Réponse au discours de réception de l’abbé de Choisy

Le 25 août 1687

Jean-Louis BERGERET

RÉPONSE de Mr. BERGERET au Diſcours prononcé par Mr. l’Abbé de Choiſy le jour de ſa reception.

 

MONSIEUR,

L’éloquence, l’eſprit & la politeſſe du remerciment que vous venez de faire à l’Académie, luy renouvellent le ſentiment de tout ce qu’elle a perdu en la perſonne de Monſieur le Duc de Saint Aignan : & je puis vous dire auſſi, MONSIEUR, qu’elle ne pouvoit pas vous donner une marque plus honorable de l’eſtime qu’elle fait de vous, qu’en vous recevant à la place d’un homme de ce merite, dont elle honorera tousjours & cherira la memoire.

Il eſt bien juſte que les Lettres reſpondent à l’amour qu’il a eu pour elles ; & que par des marques éternelles de leur reconnoiſſance, elles faſſent voir qu’il n’y a point d’homme, en quelque rang que la fortune l’ait élevé, à qui il ne ſoit glorieux de les avoir aimées.

Monſieur le Duc de Saint Aignan les aimoit de de la meſme paſſion dont il aimoit la gloire, & il avoit pris tous les ſoins neceſſaires pour avoir ce qu’elles ont de plus utile & de plus agreable. Il eſtoit bien éloigné de la vaine erreur de ceux qui s’imaginent que tout le merite conſiſte dans le hazard d’eſtre né d’une ancienne Maiſon, & il ne regardoit l’avantage d’avoir tant d’illuſtres Ayeux, que comme une obligation indiſpenſable d’augmenter l’éclat de leur nom par un merite perſonnel.

Dés qu’il put lire noſtre Hiſtoire, il y vit avec une noble émulation ſon Tris-ayeul le Comte de Saint Aignan, Gouverneur du Berry & Chef du Conſeil du Duc d’Alençon. Il reſolut auſſi-toſt, ou de mourir jeune dans la carriere de l’honneur, comme le Comte de saint Aignan ſon Père, ou d’y aller plus loin que ſon Tris-ayeul, comme il a fait en meritant l’eſtime & la confiance du Roy.

Il jugea que le meilleur moyen de parvenir à ce comble d’honneur, eſtoit de joindre les Lettres avec les Armes, par une alliance qui n’eſt pas moins naturelle que celle de l’eſprit avec le cœur ; & ſe voyant attaché au ſervice d’un Prince dont les vertus heroïques donneront plus d’employ aux Lettres, que n’ont fait tous les Heros de l’Antiquité, il en prit encore plus d’affection pour elles. Il s’acquit une maniere de parler & d’écrire noble, facile, élegante, & fit voir à la France cette urbanité Romaine, qui eſtoit le caractere des Scipions & des plus illuſtres Romains.

C’eſt à l’exemple de ces Vainqueurs des nations, qui au retour de leurs campagnes chargez des depouilles de leurs ennemis, s’en venoient travailler avec Terence, & ſçavoient auſſi-bien conduire la intrigues de la Scene, que les ſtratagemes de la Guerre ; c’eſt à leur exemple, dis-je, que Monſieur le Duc de ſaint Aignan a fait voir tant de fois qu’un Lieutenant Général des armées du Roy, pouvoit eſtre Poëte, Orateur & Hiſtorien ; que faiſant luy-meſme des actions de la plus grande valeur, il ſçavoit encore les loüer dans les autres ; & qu’avec ce meſme cœur qui ne demandoit qu’à ſe ſacrifier pour le ſervice du Roy, il formoit chaque jour des ſentimens exprimez de la maniere la plus délicate & la plus éloquente.

Par ces qualitez veritablement Academiques, il obtint dans cette Compagnie la place qu’il y a ſi dignement occupée, & il merita auſſi d’eſtre nommé Protecteur d’une illuſtre Académie que nous avons receuë dans noſtre alliance ; ce qui eſt pour luy un honneur qui ne perira point, & d’autant plus grand que le Roy veut bien porter un ſemblable titre, & le joindre à ceux que ſes vertus & ſes conqueſtes luy ont acquis.

Mais non ſeulement Monſieur le Duc de ſaint Aignan eſtoit le Protecteur d’une celebre Académie par un titre particulier, on peut dire encore qu’il l’eſtoit generalement de tous les gens de Lettres, par une generoſité qui n’exceptoit perſonne. Le merite, quelque eſtranger qu’il ſuſt, de quelque part qu’il puſt venir, effort ſeur de trouver en luy de l’appuy & de la protection. Il recevoit avec des témoignages d’amitié tous ceux qui avoient quelque talent d’eſprit ; & il ne leur faiſoit ſentir ſon rang & ſa dignité que par les bons offices qu’il ſe plaiſoit à leur rendre. Il aimoit auſſi tous nos exercices, & y venoit bien plus ſouvent qu’on n’euſt oſé l’eſperer d’une perſonne qui ne pouvoit y venir ſans quitter tous les agrémens de la Cour.

