence lui a réfervé l’exécution de toutes les merveilles qu’annonçoit à l’Univers ce Prince à jamais regretable que le Ciel ne fit que montrer à la terre ; & ce qui autorife encore le pronoftic, c’eft de voir que dans une jeuneffe extrême le Roi ait eu le difcernement & l’attention de choifir pour manier les grandes affaires de l’État, de dignes dépofitaires de fon autorité.