Regrets et Espoir.

Le 7 novembre 1854

Charles BRIFAUT

REGRETS ET ESPOIR.

LU DANS LA SÉANCE PARTICULIÈRE DU 7 NOVEMBRE 1854,

PAR M. BRIFAUT.

 

Ils ont banni mon père et je n’ai pu le suivre !
Où va-t-il, l’exilé ?
Quels bords le recevront ? Sans moi pourra-t-il vivre,
Tristement isolé ?

Peut-être en ce moment, les pieds noircis de poudre,
Le pauvre pèlerin,
Las, sans force, assiégé par l’orage et la foudre,
Tombe sur le chemin.

Hélas ! seul et perdu dans la nature immense,
Quel sera son support ?
Il prie, et, ranimé, se lève et recommence
Sa lutte avec le sort.

Mon Dieu, ne laissez point son âme dépourvue
De consolations ;
Toi, soleil, sois son guide et fais luire à sa vue
Un de tes doux rayons.

Étrangers, cachez-lui le tableau de vos joies
De riantes couleurs
N’ornez point vos habits ; ne semez point vos voies
De palmes et de fleurs.

Quoi ! vos félicités devant son infortune !
Ce contraste est affreux.
Combien de nos malheurs l’aspect nous importune
En face des heureux !

On se dit : Je le fus, je pourrais l’être encore,
Si le Ciel l’eût permis.
Je possédais les biens dont tout mortel s’honore :
Enfants, épouse, amis.

J’avais une patrie, et des pauvres sans nombre
Vivaient de mes bienfaits ;
Et l’été mon vieux front se reposait à l’ombre
De mes vieilles forêts.

Ah ceux qui m’ont proscrit, s’ils soupçonnaient mes peines !
Ah s’ils étaient témoins
Des pleurs que je confie à ces plages lointaines,
Qu’ils me haïraient moins !

D’où vient qu’on est cruel ? Hélas ! c’est qu’on ignore
Tout ce qu’on fait souffrir.
Quels cœurs à la pitié se fermeraient encore
S’ils nous voyaient mourir ?

Mourir, mais lentement, mais de ce mal qui ronge
Et qu’on ne guérit pas ;
De ce mal qui cent fois, alors qu’il se prolonge,
Nous donne le trépas !

Non, je ne croirai point que devant ceux qui pleurent
On garde un cœur méchant.
Non, je ne croirai point qu’au cri de ceux qui meurent
Réponde un joyeux chant…

Patience, ô mon père ! Il n’est pas loin peut-être
Le jour où, dans nos bras,
Sous le soleil natal, tu te verras renaître,
Sans y trouver d’ingrats.

Entouré de nos vœux, purs comme tes pensées,
Oh ! qu’il te sera doux
De sentir sur tes mains les lèvres empressées
D’un fils à tes genoux !

La voilà, cette épouse, adorable modèle
De constance et d’honneur,
Qui, sanglotant aux pieds de sa couche fidèle,
Succombe de bonheur.

Voici tes vieux amis, dont l’ardeur se déploie.
Ils viennent à leur tour,
Tes pauvres, que ta perte avait privés de joie,
Qu’enrichit ton retour.

La vie est une mer où le calme et l’orage
Se succèdent sans fin.
Le naufragé d’hier, triomphant, au rivage
Redescendra demain.

Mais, quel que soit des flots le caprice frivole,
Mus par un noble aimant,
Mortels, prenons toujours la vertu pour boussole,
L’honneur pour élément.