La Sœur de Charité. L'Hymen

Le 29 septembre 1850

Charles BRIFAUT

LA SŒUR DE CHARITÉ.

LU DANS LA SÉANCE PARTICULIÈRE DU 29 JANVIER 1850,

PAR M. BRIFAUT.

 

Ange qui veilles près de moi
Dans l’ombre des nuits solitaires,
Toi qui m’as consolé, car tu sais les mystères
De l’espérance et de la foi ;
Toi que jamais en vain la douleur ne réclame,
Et qu’au chevet du pauvre on voit toujours debout ;
Toi qui serais plus qu’une femme
Si, par son génie et son âme,
Une femme n’était pas tout ;
Modèle de bonté, chef-d’œuvre de tendresse,
Reste vers ce mourant, céleste enchanteresse,
Dont le regard soulage et le sourire absout.

Suppléant de la Providence,
Un pasteur vénéré te confia le soin
De secourir chaque besoin
De l’infortune et de l’enfance ;
Et toi, le cœur rempli d’une sainte ferveur,
Tu vas, la croix en main, parcourant en silence
Le royaume de la souffrance,
Priant et bénissant, comme fît le Sauveur ;
Conquérant à la fois, comme ce Dieu propice,
Des corps sur la douleur, des âmes sur le vice.

Du tendre nom de sœur on te nomme ici-bas.
Quel est ton nom là-haut ? quelle y sera ta place ?
Sur la terre tes humbles pas
N’éveillent aucun bruit, ne laissent nulle trace.
Le monde te bénit et ne te connaît pas.

Oh ! qu’ils sont doux les mots que murmure ta bouche !
Oh ta pitié, qu’elle me touche !
Je te bénis lorsque ta main
Dans la coupe rafraîchissante
Verse à ma lèvre languissante
Le nectar bienfaiteur qui jusqu’au lendemain
Assoupit le vautour rugissant dans mon sein ;

Je te bénis lorsqu’avec peine
Tu chasses la mort incertaine
De mon front brûlant ou glacé ;
Je te bénis lorsque tu charmes
Par ta prière ou par tes larmes
Le dernier jour qui m’est laissé.

 

L’HYMEN.

 

C’est la veille. Tout dort. Doucement inquiète,
Seule la jeune vierge à sa couche muette
Demande le repos et le demande en vain.
Elle pense aux bouquets, à la foule, au festin,
À l’autel nuptial où Dieu l’attend voilée,
Mais surtout à l’ami qu’elle verra demain
Approcher l’anneau d’or de sa timide main,
Et cette image l’a troublée.

La vierge s’y complaît. Minuit sonne : un soupir
Gonfle son sein qui bat plus tremblant d’heure en heure ;
Et sa brûlante joue en rougissant effleure
Le moëlleux oreiller qui la voit s’assoupir.

Non, elle ne dort pas la jeune bien-aimée.
Dans l’alcôve à demi fermée,
Qu’argentent les rayons du flambeau qui pâlit,
Rêveuse, et lentement sur le bord de son lit
Penchant sa tête parfumée,
Elle parcourt, d’un œil que l’amour embellit,
La parure d’hymen à ses côtés semée.

Elle pleure et sourit, la vierge !... Elle a seize ans.
Oh que de songes ravissants,
Quels gracieux tableaux, te rendant plus vermeille,
Errent dans ta pensée et caressent tes sens !
Jeune fille, ta longue veille
Est pleine du bonheur qu’en secret tu pressens !

Sous les jeux de sa main mobile,
Les rideaux, écartés, rapprochés tour à tour,
Laissent percer déjà les premiers feux du jour.
Déjà de l’alouette, au chant vif et facile,
On entend la brillante voix.
La vierge s’est levée et court, sylphide agile,
Entr’ouvrir sa fenêtre une dernière fois.

Que l’aube a de fraîcheur ! que cet air est tranquille
Oh ! quel plaisir d’aller s’asseoir là-bas
Pour respirer le parfum des lilas !
Dans le jardin, qu’un mur fleuri termine,
Les bras croisés, muette, à petits pas,
Elle descend. La souple mousseline
Sans la cacher couvre sa taille fine.

Jeté sans art autour de ses cheveux,
Le léger châle, aux plis aventureux,
Flotte et s’étend sur sa blanche poitrine.
Ses jolis pieds rasent furtivement
Les longs degrés du portique sonore,
Où les lueurs de la naissante aurore
Laissent tomber un demi-jour charmant.
L’heure, le lieu, le calme, la verdure,
L’oiseau sans voix, l’onde sans mouvement,
L’esprit des fleurs, le faible et doux murmure
Du vent léger, de feuille en feuille errant,
Et dans les airs par degrés expirant,
Tout dit : « Dormez comme cette onde pure,
« Comme ces fleurs, ces gazons, ces oiseaux. »
Mais ce cœur, plein de sentiments nouveaux,
Echappe au calme où se plaît la nature.

Un triste soin l’occupe. « Adieu, dit-elle, adieu,
« Bosquet témoin des jeux de ma première enfance,
« Fleurs qu’arrosaient mes mains, bois amis du silence,
« Ermitage où je priais Dieu ;
« Adieu !