Il me ſemble que je le vois encore dans ce beau jour, où nous nous aſſemblaſmes pour teſmoigner noſtre joy du reſtabliſſement de la ſanté du Roy. On y lut une Ode magnifique qu’il avoit faite ſur ce ſujet, où l’eſprit & le zele paroiſſoient également, & qui brilloit par tout de ce feu de la plus vive jeuneſſe, qu’il a tousjours conſervé par un privilege que la nature n’accorde qu’à des Genies extraordinaires.

Enfin après une longue & heureuſe vie, il eſt mort dans tous les ſentimens de la piété Chreſtienne, comblé des honneurs & des récompenſes qu’avoient merité ſon courage, ſon zele & ſa fidelité dans le ſervice du Roy ; & il a eu en mourant la conſolation de laiſſer apré luy un Fils qui augmentera encore cette ſucceſſion de gloire & de vertu.

Cet illuſtre Fils qui le fera revivre, s’eſt tousjours diſtingué avec honneur et ſans affectation. On a tousjours veu en luy beaucoup de courage avec beaucoup de douceur, une admirable pureté de mœurs, une parfaite uniformité de conduite, de la penetration, de l’application, de la vigilance, un amour conſtant pour la verité & pour la juſtice, & ſur tout une ſolide pieté qui le fait agir en ſecret aux yeux de Dieu ſeul, comme s’il eſtoit veu de tous les hommes.

Tant de vertus qui ont merité que dans un âge ſi peu avancé, il ait eſté fait Chef du Conſeil des Finances, juſtifient chaque jour un ſi bon choix, & font voir que le Roy, juſte diſpenſateur de ſa grace, a le don ſuprême de diſcerner les eſprits. Heureux celuy dont nous honorons la mémoire, d’avoir un ſi digne heritier de ſon nom & de ſes vertus !

Mais nous n’aurons pas eſté moins heureux à luy donner un ſucceſſeur parmy nous, & vous ayant choiſi, MONSIEUR, pour reparer une ſi grande perte, nous eſperons que vous ſerez louer publiquement noſtre choix, & que vous reſpondrez parfaitement à notre attente.

L’Académie ne vous demande rien pour elle, que vous ne ſoyez obligé de faire pour vous-meſme. Vous le devez à la reputation que vous vous eſtes acquiſe par vos ouvrages ; vous le devez au Sang dont vous ſortez, au grand Chancelier de l’Hoſpital voſtre Tris-ayeul, plus illuſtre encore par ſes excellens écrits que par l’éminence de la premiere Charge du Royaume. Vous le devez enfin à cette illuſtre Mere, comparable aux Cornelies qui parloit ſa langue avec tant de grace & de pureté, & qui vous ayant fait ſuccer l’éloquence avec le lait, nous a donné lieu de penſer que vous eſtiez né pour l’Académie, & que vous aviez eſté élevé pour elle, entre les bras & dans le ſein des Muſes meſmes.

Mais quelque talent que vous ayez pour l’éloquence, la nouvelle obligation que vous avez de conſacrer vos veilles à la gloire de LoUIS LE GRAND noſtre Auguſte Protecteur, vous fera ſentir de plus en plus combien il eſt difficile de parler dignement d’un Prince, dont la vie eſt une ſuite continuelle de prodiges.

Les Poëtes ſe plaignent de n’avoir point d’expreſſions aſſez fortes pour repreſenter le merveilleux de ſes exploits, & les Hiſtoriens au contraire de n’en avoir point d’aſſez ſimples, pour empeſcher que tant de merveilles ne paſſent pour autant de fictions. Quel art, quelle application, quelle conduite ne faudra-t-il point pour conſerver la vray-ſemblance avec la grandeur des choſes qu’il a faites ?

Je ne parle point de cette valeur eſtonnante, qui a pris comme en courant les plus fortes Villes du monde, & devant qui les armées les plus nombreuſes ont tousjours fuï de peur de combattre. Je ne penſe maintenant qu’à cette glorieuſe Paix dont nous jouiſſons, & qui a eſté faite dans un temps où l’on ne voyoit de toutes parts que des Puiſſances irritées de nos victoires, que des Eſtats ennemis déclarez de nos intereſts, que des Princes jaloux de nos avantages, tous avec des prétentions différentes & incompatibles. Comment donc parut tout d’un coup cette paix ſi heureuſe ? C’eſt un miracle de la ſageſſe de LOUIS LE GRAND, que la politique ne ſçauroit comprendre : & comme luy ſeul a pru la donner à toute l’Europe, luy ſeul auſſi peut la luy conſerver.

