Réponse au discours de réception de Philippe Goibaud-Dubois

Le 12 novembre 1693

Jean TESTU de MAUROY

Réponse de Mr. TESTU DE MAUR0Y, au Difcours prononcé par Mr. du Bois le jour de fa reception.

 

MONSIEUR,

L’ACADEMIE FRANÇOISE, également fenfible à la perte, & à l’acquifition des fujets qui la compofent, ouvre aujourd’huy fes portes, pour témoigner publiquement fa joye, & fa douleur. Elle a cet avantage, que foitqu’elle celebre le merite de l’illuftre deffunt à qui vous fuccedez, foit qu’elle couronne le voftre, elle trouvera autant d’approbateurs, qu’il y a de perfonnes diftinguées dans la Republique des Lettres.

Vous venez de parler de feu Monfieur de Novion, en des termes éloquens, convenables au rang qu’il tenoit, & au titre que vous avez de fon Succeffeur. Tout le monde eft inftruit de la Nobleffe de fon fang, & de celle de fes actions, de l’heureufe fecondité de fon genie, de la vafte eftenduë de fes lumieres, de la jufteffe de fon difcernernent, & fur tout, de la dignité avec laquelle il a prononcé fi long-temps les oracles de la juftice.

Mais fi ces rares qualitez ont efté les degrez par où il eft monté à la tefte du plus augufte Senat du monde, quel prix donnerons-nous à la fageffe qui l’en a fait defcendre ? Il n’eft pas ordinaire de trouver des perfonnes capables des grands emplois ; il l’eft moins encore de leur voir garder une jufte moderation, lorfqu’ils y font une fois eftablis ; mais il eft furprenant qu’ils renoncent à l’autorité, après en avoir goufté les charmes. Le poids des années a beau furvenir à celuy des grandes affaires, ils traifnent les liens d’or & de pourpre qui les attachent, fans avoir la force de les rompre ; & fi par un bonheur qui n’arrive prefque jamais, ils entrevoyent l’innocence & la douceur de la vie privée, c’eft tousiours fi inutilement & fi tard, que la feduction de cette mefme autorité qui leur a tait tout entreprendre, ne leur fçauroit permettre de la quitter.

Il a fallu que Monfieur de Novion ait merité du Ciel, pour avoir renoncé fi à propos à une dignité qui luy mettoit entre les mains la fortune des hommes. Il a fçû par une prudente abdication, rentrer dans la poffeffion de fon cœur ; il l’a heureufement rappellé de la diffipation où l’avoient jetté les grandes occupations ; en un mot, il a tres-utilement employé fes dernieres années, à meriter de pretendre par une innocente prefomption, à ces biens folides, & à ces honneurs immortels que l’on poffede par avance dés cette vie, par l’amour & par le defir.

Voilà, MONSIEUR, comment a fini fes jours le fage Magiftrat que nous regrettons. Il y a long-temps que l’Académie qui vous fait aujourd’huy fon Succeffeur, vous auroit fait fon Confrere, fi les fouhaits l’euffent emporté fur voftre modeftie, & vous avez connu la joye qu’elle a de vous avoir acquis par fon choix unanime, qui ne vous auroit pas manqué, quand la Compagnie auroit efté plus nombreufe. Le Roy mefme, fon augufte Protecteur, par l’efprit de qui elle eft animée ; le Roy, dis-je, qui n’a jamais oublié le merite, quand il l’a connu une fois, a approuvé qu’elle ait choifi pour Académicien, celuy qu’il avoit agréé il y a plufieurs années pour Gouverneur d’un jeune Prince dont le fang, après avoir coulé dans les veines de tous les Souverains de l’Europe, s’eftoit glorieufement réuni au fien, en la perfonne d’une des plus vertueufes Princeffes de la terre.

Mais, MONSIEUR, fi pour le malheur de fa Maifon, vos foins ont fini avec les jours de cet illuftre Pupille, voftre prudence, ni voftre probité, n’ont pas efté pour cela des vertus oifives. La généreufe Princeffe fa tante, j’entens Mademoifelle de Guife, dont le nom eft trop beau pour le taire, vous a demandé vos confeils. Et que pouvoit defirer une ame auffi grande, & auffi élevée que la fienne, finon les confeils d’un homme fage ? Et quels ont efté ceux que vous luy avez donnez ? Nobleffe indigente, tant de fois relevée par fes bien-faits ! Gens de Lettres peu fortunez fes illuftres Penfionnaires, vous l’avez reffenti. J’en attefterois les Manes de ceux qui ne font plus & la reconnoiffance de ceux qui vivent encore, fi je n’épargnois voftre modeftie.

Je ne parlerai donc plus des belles qualitez de voftre ame ; mais comment ne parler pas de l’excellence de voftre efprit ? En verité, je ne m’en dois pas difpenfer, puifque les productions de voftre genie ne font plus entierement à vous, & qu’elles appartiennent à l’Académie, qui vous en peut difputer la proprieté. Non, MONSIEUR, je ne vous impofe point. Ces fidelles traductions des Lettres, des Confeffions & des autres Ouvrages de faint Auguftin, que le Public a defja receuës avec tant d’applaudiffement ; ce qu’a fait ce mefme Pere fur les Evangeliftes, qui eft preft de fatisfaire l’impatiente avidité des Sçavans ; les Offices de Ciceron, fes beaux Traitez de l’Amitié, de la Vieilleffe & des Paradoxes, fi ingenieufement enrichis de Remarques également pieufes & fçavantes ; enfin tout le fruit de vos veilles, dont il y a de quoy faire plufieurs illuftres, tout cela, dis-je, eft un bien que l’Académie a droit de partager avec vous. Il eft vrai que ce partage n’eft pas une divifion, & que vous l’enrichiffez fans vous appauvrir, femblable à ces fils de famille, qui fans fe faire tort, ennobliffent toute leur race.

C’eft ainfi, MONSIEUR, que vous entrez dans l’Académie. Vous la trouverez appliquée à compofer une Grammaire de noftre Langue, & fur le point de publier ton Dictionnaire, qui eft imprimé. Ce doit eftre voftre premier travail, mais non pas le plus penible, ny le plus important, car ce qui nous occupe avec plus d’attention, c’eft le foin de travailler à la gloire du plus grand Roy du monde. Que le Prince ambitieux qui a desja feduit la plus grande partie des Puiffances de l’Europe, acheve de multiplier les forces de fes Alliez, Louis LE GRAND a trois puiffances, avec quoy il reduira toutes celles de la terre ; fa tefte, le bras de fes Généraux, & le cœur de fes Peuples. Avec cela, point de confeils qu’il lie diffipe, point de Fortereffe qu’il ne foudroye, point de Victoire qu’il ne remporte. Roches efcarpées, que la fituation rend audacieufes, vous n’eftes plus imprenables. Fameufes journées de Staffarde, de Steinkerque, de Nerwinde, de Marfaille, vous ferez éternellement memorables par la honte, & par la defaite entiere de fes Ennemis. Voiles innombrables, qui occupiez tout l’Ocean pendant cette derniere campagne, & qui menaciez fi fierement nos Coftes, fuyez, rentrez dans vos ports, LE FRERE DE LOUIS LE GRAND eft trop prés de vous.

Aidez-nous donc, MONSIEUR, à immortalifer ces grands Exploits, & lorfque vous prenez poffeffion de la place que l’Académie vous accorde, fouvenez-vous qu’un Académicien eft un homme confacré à la gloire de LOUIS LE GRAND ; que fi nous avons tant de peine à publier dignement les prodiges du Regne du plus grand des Rois, la pofterité n’en aura pas moins à les croire.