Réponse au discours de réception d’André Dacier

Le 29 décembre 1695

Jules de CLÉRAMBAULT

RESPONSE de Mr l’Abbé de Clerambault, au discours prononcé par Mr. Dacier, lorsqu’il fut reçû à la place de Mr. de Harlay, Archevesque de Paris.

 

Monsieur,

Vous dissipez par votre presence la juste crainte qui nous occupoit depuis longtemps, de ne pouvoir remplir d’une manière convenable, la place de l’illustre Académicien que nous regrettons, & qui par tant de raisons estoit si digne de nostre estime.

 

Car si les hommes meritent de grandes louanges, lorsqu’engagez par leur mauvaise fortune, & comme forcez par le malheur de leur estat, à tout entreprendre pour l’adoucir, ils taschent par leurs travaux à faire valoir  les avantages qu’ils ont receus de la nature : quels eloges ne sont pas deux à celuy qui dès sa premiere jeunesse, accomapgné de la porsperité, sans pouvoir en estre seduit, a tousjours suivi les mesmes routes, avec cette ardeur & ce noble desir de se distinguer, si necessaire à former les grands Personnages ? Le succés fut tel qu’on le pouvoit attendre d’une pareille application, secondée par un beau naturel ; il scut mettre dans tout leur jour, & d’une manière presque inimitable, les grands talens dont son esprit estoit orné, egalement profond & facile dans la pluspart des genres d’erudition ; il estoit tellement maistre des diverses matieres proposées, que ses responses seroient souvent d’instruction à ceux qui croyoient les avoir espuisées par leur estude particuliere ; les graces de l’Eloquence inseparables de ses discours, quoique sans preparation, brilloient jusques dans les choses qui en paroissoient le moins susceptibles ; il joignoit à cet esprit superieur & capable des plus grandes affaires toutes les autres qualitez propres à cimenter la societé civile, ces manieres fines & liantes qui concilioient ses esprits les plus opposez, cette affabilité qui luy fut tousjours si singuliere par la seule envie de rendre, s’il eust peu, tout le monde heureux, & cette bonté si rare, dont il a donné tant de marques à l’égard de ses ennemis, non seulement par le genereux oubli des injures, mais mesme jusqu’à leur imposer par ses bienfaits la necessité de la reconnoissance.

 

Quelle perte & pour l’Académie que celle d’un Homme si excellent, & pour l’Eglise que celle d’un Prelat si distingué par tant de qualitez eminentes. Si la sagesse du Prince vient de reparer pleinement la perte de l’Eglise par le choix d’un Sujet, dont le merite & la vertu ne luy laisse rien mestre à souhaiter ; nous pouvons dire, Monsieur, que celle de l’Académie n’est pas moins heureusement reparée par un Confrere aussi fameux dans les Lettres que vous ; formé au bon goust par de grands Maistres, vous sçavez enrichir tous les jours nostre Langue par tant de doctes escrits, vous avez par vostre application establi entr’elle & les precieux restes de la sçavante Antiquité, cet estroit commerce qu’on jugeoit presque impossible ; vos traductions elegantes ont souvent fait voir que ces excellents Ouvrages n’estoient pas encore assez connus pour un siecle aussi esclairé que le nostre ; vos sçavantes Remarques nous ont comme familiarisé avec cette erudition espineuse, mais pourtant necessaire, ayant trouvé l’art merveilleux de rendre faciles & aimables ces connoissances abstraites, recueillies des monuments de ces âges celebres, ou renfermées jusqu’icy dans les escrits negligez de quelques sçavants obscurs : heureux dans les recherches si laborieuses d’avoir pour compagne une Personne qui fait tant d’honneur à son sexe & à nostre siecle.

 

Il est aisé de juger, Monsieur, quelle joy l’Académie Françoise peut ressentir du choix qu’elle vient de faire, puisque vous estes si propre à concourir à la durée & à l’estendue de sa reputation ; & quel plaisir pour elle de se conformer au dessein du grand Ministre à qui elle doit son origine. Il voulut bien mettre au nombre de ses plus importantes occupations le soin de la former des plus beaux esprits de son temps. Il fit par là bien paroistre avec quelle profondeur il excelloit dans le merveilleux don de connoistre les hommes : veritable fondement des succés incroyables dont il embellit son Ministere & notre Histoire, & sembla marquer ainsi quelle attention l’Académie devoit tousjours avoir à donner de dignes Successeurs à ces grands Hommes.

 

Comme nous commençons à vous interesser à ce qui vous reagarde, nous vous felicitons, Monsieur, de l’heureux engagement où vous vous trouvez d’asseurer la perpetuité de vostre Nom, en exerçant vostre éloquence sur un sujet veritablement digne d’elle. Ce ne peut estre que LOUIS LE GRAND nostre auguste Proecteur, si elevé au dessus des autres hommes par le rare concours de tant de perfections ; & quoy que la grandeur, & s’il faut ainsi dire, l’immensité de la matiere soit redoutable aux plus grands Maistres, soustenu neanmoins de cette longue habitude contractée par vos veilles avec tant de Heros, vous pourrez plus aisement instruire la posterité des merveilles de son regne, la parfaite connoissance de leurs differents caracteres, vous donnera lieu d’en tracer de plus vives images en sa Personne ; & si la superiorité avec laquelle ce Prince possede toutes les vertus de ces grands Personnages, vous empesche de le faire connoistre avec assez d’exactitude, ce sera du moins de la manière la plus approchante de la verité.