Discours de réception de Jean Testu de Mauroy

Le 8 mars 1688

Jean TESTU de MAUROY

Discours prononcé le 8. Mars 1688. par Mr. l’Abbé TESTU DE MAUROY, lorfqu’il fut reçû à la place de Mr. de Mefmes Prefident au Mortier.

 

MESSIEURS,

Voicy le jour heureux, où il m’eft permis d’entrer dans le Temple de Minerve, de participer aux myfteres des Mufes, & de me voir dans le Sanctuaire de l’Éloquence. Voicy la premiere fois, que je puis fans profanation, envifager en vos perfonnes fes plus fideles Miniftres ; me regler felon vos Loix, & efcouter vos Oracles. Jour plein de gloire ; Jour remarquable entre tous les jours de ma vie ; Jour qui remplit mes defirs, & qui couronne mon efperance.

Que cet honneur doive s’attribuer purement à voftre grace, MESSIEURS, & non pas à mon merite, ce fera tousjours le fentiment de ceux qui fçauront connoiftre la grandeur de voftre bien fait, & celle de mes deffauts.

Car de quel droit oferois-je pretendre d’eftre admis parmy tant de celebres Perfonnages, dont les doctes veilles, &les rares efcrits, tranfmettent l’art de bien penfer, de bien parler, & de bien efcrire, à une longue pofterité ; qui confervent dans fa pureté une Langue, que noftre grand Roy parle mieux qu’aucun homme de fon Royaume ; qu’il a rendue par fes eftonnantes Conqueftes, la Langue generale de l’Europe ; qui fert fi utilement à efcrire les faits incroyables, que fa fageffe luy a fait entreprendre, &que fon courage luy a fait executer ; en un mot, la Langue dont vous vous fervez fi heureufement, MESSIEURS, à l’avantage de noftre Nation, & à la gloire de noftre Augufte Monarque ?

Certtes, quand je me voy placé entre tant d’excellens Ecrivains, tant de fameux Orateurs, tant de Poëtes illuftres, qui difpofent fi fagement de l’immortalité qui eft le partage des plus grands hommes ; quand je me reprefente l’égalité judicieufe, qui eft eftablie entre les membres de voftre illuftre Corps ; quand je conçois qu’elle fait oublier, du moins pour un temps, la difference de la fortune des hommes, les prerogatives du fang, les avantages des premieres dignitez de l’Eglife & de l’Eftat ; & que je remarque, que de toutes les Affemblées qui font au monde, le Corps de la Religion, & celuy de l’Academie, font les feuls, dont les membres font fi heureufement confondus, je ne puis que je ne m’efcrie, en admirant cette furprenante égalité : Qui fuis-je, pour me voir entre tous ces grands Hommes ?

Et veritablement, MESSIEURS, le rang que tenoit parmy vous feu Monfieur le Prefident de Mefmes, pouvoit eftre deferé à un fujet plus digne que je ne fuis de luy fucceder. Sa famille peut eftre nommée comme celle de Boéce, une veine de pourpre, & le Seminaire dela premiere Magiftrature. Son nom, que je ne puis prononcer fans renouveller voftre douleur, eft également venerable dans le premier Senat du monde, & chez les Nations Eftrangeres. L’intégrité, la fermeté, & la penetration, eftoient des vertus de Tribunal : le zele, la politeffe, & la difcretion, eftoeint fes talens de la Cour : l’amour des Lettres & des Sçavans, la douceur & l’honnefteté, eftoient fes qualitez de l’Académie. La perte du Senat vient d’eftre réparée en la perfonne de fon digne Fils ; mais comment réparer en la mienne, ceIle que vous avez faite ?

Si vos graces, MESSIEURS, eftoient de la nature de celles du Ciel, qui changent les Sujets qu’elles enrichiffent, je deviendrois tel, que vous n’auriez point de regret à voftre choix. Je ne ferois pas en peine de vous remercier de l’honneur que vous me déferez ; & lorfque je fens en moy le concours mutuel de la joye & du refpect, je ne me trouverois pas entre la crainte & la temerité ; car s’il ne s’agiffoit que de refpondre à voftre grace par une tendre reconnoiffance, je pourrois fatisfaire à ce jufte devoir. Mais je me voy dans l’obligation de m’en expliquer publiquement ; c’eft à dire, dans le peril de paffer pour ingrat, ou de paroiftre peu difert.

