Discours de réception de Jean de La Chapelle

Le 12 juillet 1688

Jean de LA CHAPELLE

Discours prononcé le 12. Juillet 1688. par Mr. DE LA CHAPELLE, Confeiller du Roy, Receveur general des Finances de la Rochelle, le jour de fa reception.

 

MESSIEURS,

Si les mouvements du cœur pouvoient fuppléer aux lumieres de l’efprit, l’honneur que vous me faites aujourd’huy ne jetteroit pas dans mes penfées le defordre & la confufion dont je ne puis les développer. Je fçay que cet honneur eft d’un prix infini ; & s’il fuffifoit de le connoiftre pour le meriter, je ne rougirois pas à la veuë de ceux à qui j’en fuis redevable, honteux de ne pouvoir donner des expreffions à ma reconnoiffance.

Eh ! comment en pourrois-je trouver ? A peine initié dans les myfteres du Parnaffe, s’il m’eft permis de me fervir de ces termes, par quelques Ouvrages que je n’ofe pas mefme avouër, tant ils me paroiffent peu dignes du rang que je viens occuper ; & connu feulement par les bontez d’un grand Prince que je n’ay pas meritées, je me trouve élevé au plus haut degré d’honneur où la vertu fincere, l’érudition profonde, l’éloquence parfaite, puiffent élever ceux que l’eftude des belles Lettres diftingue du refte des hommes. Je m’y regarde expofé aux yeux de toute la France comme fur un Théatre magnifique, où tout ce qui frappe mes yeux eftonne mon efprit & glace ma voix.

Ce filence profond que gardent autour de moy tant d’hommes illuftres, accouftumez à fe faire admirer lorfqu’ils parlent ; ce concours extraordinaire de toutes fortes de perfonnes à qui vous ouvrez aujourd’huy les portes de cet augufte Tribunal des Mufes ; tous ces regards attachez & confondus fur moy, qui prefentent aux miens autant de Juges que j’ay d’auditeurs, Juges inflexibles & prefts fur ce qu’ils vont entendre, à approuver ou à condamner voftre choix ; enfin la dignité de ces lieux, & plus encore la Majefté de celuy qui, quoy qu’abfent, les remplit tousjours, dont l’image facrée prefide à toutes vos Affemblées, les échauffe, les anime de cet efprit de grandeur & de droiture qui éclate dans toutes fes actions. Quel fpetacle pour un homme qui connoift fa foibleffe, & à qui voftre gloire eft encore plus chere que la fienne !

J’ofe le dire, MESSIEURS, il eftoit de voftre intereft que fur le pretexte fpecieux des occupations que me donne, fur tout en ce temps-cy, mon attachement affidu aprué du Prince[1] que j’ay l’honneur de fervir, je fuffe difpenfé de la Loy commune, qui m’oblige aujourd’huy à vous parler en public.

Mais puifqu’il ne m’eft pas permis de violer un ufage obfervé depuis fi long-temps avec tant d’éclat, puiffe le Genie de ce fameux Cardinal, à qui cet augufte Corps doit fa naiffance, m’infpire ce qu’l faut que je dife, de mefme que long-temps après fa mort il a encore conduit les affaires de cet Empire floriffant, & donné le mouvement à celles de toute l’Europe, tant les mefures qu’il avoit prifes eftoient longues & juftes, & les fondemens qu’il avoit jettez eftoient folides & affurez.

Son nom au deffus de tous les Eloges, imprime à ce qu’il a fait un caractere de gloire, qui par ce feul titre attire avec juftice à cette illuftre Compagnie la veneration de tous les efprits ; mais vous n’eftes point de ces enfans oififs, qui fiers de la dignité de leur naiffance & enfevelis dans un honteux loifir, penfent fucceder à la reputation de leurs peres, comme à un heritage, fans imiter leurs vertus.

Vous avez encore plus acquis qu’on ne vous a laiffé ; vous avez mefme augmenté la gloire de voftre Fondateur, en meritant que l’invincible Monarque qui régne aujourd’huy, ne dédaignoit pas d’eftre voftre Protecteur, ny de remplir une place que deux de fes Sujets ont occupée avant luy, comme fi ce grand Prince après avoir porté la France à un degré de puiffance, auquel le Cardinal de Richelieu luy-mefme, tout vafte & tout élevé qu’il eftoit dans fes projets n’a jamais porté fes efperances ny fes veuës ; comme fi, dis-je, il s’eftoit fait un plaifir de donner la perfection à tout ce que ce celebre Miniftre n’avoit fait que fouhaiter, pour couronner en mefme temps la vertu d’un grand homme, & faire connoiftre la fuperiorité du génie des Rois fur celuy de leurs fujets.

