Funérailles de M. de Féletz

Le 13 février 1850

Marc GIRARDIN, dit SAINT-MARC GIRARDIN

FUNÉRAILLES DE M. DE FÉLETZ

DISCOURS DE M. SAINT-MARC GIRARDIN,
PRÉSIDENT DE L’ACADÉMIE

PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES

DE M. DE FÉLETZ,

Le mercredi 13 février 1850.

 

 

MESSIEURS,

L’Académie n’a point seulement à regretter dans M. de Féletz un des esprits les plus ingénieux et les plus élevés de notre temps ; nous regrettons aussi un de nos plus affectueux et de nos plus aimables confrères, et c’est le privilége des âmes nobles et délicates, jointes à un esprit vif et ferme, que, lorsqu’elles nous quittent, le premier hommage de nos regrets s’adresse d’abord à l’âme qui vient de se retirer d’entre nous, et que nous ne songeons à louer l’écrivain qu’après avoir pleuré l’homme.

Personne n’a mieux mérité que M. de Féletz que ses amis aimassent en lui l’ami fidèle et sûr, pendant que le public admirait la solidité et la finesse de ses jugements littéraires. C’est surtout aux critiques qu’il sied de mettre dans le commerce du monde la douceur bienveillante qu’ils ne peuvent pas toujours mettre dans leurs écrits. À cette douceur qui vient de l’âme, M. de Féletz joignait cette urbanité qui vient du bon usage du monde : non pas que chez lui cette douceur et cette politesse exquises nuisissent à la fermeté des sentiments. Personne n’a moins hésité dans ses convictions et ne les a gardées plus constamment ; personne, soit qu’il s’agit de savoir ce qu’il faut vouloir en politique, soit qu’il s’agît de savoir ce qu’il faut penser en littérature, personne n’était plus net et plus décidé que M. de Féletz ; seulement il évitait d’être décisif et tranchant. Il était tolérant par politesse, comme d’autres le sont par indifférence ou par calcul. Aussi a-t-il été un des plus parfaits modèles de l’homme du monde et de l’homme de lettres, quoiqu’il ait vécu dans un temps livré à l’esprit de parti, quoiqu’il ne se refusât pas lui-même tout entier à l’esprit de parti, et qu’il en prît ce qui touche à l’honneur du drapeau, quoiqu’enfin, pour énumérer ici tous les embarras qu’il évitait d’une manière si charmante et si digne, quoiqu’enfin il fût, par surcroît de périls, un des plus ingénieux et des plus redoutés critiques de son temps.

La mort de M. de Féletz a été conforme aux qualités de sa vie ; elle a été douce et ferme, ou, pour tout dire en un mot, elle a été chrétienne. Il a été brisé par les douleurs de la maladie, mais il n’en a pas été troublé. Consolé comme il l’était par les soins d’une nièce chérie, fortifié par la religion, il a gardé jusqu’aux derniers moments sa présence d’esprit, et il l’a employée à adresser ses adieux à tous ceux qu’il avait aimés et estimés.

M. de Féletz aura sa place dans l’histoire détaillée de notre littérature, qu’il a pendant quarante ans rappelée au bon sens, au bon goût, au bon ton qui ne sont que les noms et les emplois divers de la raison dans le monde ; et comme l’histoire ne tient pas compte seulement du succès, il suffira à l’honneur du nom de M. de Féletz que le siècle ait été averti, sans chercher s’il a été corrigé. Mais ce sont là les louanges de l’écrivain ; elles auront leur jour. Ici c’est de l’homme surtout que nous nous souvenons, de son caractère, de ses qualités, de son âme enfin, de ce qui ne périt pas, mais de ce qui nous quitte, en nous laissant l’exemple d’une longue vie toujours dignement soutenue et d’une mort pleine de souffrances pieusement acceptée.