« Vous, labyrinthe vert, où, fuyant avec grâce,
« Sur leurs ailes couleur de feu,
« Ces papillons trompaient ma main errante et lasse ;
« Rapide escarpolette où dans le vague espace
« J’aimais à m’élancer, mais en tremblant un peu ;
« Adieu !

« Et vous, mes colombes chéries,
« Qui, pour charmer mes rêveries,
« Du haut des toits voisins veniez en ce beau lieu
« Dans le creux de ma main conquérir avec joie
« Ce grain dont vous jetiez une part sur la voie,
« Cette onde ou se trempait votre plumage bleu
« Adieu ! »

Mais avec un accent et plus vif et plus tendre
Il est d’autres adieux que sa voix fait entendre.
Devant ce ciel si pur elle tombe à genoux.
« Oh ! gardez bien longtemps mon aïeule pour nous !
« Mon Dieu faites encor que mon père avec elle
« Du bonheur des élus recueille une parcelle.
« Que je sois dans leurs cœurs comme ils sont dans le mien ;
« Que jamais à leur fille ils ne reprochent rien.
« Mon Dieu, je leur dois tout. Daignez, daignez m’apprendre
« Par quel divin secret je pourrai tout leur rendre. »

Aussitôt elle entend un léger bruit de pas.
C’est sa mère : elle accourt, elle lui tend les bras.
De celle dont sa vie et son bonheur dépendent
Les bénédictions sur son front se répandent,
Et de graves leçons, qu’elle sait retenir,
Vont éclairer son cœur sur tout son avenir.

On rentre. À son miroir les fidèles suivantes
Conduisent la jeune beauté,
Qui s’assied mollement, sa mère à son côté,
Et se livre à leurs mains savantes.
De la toilette alors commencent les apprêts.
L’une attache à ses pieds la chaussure nouvelle ;
L’autre, sous les longs plis de la riche dentelle,
Enferme de l’amour les plus riants secrets ;
Celle-ci, rassemblant les gerbes fugitives
De ses cheveux d’ébène, humectés de ses pleurs,
Au sein d’un réseau d’or, enveloppé de fleurs,
Fixe en nœuds arrondis leurs richesses captives ;
Celle-là d’un beau cou, rayonnant de fraîcheur,
Où du cygne argenté s’étale la blancheur,
Fait mollement descendre en chaînes inégales
Ces perles, doux tributs des mers orientales,
Sur l’ivoire d’un sein dont le double contour
Se laisse deviner, mais se dérobe au jour.

La vierge avec candeur sourit à sa parure.
Peine, regret, chagrin, tout s’est évanoui.
Sa mère du regard la dévore, et murmure
« Qu’elle est belle ! » Et son cœur, d’orgueil épanoui,
Du succès de sa fille en espoir a joui.
Vanité maternelle, oh que ta joie est pure !

Mais voici les parents, que le père conduit.
Des rubans, des bouquets flottent à leur ceinture.
Paré de son bonheur, l’époux charmé les suit.

Jeune Marie, et vous, tendre Amédée,
L’autel est prêt ; venez, approchez-vous.
Approchez-vous, par la pudeur guidée,
Jeune Marie ; et vous, tendre Amédée,
Que les amours vous accompagnent tous.

 

L’autel est prêt, les flambeaux étincellent,
L’encens s’allume et les chants vous appellent.
Déjà pour vous le pontife a béni
Le chaste anneau ; le voile symbolique
Se développe au bruit du saint cantique,
Et le vieux orgue à nos voix s’est uni.

En ce moment quelle rougeur céleste,
Jeune Marie, orne ton front modeste !
Tu n’oses plus regarder ton ami.
Le cœur ému, l’œil baissé vers la terre,
Jusqu’à l’autel, d’un pas mal affermi,
Tu marches seule à côté de ton père,
Et, sur son sein te penchant à demi,
Tu crains d’entrer au fond du sanctuaire.

Rassure-toi. Viens. Lorsqu’au doux serment,
Balbutié par ta bouche étonnée,
Le saint garant des nœuds de l’hyménée
Joindra ton sort au sort de ton amant ;
Lorsque ton père à celui qui t’adore
En soupirant te confiera… soudain
Entre ses mains laisse tomber ta main,
Sans t’alarmer, non sans rougir encore.
Ton Amédée est fier de son lien,
Et son bonheur est le garant du tien.

Impatients des fêtes nuptiales,
Bientôt ses doigts, triomphateurs heureux,
Détacheront ces roses virginales
Dont la couronne embellit tes cheveux.
Bientôt, soumise à sa loi qui t’enchante,
D’un air timide et d’une voix touchante
Adieu, ma mère ! adieu ! rediras-tu.
Et de ton voile aussitôt revêtu,
Ton chaste front dérobera tes charmes,
Tes doux désirs et tes dernières larmes
Puis en tremblant tu suivras ton époux.

Sur leur bonheur tombez, rideaux jaloux !
Lit conjugal, cache-nous ton mystère !
Silence, accours ! Flambeaux, éteignez-vous !
Vous, dans les cieux remontez, priez tous,
Anges sacrés ! Que votre voix légère
Porte la joie au séjour des élus !
Allez, allez annoncer que la terre
Vient d’applaudir à deux heureux de plus.