Car quel difcours peut mériter, je ne dis pas voftre approbation, MESSIEURS, mais voftre feule attention, fuft-il digne de l’applaudiffement des autres hommes, fi vous n’oubliez dans ce moment, que vous eftes les depofitaires de l’Eloquence, & que la force auffi bien que la politeffe de noftre Langue, font des talens qui vous font naturels, tandis qu’ils font aux autres, le fruit de l’art, & d’une application laborieufe ?

Et ce qui augmente la difficulté du devoir dont je voudrois m’acquiter, c’eft que je me reprefente que je n’ay pas feulement à parler devant vous, mais que je fuis environné des Génies du grand Armand & du fage Seguier, qui ont protégé voftre fçavante Compagnie ; de forte que je fuis réduit à craindre, & ce que je voy, & ce que je ne voy pas.

Car je me fuis bien apperceu d’abord que je fuis entré dans ce lieu, qu’il y a quelque chofe de plus qu’humain qui y refide. Et que feroit-ce, finon les Genies de ces deux perfonnages prefque divins, qui vous affiftent invifiblement dans la diftribution que vous faites de l’immortalité ? Tous deux au deffus des éloges qui leur ont efté donnez pendant leur vie, & qui ne fçauroient eftre mieux louez aprés leur mort, que par l’honneur que leur a fait ce Grand Roy que voilà[1], de fe declarer leur fucceffeur dans la protection de l’Académie.

Ah ! que cette gloire redouble le refpect que j’ay eu toute ma vie pour voftre illuftre Corps ! & je ne puis vous diffimuler, MESSIEURS, que lorfque j’ay le plus paffionnément fouhaité de me voir un de fes membres, j’en ay efté retenu par une pudeur digne de fon prix.

Car bien que j’aye confumé un bon nombre de mes meilleures années, à l’inftruction de deux des plus grandes Princeffes de la Terre, dont l’une fait desja la félicité de fes Eftats : quoy qu’en la perfonne de l’autre, je cultive un efprit qui va plus vifte que mes defirs, de qui je puis dire ce que difoit saint Auguftin de celuy de fon fils, qu’il me caufe un eftonnement qui va jufqu’à la frayeur ; l’efprit, dis-je, d’une Princeffe, dont les inclinations toutes royales, animées d’un certain air de Majefté répandu dans toute fa perfonne, luu donnent droit d’afpirer, que fais-je ? fans doute au choix des Couronnes de l’Europe. En un mot, quoy que ces foins efclatans me peuffent faire pretendre aux honneurs qui refultent des belles Lettres, je n’aurois neanmoins jamais ofé demander d’eftre receu dans vos Assmblées, fi le Vainqueur de Caffel n’euft daigné m’en ouvrir la porte, de la mefme main, dont il a fi glorieufement triomphé des ennemis de la France.

Oui, MESSIEURS, c’eft MONSIEUR qui a animé voftre choix, & le comble de mon bonheur a permis que je luy doive la place que vous m’accordez, afin que je ne poffede nul avantage dont je ne luy fois redevable.

Et pourquoy me difpenferois-je de cette loy, moy qui fuis fa creature, tandis que l’Eftat mefme luy doit fon repos ? Car fi ce repos confine dans l’amour & dans l’obeiffance des Sujets envers leur Souverain, n’eft-ce pas luy qui montre par fon exemple, non feulement aux Princes comme aux Peuples, le refpect, l’obeiffance, & la tendreffe qu’ils doivent au Roy ; mais encore, qui en fait la principale maxime de l’éducation fi importante de ce Fils precieux, qui eft fi-toft devenu le favori de la Raifon ? Qui a porté plus loin que MONSIEUR & en fi peu de temps, la bonne fortune de l’Eftat, & ce qui eft rare, la modeflie d’un Vainqueur ? Qui de ceux qui l’ont veu triomphant, l’a jamais ouï parler de fes victoires ?Tout comblé de gloire, tout chargé de triomphes, autant au deffus des plus grands Princes par l’excellence de fa perfonne, que par fon augufte naiffance, ne confond-il pas toutes fes qualitez héroïques dans les deux feuls caracteres du plus excellent Frere, & du plus fidelle Sujet qui fut jamais ?

