Discours de réception de Étienne Pavillon

Le 17 décembre 1691

Étienne PAVILLON

Discours prononcé le 17. Decembre 1691, par Mr. PAVILL0N lorfqu’il fut reçû à la place de Mr. de Benferade.

 

MESSIEURS,

Comme la grace que vous me faites n’a point de prix, ma reconnoiffance n’a point de bornes. Pour défendre le jugement que vous avez rendu en ma faveur, je fuis prefque refolu à demeurer d’accord du merite que vous avez creu trouver en moy, & à facrifier aux interefts de voftre gloire cette modeftie fi louable dans les grands hommes, fi neceffaire dans les autres, & à laquelle feule je fuis peut eftre redevable de la place que vous m’accordez aujourd’huy. Que la vanité de l’homme feroit excufable fi elle ne fe reveilloit jamais qu’en des occafions pareilles à celles-cy, & que la Philofophie auroit de peine à nous defabufer des douces illufions de l’amour propre, s’il avoit tousjours un auffi jufte fujet de nous flatter ! Je fçay bien, MESSIEURS, qu’en me recevant parmi vous, vous ne m’avez pas rendu digne de vous. Il n’appartient qu’à Dieu de changer les fujets qu’il luy plaift d’élire, & de joindre à la grace de fa vocation celle qui les rend capables des emplois où fa providence les appelle. Mais je fçay bien auffi que le public juftement prévenu pour vos décifions, emporté par voftre exemple, & fur la foy de vos exercices, ne fçauroot refufer fon eftime à ceux que vous honorez de voftre choix. Si donc quelqu’un de ceux qui font prefens à cette ceremonie s’eftonne de voir aujourd’huy Saül entre les Prophetes, je le fupplie de refpecter en ma perfonne l’autorité de vos fuffrages & de me permettre de luy dire, que reveftu de la gloire de voftre choix, il eft bien plus aifé que je paffe dans le monde pour tel que vous m’avez fuppofé, que de faire douter du difcernement d’une Compagnie qui n’a jamais erré jufqu’à prefent. Enfin, MESSIEURS, foit qu’ayant tousjours rendu juftice, vous ayez creu qu’il vous eftoit permis de faire une fois grace, foit qu’aprés avoir donné tant de preuves de la delicateffe de voftre gouift dans les élections precedentes, vous ayez jugé à propos de ne fonger en celle-cy qu’à faire éclater la liberté de vos fuffrages, permettez-moy en ce jour le plus beau de ma vie de ne penfer qu’à ce qui peut exciter mon courage, & redoubler ma joye ; que fans penetrer vos raifons je regarde feulement quels juges m’ont choifi, à quels hommes ils m’ont preferé, & quelle eft la reputation de celuy dont ils me font le fucceffeur.

Ce n’eft pas icy le lieu où l’on doive faire valoir la nobleffe du fang de cet illuftre mort, icy le hazard de la naiffance ne fait eftimer, ni méprifer perfonne, auffi dans la pompe funebre des deffunts on n’y fait point marcher devant, les images de leurs anceftres, on n’y expofe que leurs talens, on n’y montre que leurs ouvrages. Que par tout ailleurs on pare l’éloge du deffunt du nom des anciens Seigneurs de Maline, que l’on compte entre fes ayeuls celuy qui dans le commencement du fiecle paffé fut Grand Maiftre de l’Artillerie, on ne doit parler icy que de ce qui le fit admirer pendant fa vie, & de ce qui le doit faire revivre aprés fa mort. Quelle adreffe de faire également fouffrir des railleries aux plus impatiens, des loüanges aux plus modeftes, de dire des veritez au milieu de la Cour fans nuire à fa fortune, & de divertir ceux mefme aufquels il reprochoit quelque deffaut. Aimable cenfeur dont les vers ingenieux, purgez de la bile & du fiel de la fatire, ont trouvé cet art admirable de reprendre tout le monde, & de n’offenfer perfonne. Quelle dexterité à manier les fujets les plus delicats, quelle fecondité pour fuppléer à la fterilité des autres. Tout devenoit or en fes mains, & les matieres les plus communes recevoient de luy des beautez dont on ne les croyoit pas capables. En un mot vous avez veu dans ce digne Confrere le fruit des foins que le Grand Cardinal de Richelieu avoit pris de fon éducation ; celuy qui donna la naiffance à voftre docte Compagnie fit élevër fa jeuneffe, & comme ce n’eft que du cofté de l’efprit qu’on regarde les hommes parmy vous, avant mefme que vous l’euffiez affocié il pouvoit fe vanter que vous eftiez enfans du mefme pere.

