Funérailles de M. Casimir Delavigne

Le 20 décembre 1843

Pierre-François TISSOT

DISCOURS DE M. TISSOT,
MEMBRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES

DE M. CASIMIR DELAVIGNE,

Le mercredi 20 décembre 1843.

 

MESSIEURS,

C’est un bien triste avantage pour la vieillesse que celui de survivre à des êtres chéris qu’elle aurait dû, suivant l’ordre de la nature, précéder dans la tombe. Le sentiment de cette vérité me domine au moment de dire avec vous le dernier adieu à un disciple, un ami, à un confrère qui aurait dû mourir plein de jours.

Il y a trente ans, Messieurs, nous vîmes Casimir Delavigne apparaître sur l’horizon littéraire comme un astre d’heureux présage. À peine sorti des triomphes du gymnase, il chantait la gloire sur un berceau dépositaire des plus chères espérances d’un grand homme. De nouveaux succès soutinrent l’honneur d’un début dont l’éclat n’est point effacé de votre Souvenir. Delille régnait alors sur le Parnasse ; il mourut ; acteur et témoin de son apothéose populaire, Delavigne partagea l’enthousiasme de la pieuse jeunesse qui voulut porter sur ses épaules le cercueil du poëte ; et bientôt, inspiré par la reconnaissance, il enfanta, sur la mort de son illustre maître, un hymne de douleur qui respire quelque chose la tendresse de Simonide.

Avant cette époque, un homme éminent et généreux, dont tous les amis des lettres, des sciences et des arts conservent religieusement la mémoire. M. le comte Français, avait fait des loisirs à Casimir Delavigne. Prophète, comme vous l’eussiez tous été, je lui avais promis un brillant avenir pour le jeune candidat de la gloire ; vous savez s’il a tenu et surpassé nos promesses.

Comme notre poëte national Béranger, Delavigne célébra la gloire de la France devant ses vainqueurs d’un moment. Devant eux encore, il élevait dans ses vers un autel à l’héroïne de Vaucouleurs. Sa muse applaudissait aux efforts de l’Italie et de la Pologne, si glorieusement occupées de reconquérir leur liberté. La fortune a trahi leurs efforts, mais le poëte est demeuré fidèle aux vaincus.

Je ne retracerai point ici, Messieurs, tous les succès de Casimir Delavigne, sur l’une ou l’autre scène ; ses ouvrages sont adoptés aujourd’hui par la France entière qui les avait tant de fois applaudis avec enthousiasme ; mais je ne puis lui refuser un éloge qui réjouira son ombre présente, un tribut de notre douleur.... Disciple des grands maîtres de l’art, et fidèle à leurs exemples, il a toujours respecté la morale dans ses compositions. Toutes portent l’empreinte de la candeur et de la pureté de l’âme qui les a inspirées. Dans tout ce qui est sorti de sa plume, dans tout ce qu’il a fait entendre au théâtre, pas un trait qui puisse alarmer la pudeur et de défleurir l’innocence.

La nature avait traité Casimir Delavigne en enfant gâté ; il avait reçu d’elle beaucoup d’esprit, un beau talent et un bon cœur. Puisse-t-il avoir transmis tous ces dons au jeune enfant qu’il élevait avec la plus tendre sollicitude ! Ce que je dis ici, Messieurs, est plus qu’un vœu, c’est une espérance. Le fils de Casimir Delavigne fait aussi d’heureuses promesses, et par une faveur du ciel, il possède une mère digne et capable de continuer l’ouvrage du meilleur des époux et des pères.