Rare exemple, certes, & digne de l’admiration des fiecles à venir ! C’eft ce fage Frere, qui apprend leur devoir à tous les ordres du Royaume ; & ce font ceux-cy qui l’enfeignent après luy aux autres Nations de la terre.

Car fans parler des droits du trofne, l’amour & l’obéiffance de toute la France pour la perfonne du Roy, vont aujourd’huy fi loin, que fes Peuples, qui le tiennent pour une féconde Divinité, eftiment que leur amour & leur fidélité font pour eux une feconde Religion, & qu’ils ne fçauroient manquer à leur devoir, fans commettre un féeond facrilege.

Ah ! fi le peu de temps qui eft prefcrit à mon difcours, me permettoit de parler amplement de ce grand Roy, les délices de fes Peuples, combien d’exploits incroyables qui fe prefentent en foule à mon efprit, entreroient dans fon éloge ? Le nombre furprenant & la rapidité de fes conqueftes, la fageffe de fes confeils, le bonheur de fes entreprifes ; le généreux ufage de fes victoires, fon autorité par tout fi reconnuë & fi redoutée ; fes troupes fi bien difciplinées, leurs Chefs fi paffionnez pour fa gloire ; les vaincus fi foufmis, les vainqueurs fi modérez ; le bonheur de fes Peuples fi envié ; tant de Villes heureufes de s’eftre rendues, tant d’Eftats tranquilles fous fa protection ; & ce qui le touche plus que le refte, la Religion triomphante, l’Herefie deftruite, la Piété fur le trofne : Grand Dieu ! quelle richeffe ! quelle abondance pour un éloge !

Je m’affure, MESSIEURS, que ces fidelles Ecrivains[2] des prodiges de fa vie, vos illuftres Confreres, qui ont entre leurs mains le precieux dépoft de fa gloire, n’en obmettront pas la moindre circonftance ; mais je doute que la pofterité ajoufte une foy fincere à leurs écrits.

Non, elle ne croira jamais qu’un feul Roy en ait pû tant accomplir ; & comme la Fable attribuë les travaux d’Hercule à un feul Héros, quoy que ce foient les actions de plufieurs qui avoient le mefme nom ; auffi ceux qui liront l’Hiftoire de nos jours, ne pourront croire, qu’un feul de nos Rois ait fait ce nombre prodigieux de merveilles que nous avons veuës ; & attribuëront, en renverfant l’ordre des temps, à treize de nos Monarques qui ont porté le nom de LOUIS, ce qui n’appartient qu’au Regne, & à la Perfonne de LOUIS LE GRAND.

Regne glorieux, puiffes-tu durer autant que nos defirs ! Roy incomparable, puiffiez-vous vivre autant que voftre gloire ! Heureufe la condition de noftre Langue, de pouvoir vous louer fans flaterie ! Plus heureufe celle de nos cœurs, de pouvoir vous aimer fans modération.

Quelles obligations ne vous ay je pas, MESSIEURS, de m’affocier à vos doctes Ouvrages qui tendent tous à l’immortalité de fon nom ? Certes, je ne comprens que trop pour mes forces le prix de vofre bien-fait, qui n’a rien d’égal, que la neceffité qu’il m’impofe de juftifier voftre choix. Devoir, à la vérité, pour moy également difficile & indifpenfable ; car je reconnois les bornes de mes lumieres. Cependant, comme tous les Aftres qui font attachez à un mefme Ciel, n’ont pas une égale vertu, ni une mefme fplendeur, je ne préfumerai jamais que mon peu d’érudition puiffe approcher de vos fublimes connoiffances. Trop heureux, fi ne pouvant auffi dignement refpondre à la grace que me fait aujourd’huy votre illuftre Compagnie, il n’y a aucun de ceux qui la compofent, qui ne fois perfuadé que je la reçois avec un refpect, & une reconnoiffance qui dureront autant que la grace mefme.

 

[1] Il montre le portrait du Roy.

[2] Meffieurs Racine & Defpreaux.