Après que cet incomparable Miniftre fous les aufpices de fon Maiftre eut gueri la France de fes vieilles playes envenimées par de longues féditions ; aprés qu’il eut fait changer de face à toute l’Europe, defarmé l’herefîe, fecouru nos Alliez, battu nos Ennemis, reculé noftre Frontiere, reftabli les légitimes héritiers fur le throne de leurs Anceftres, & fait trembler à fon tour la Maifon d’Autriche jufques dans Vienne & dans Madrid. Aprés tant d’heureux fuccez voyant qu’il luy reftoit encore plus à faire pour l’honneur & la feureté de fa patrie, je crois que ce grand homme éclairé par fon génie connut enfin, s’il eft permis de parler ainfi, qu’il n’eftoit né feulement que pour préparer les voyes à celuy qui devoit venir ; je crois que dans cette veuë, comme fi le deftin mefme l’euft fait lire dans l’avenir, feur du Heros qui devoit bien-toft paroiftre, de toutes les actions de fa vie, celle dont il s’applaudit davantage fût d’avoir fondé cette celebre Académie, où l’on trouveroit dans le temps des Poètes, des Orateurs & des Hiftoriens dignes de rendre compte à la pofterité des merveilles qui devoient fuivre fon miniftere.

Cependant ce bel ouvrage alloit perir avec fon auteur, fi ce fçavant Chancelier, comme plus prez des événemens n’euft encore mieux connu que luy la neceffité de proteger vos affemblées, & de recueillir les Mufes errantes & defolées dont il prévoyoit qu’on alloit avoir fi grand befoin.

En effet, MESSIEURS, quelle difference de ce que nos Peres ont veu à ce que nous voyons aujourd’huy ! Nos Peres ont veu la France mandier des Alliez dans toutes les Cours de l’Europe pour refifter aux feules forces de l’Efpagne, & nous voyons la France à prefent compter à peine cette ancienne ennemie entre les Puiffances que la jaloufie arme contre elle. Ils ont veu la fougueufe valeur des François fortir impetueufement de leurs Frontieres pour aller dans les Pays eftrangers faire des conqueftes mal affeurées. Nous voyons la mefme valeur, mais mieux conduite, ne tirer jamais l’efpée que pour unir infeparablement à la Couronne des Provinces toutes entieres. Ils ont veu les confeils éventez, les finances diffipées, faire avorter tous leurs deffeins, nous voyons l’ordre & le fecret faire reüffir tous les noftres. Enfin ils ont veu fouvent la honte des Traitez ternir la gloire de leurs Armes, & nous voyons tousjours nos victoires couronnées par la gloire de nos Traitez.

Nous fçavons tous à qui nous devons ce merveilleux changement, mais que le glorieux eftat où il nous a mis ne nous faffe pas meconnoiftre ; nous ferions encore le mefme peuple, fi nous avions encore les mefmes Maiftres, & il n’eft point de Nation qui ne foit devenuë ce que nous fommes, fi elle avoit eu le bonheur d’avoir un Prince comme le noftre. Quand la fortune de temps en temps nous a fait perdre de grands hommes, a-t-elle interrompu le cours de nos victoires ? A-t-elle retardé nos entreprifes ? ou pluftoft n’a-t-elle pas prouvé par là que le deftin de la France ne dépend uniquement que de la Tefte qui la gouverne ? Ces mefmes vertus que nous admirons, que les peuples les plus éloignez reverent, & que nos voifins n’ont pu voir fans crainte, ou fans envie ; c’eft à vous, MESSIEURS, à les couronner, & quand vous m’appeliez pour partager avec vous ce noble employ, animé par voftre prefence, ravi de l’honneur que je reçois, j’oublie ma foibleffe dans ce glorieux moment, & j’ofe mefme efperer de marcher un jour fur vos traces, quand vos lumieres, voftre exemple & vos leçons m’auront donné affez de force pour vous fuivre.