Réponse au discours de réception d’Antoine Houdar de La Motte

Le 8 février 1710

François de CALLIÈRES

RESPONSE DE CALLIERES, alors Directeur de l’Académie, au Difcours prononcé par M. de la Motte, le jour de fa reception.

 

MONSIEUR,

Si l’ufage de faire l’eloge de chaque Académicien que nous perdons, n’eftoit desja introduit dans cette Compagnie, Monfieur de Corneille meriteroit qu’elle commençaft par luy à faire un fi loüable eftabliffement : le nom qu’il portoit s’eft rendu fi celebre, qu’il a fait honneur non feulement à l’Académie Françoife, mais mefme à toute la Nation.

 

Le grand Corneille fon aifné, s’eft attiré l’admiration de fon fiecle, & il s’eft affeuré de celle de tous les fiecles à venir : la force & l’elevation de fon génie, l’a égalé aux plus fublimes & aux plus excellents Poetes de l’antiquité, s’il ne les a mefme furpaffez dans fon genre d’efcrire.

 

Son frere a marché fur fes pas immédiatement après luy, il a mefme merité par quelques-uns de fes Ouvrages de marcher à fes coftez. Ses peintures vives & touchantes des malheurs d’Ariane abandonnée par fon efpoux infidelle, ont tiré des larmes de fes fpectateurs du gouft le plus exquis.

 

Il a fait plufieurs autres Pieces tragiques qui ont eu le mefme fuccés, & il a également reüffi dans le genre Comique ; mais dans le Comique fans baffeffe & fans impureté, qui reprefente les diverfes avantures & les differents caracteres des hommes, & qui par des tableaux ingénieux de leurs paffions & de leurs foibleffes, inftruit & corrige en divertiffant.

 

Aprés avoir fini avec l’applaudiffement du public, cette pénible carriere du Theatre François, il a enrichi noftre Langue de deux amples Dictionnaires tres-utiles & tres-inftructifs ; l’un explique les termes des Arts & des Sciences, & fert comme de fupplément au Dictionnaire de l’Académie Françoife ; l’autre eft un Dictionnaire Géographique & Hiftorique.

 

On peut regarder ces deux grands Ouvrages comme des threfors tousjours ouverts à la Nation Françoife, & tous les Eftrangers qui fçavent noftre Langue, où ils peuvent puifer une infinité de connoiffances utiles & agréables, fans avoir la peine de les chercher dans les diverfes fources d’où il les a tirées.

 

Monfieur de Corneille joignit à un génie fecond & laborieux des mœurs fimples, douces, fociables ; une probité, une modeftie & une humilité dignes des premiers fiecles du Chriftianifme.

 

Vous avez mérité, MONSIEUR, par la beauté de vos Ouvrages de remplir la place d’un fi excellent homme : ce font ces heureufes productions de voftre efprit qui vous ont fait jour au travers de la foule des Autheurs mediocres, & qui ont brillé aux yeux mefmes de vos Juges.

 

Ils ont couronné plufieurs de vos excellentes Pieces de Poefie, & en dernier lieu celle de Profe où vous avez egalé les grands Maiftres de l’éloquence dans l’art de traiter les matieres les plus faintes & les plus relevées.

 

C’eft fur ces titres inconteftables que vos mefmes Juges vous ont trouvé digne de leur eftre affocié, pour partager avec eux l’honneur des fonctions & des exercices Académiques.

 

Loin d’eftre obligez de juftifier leur choix, vous leur avez donné une ample matiere de le faire citer pour exemple de leur équité, de leur bon gouft & de la jufteffe de leur difcernement.

 

Voftre election faite par le concours unanime de tous les fuffrages, fervira de preuve convaincante que l’Académie ne peut errer dans fes jugements, lorfqu’elle fe conduit par fes propres lumieres, fans efgard à la brigue & aux follicitations, fuivant l’ordre exprés qu’elle en a de fon augufte Protecteur.

 

Nous fommes perfuadez, MONSIEUR, que vous allez redoubler vos efforts pou celebrer avec nous cette longue fuite d’actions glorieufes, dont fa vie eft un tiffu continuel, & pour le reprefenter à la pofterité auffi grand qu’il l’eft à nos yeux.

 

Clement & moderé dans les profperitez les plus brillantes, intrepide dans les plus grands dangers, tousjours efgal dans l’une & dans l’autre fortune, d’une fermeté inefbranlable, & d’une tranquillité qui ne peut-eftre troublée par aucun evenement.

 

N’ayant point de plus chers interefts que ceux de la vraye Religion, dont il eft l’infatigable appuy, & preferant tousjours à la gloire de fes juftes conqueftes, celle d’eftre l’Autheur du bonheur public, fi fouvent troublé par les jaloufes terreurs de fes voifins, fi fouvent reftabli par les grands facrifices qu’il leur a faits, & qu’il eft encore preft de leur faire, pour affeurer le repos de fes peuples, & celuy mefme de fes ennemis ; dignes objets des foins paternels d’un Roy grand, fage, jufte, bienfaifant & veritablement tres-Chreftien.

 

Voila, MONSIEUR, une partie des riches & precieufes matieres que vous avez à mettre en œuvre ; c’eft le tribut que nous impofons à voftre reconnoiffance, pour l’honneur que vous recevez aujourd’huy. Honneur brillant par luy-mefme, plus brillant encore par les tefmoignages unanimes que nous rendons au Public, que vous en eftes veritablement digne.