Après tout, quelque éclatant que foit l’eftat où fe voit aujourd’huy l’Académie, fouffrez que je vous rappelle avec quelque plaifir celuy où elle eftoit en naiffant ; fouffrez que je vous faffe fouvenir de ces premiers temps, dont voftre Hiftoire a fait une fi agreable peinture. Temps heureux où l’eftime réciproque, l’amitié desintereffée, l’eftroite union des cœurs faifoient le principal ornement de l’Académie !

Alors nulle infidelité, n’avoit encore obligé l’Académie à retrancher aucun de fes membres, & nul autre avant moy en prenant fa place parmy vous, n’avoit efté reduit à déplorer les égaremens de fon predeceffeur[2], au lieu de donner des louanges à fon merite, & des pleurs à fa mémoire. Alors un mefme efprit animoit tous les membres de ce grand Corps, un mefme cœur les faifoit mouvoir ; nulle intrigue fecrette, nulle crainte, nulle deffiance, nulle jaloufie ne les divifoit. Chacun regardoit les interefts des autres comme les fiens propres, & les affaires de chaque particulier devenoient celles de tout le Corps.

Je ne fcay fi mes expreffions refpondent à mon idée, mais j’avouë qu’il fe forme dans mon efprit une image fi parfaite & fi gracieufe de ces premiers temps, que j’ay peine à l’en détacher.

Cependant, qu’on ne croye pas que je ne vous la prefente icy, cette heureufe image, que comme un de ces admirables antiques dont le gouft a peri avec ceux qui les ont faites, & dont ceux qui ont travaillé d’après, n’ont donné que des Copies plus propres à faire admirer les anciens Ouvriers qu’à nous confoler de leur perte.

Non, MESSIEURS, cette fimplicité noble de nos Peres, cet efprit d’union & de concorde n’eft point efteint parmy vous, il eft environné de mille autres qualitez plus brillantes, qui en quelque manière le dérobent aux yeux ; mais il n’en eft pas moins réel ny moins effectif, & vous confervez encre au Louvre la mefme pureté que vous aviez dans le Temple de Thémis.

C’eft ainfi que j’appelle la Maifon qui vous fervit de retraite après la mort du Cardinal de Richelieu ; le Palais d’un des plus illuftres Chefs que la Juftice ait jamais eus en France n’eft pas indigne d’un titre fi augufte.

Combien eftoit-il au deffus des autres Hommes, cet Homme merveilleux, que la multitude des affaires dans la diftribution de la Juftice commune, ne laffa ny ne dégoutta point, que le poids des grandes chofes dans le Confeil de nos Rois n’accabla ny ne déconcerta jamais ; également fublime, également admiré dans les plus éclatans & dans les moindres emplois ? Jugez de ce que fut M. Seguier par ce qui a fuivi fa mort, & réparé fa perte. LOUIS, l’invincible LOUIS, a bien voulu eftre fon fuceffeur.

Qu’il me foit permis icy, MESSIEURS, quoy que je connoiffe mon peu de force pour une fi haute entreprife, qu’il me foit permis de rendre à cet augufte Protecteur le jufte tribut d’admiration & de louanges que luy rendent fes ennemis mefme, fi toutefois il eft encore des hommes fur la terre à qui on puiffe donner ce nom, affez aveugles & temeraires pour ne pas refpecter fa puiffance formidable, affez pervers & barbares pour ne pas adorer fes vertus.

N’attendez pas que je vous entretienne de fes Conqueftes ny de fes autres actions encore plus éclatantes que fes Victoires. N’attendez pas que raffemblant tous les traits de fa gloire en un feul Tableau, je vous reprefente les bornes de fon Eftat pouffées au delà des pretentions de fes Ayeux, les Peuples nouveaux acquis à fon Empire, les Eftats les plus éloignez humiliez & tremblans, les Voifins eftonnez & foufmis, la terreur de fon Nom portée aux deux bouts du Monde, les Païs inconnus à l’Europe avant luy, pleins du bruit de fes Exploits, & de l’admiration de fa Grandeur ; la Paix, l’Abondance & la Tranquillité affermies dans fon Royaume, tandis que les horreurs de la guerre menacent ou defolent les autres Empires ; le Commerce rendu libre à fes Sujets dans toutes les parties de l’Univers, la Juftice & les Loix reftablies, la Religion protegée, l’Herefie deftruite.

Sans entreprendre de parcourir toute cette fuite de merveilles, je tafcheray feulement de vous faire remarquer en luy un caractere de perfection qui m’a tousjours frappé, & qui me femble élever fa gloire infiniment au deffus de tout ce qui a fait le comble de celle des autres.

En effet, d’autres ont efté Conquerans avant luy, mais ils ont borné leurs veuës & leurs projets à gagner des Batailles & à prendre des Villes. LOUIS va plus loin.