Combien d’action, de penetration, de prévoyance pour faire que tant d’Eſtats libres, & dont les intereſts ſont ſi contraires, demeurent dans les termes qu’il leur a preſcrits ? Il faut voir également ce qui n’eſt plus, & ce qui n’eſt pas encore, comme ce qui eſt : il faut avoir un Genie d’une force & d’une étendüe extraordinaire, que nulle affaire ne charge, que nul objet ne trompe, que nulle difficulté n’arreſte ; tel enfin qu’eſt le Genie de LOUIS LE GRAND, qui eſt repandu dans toutes les parties de l’Eſtat, & qui n’y eſt point renfermé, agiſſant au dehors comme au-dedans avec une force inconcevable.

Il eſt juſques dans les extrémitez du monde, où vous avez eu, MONSIEUR, tant de ſaintes Miſſions ſouſtenües par les ſecours continuels de ſa puiſſance & de ſa pieté.

Il eſt dans les Cours eſtrangeres, où il conduit & éclaire ſes Miniſtres, qui n’ont qu’à lire & à faire entendre ce que ſa prudence a dicté.

Il eſt ſur les Frontieres du Royaume qu’il fait fortifier d’une maniere qui déconcerte & deſeſpere tous nos Ennemis.

Il eſt ſur les ports, où il fait conſtruire ces Vaiſſeaux prodigieux qui portent par tout le monde la gloire du nom François.

Il eſt dans les Académies de Guerre & de Marine, où la noble éducation jointe à la nobleſſe du Sang, forme des eſprits & des courages également capables du commandement & de l’execution dans les plus grandes entrepriſes.

Il eſt enfin par tout, qui fait que tout eſt reglé comme il doit l’eſtre : les garniſons tousjours entretenuës, les magaſins tousjours pleins, les arſenaux tousjours garnis, les troupes tousjours en haleine, & après les travaux de la guerre, maintenant occupées à des ouvrages magnifiques qui font les fruits de la paix. C’eſt ainſi que ce grand Prince agiſſant en meſme-temps de toutes parts, & faiſant des choſes qui inſpirent continuellement de la terreur à ſes ennemis, de l’amour à ſes ſujets, & de l’admiration à tout le monde, il peut malgré les haines, les jalouſies & les défiances conſerver la paix qu’il a faite, parce qu’il n’y a point d’Eſtat qui ne voye combien il ſeroit dangereux de la vouloir rompre.

Quelques Princes de l’Empire ſembloient en avoir la penſée, & commençoient à former des ligues nouvelles, mais le Roy tousjours également juſte & ſage, ne voulant ny ſurprendre, ni eſtre ſurpris, fit dire à l’Empereur que ſi dans deux mois du jour de ſa Déclaration, il ne recevoit de luy des aſſurances poſitives de l’obſervation de la tréve, il prendroit les meſures qu’il jugeroit neceſſaires pour le bien de ſon Eſtat. Ses troupes en meſme-temps volent ſur les frontieres d’Allemagne, & l’Empereur luy donne toutes les aſſurances qu’il pouvoit ſouhaitter. Ainſi l’Europe luy doit une ſeconde fois le repos & la tranquillité dont elle jouït.

D’autre part l’Eſpagne avoir fait une injuſtice à nos Marchands, & les contraignoit de payer une taxe violente, ſous prétexte qu’ils negocioient dans les Indes contre les Ordonnances. Le Roy pour arreſter tout d’un coup ces commencemens de diviſion, a jugé à propos d’envoyer devant Cadix une flote capable de conquérir toutes les Indes. Auſſi-toſt l’Eſpagne allarmée a promis de rendre ce qu’elle avoit pris ; & le Roy qui s’en eſt contenté, a paru encore plus grand par ſa moderation que par ſa puiſſance ; car il eſt vray que rien n’eſt ſi admirable ſur la terre que d’y voir un Prince qui pouvant tout ce qu’il veut, ne veuille rien qui ne ſoit juſte.

Mais c’eſt le caractere naturel de Louis LE GRAND, c’eſt le fonds de cette ame héroïque où toutes les vertus font pures, ſinceres, ſolides veritables, & ſont toutes enſemble par une admirable union, qu’il eſt non ſeulement le plus grand de tous les Rois, mais encore le plus parfait de tous les hommes.