Confiderez encore aujourd’huy plufieurs fiecles aprés la mort de ces fameux Vainqueurs, les Pays où ils fe font fignalez. Ce ne font que ruines affreufes, que reftes épouvantables de carnage & d’incendie, que deferts d’autant plus horribles qu’ils ont efté autrefois habitez ; & qu’on n’y trouve plus que quelques miferables refugiez fous de triftes mafures où ils gémiffent & n’entendent prononcer qu’en fremiffant le nom de ces Conquerans, que ne font louëz & admirez que dans les lieux où ils n’ont jamais efté. Et regardez les pays que LOUIS a conquis ; Villes floriffantes, Baftimens fuperbes qui les embelliffent, Fortifications magnifiques qui les ornent & qui les défendent, Peuples heureux & enrichis qui beniffent à toute heure le moment où ils ont efté foufmis à fa domination.

On diroit qu’il a voulu faire pour chaque Place ajouftée à fon Empire, ce dont un des premiers Maiftres du Monde faifoit fa principale gloire pour Rome feule, qu’il fe vantoit d’avoir trouvée de Brique, & d’avoir renduë de Marbre.

La mefme fingularité glorieufe fe trouve dans tout le refte de fes actions. S’il deftruit par la jufte rigueur de fes Loix la fureur des Duels jufques alors impunie en France, il en imprime en mefme temps l’horreur dans les cœurs par l’ardeur de luy plaire, que fes bontez infpirent à fes Sujets ; & il attache la honte à ce qui faifoit autrefois la gloire des plus braves.

Si fes Vaiffeaux vont fous un autre Ciel porter la gloire de fon Nom, il entreprend auffitoft d’y faire connoiftre & adorer celuy du vray Dieu.

Enfin, s’il deftruit entierement une Herefie également fatale à l’Eftat, & pernicieufe à la Religion, également forte par le nombre de fes fectateurs, & dangereufe par la fubtilité de fes faux principes, il cherche en mefme temps, il déracine des femences d’erreurs prefque imperceptibles, qui cachées aujourd’huy fous des apparences fpecieufes deviendroient un jour de veritables Herefies, fi fa Sageffe n’eftouffoit ces monftres en naiffant, tant il eft vray que le Ciel luy a donné d’agir, de penfer, de voir au delà des lumieres des autres hommes.

Je m’imagine, MESSIEURS, qu’en ce moment où l’idée de la grandeur de ce Roy tousjours victorieux, honorant cette Compagnie de fa protection, fe prefente toute entiere à vos efprifs, vous me croyez, plus accablé de voftre gloire, & plus penetré que jamais du peu de raifon que j’avois d’afpirer à l’honneur que vous m’avez fait.

C’eft au contraire en ce moment que je deviens plus hardi, & que je trouve qu’il m’eft permis de vous dire que j’ay merité la place que vous m’avez accordée. Je me fouviens que le Prince à qui je dois vos bontez, a l’honneur d’appartenir à LOUIS LE GRAND, & de là me vient cette efpece de prefomption qui fied bien quelquefois & au vray merite & à la vraye vertu. Oui, MESSIEURS, quand je fonge à celuy qui me donne à vous, je fuis digne de vous.

Au lieu des talents que vous cherchez & que vous ne trouvez point en moy, je vous apporte l’amitié de ce grand Prince, dont il m’a ordonné de vous affeurer ; Amitié precieufe, qui faifoit autrefois la joye & les delices du fameux Heros fon Oncle, dont la France pleure encore la perte, & dont tous les fiecles publieront la gloire fans la pouvoir jamais égaler.

Il eftoit, vous le fçavez, un des plus chers objets de l’eftime & des tendres affections de cet Oncle fi admirable ; & qu’il fouffre que je le dife, cette eftime ny cette affection n’eftoient point aveugles. Il a paru digne en effet des des foins & de l’attachement du grand Prince de Condé.

Quand j’oferois entreprendre de vous faire fon Eloge, & de m’abandonner aux mouvemens de mon cœur, après la défenfe qu’il m’en a faite, je ne fçay fi je pourrois rien ajoufter à ce que je viens de vous dire, ny de plus glorieux pour luy, ny de plus univerfellement avoué de tout le monde.

Mais il ne m’a permis, MESSIEURS, de vous parler de luy que pour vous faire des remercimens, & pour vous affeurer qu’il veut bien prendre part à l’obligation que je vous ay, dont je ne perdray jamais le fouvenir, & dont la reconnoiffance fera auffi longue que ma vie.

 

[1] François Louis de Bourbon Prince de Conty. J’avois l’honneur d’être Secrétaire de fes Commandemens, & les ceremonoies de fon mariage n’eftoient pas encore finies lors que ce Difcours a été prononcé.

[2] Mr. de Furetière.