Réponse au discours de réception de Testu de Mauroy

Le 8 mars 1688

Jean BARBIER d’AUCOUR

Réponse de Mr. DAUCOUR, au Difcours prononcé par Mr. l’Abbé Teftu de Mauroy le jour de fa Reception.

 

MONSIEUR,

Vous venez fous d’heureux aufpices réparer la perte que nous avons faite, & qui nous eft extremement fenfible ; mais plus l’Académie Françoife regrette feu Monfieur de Mefmes, plus elle honore fa mémoire ; plus auffi elle marque la confideration qu’elle a pour vous, en vous recevant à la place d’une perfonne qui luy eftoit fi chere par toutes fortes de raifons.

Il a porté dignement dans la Cour des Pairs la pourpre & l’hermine qu’il avoit héritée de fes Anceftres : & ce qui nous doit toucher davantage, il a creu faire honneur à la Charge de Prefident au Mortier, d’y ajoufter le nom d’Académie & d’entrer dans une Compagnie de gens de Lettres où perfonne n’a droit de prefider, & où il n’y a point de plus diftinguée pour les dignitez les plus éminentes.

Ce fentiment eft une des preuves de la folidité d’efprit que doit avoir un homme pour eftre digne de juger les autres ; car on voit par là que ne fe laiffant point éblouïr à l’éclat exterieur, & ne faifant point acception des perfonnes, il peut, en fuivant la feule raifon, preferer le merite des Lettres aux avantages de la fortune.

Qui ne fcait auffi que ce noble fentiment eft le caractere naturel de toutes les belles ames qui font nées pour la gloire de la patrie ; & qu’au contraire un efprit qui méprife les Lettres, n’eft point capable d’aimer la vertu, parce qu’il n’eft rien que la vertu confidere tant parmy les hommes, lorfque cette reputation immortelle que les Lettres feules peuvent donner.

Combien donc a efté heureufe la naiffance de Monfieur de Mefmes, puifque cet amour des Lettres qui a fait les plus grands hommes dans tous les temps, a efté en luy comme une vertu hereditaire, & comme une impreffion du fang qu’il a receu de fes illuftres ayeux ?

Car depuis que cette Maifon, fortie d’une ancienne Nobleffe d’Ecoffe, eut paffé en France, & qu’elle eut commencé fous le regne de Louïs XII. à joindre aux avantages de la naiffance, l’eftude & la connoiffance des Lettres, elle a tousjours eu jufqu’à nous des hommes celebres, qu’un merite extraordinaire a élevez aux premieres Magiftratures, & aux plus importans emplois. C’eft une foule de Maiftres des Requeftes, de Lieutenans Civils, de Confeillers d’Eftat, de Prefidens au Mortier ; & ce qui eft encore plus louable, une continuelle fucceffion d’Ambaffadeurs.

On en voit de ce nom, qui fous les Rois François I. Henry II. & Charles IX. dans les temps les plus difficiles, ont efté envoyez en Allemagne, en Suiffe, en Efpagne, en Italie, à Rome. On en voit fous le dernier Regne dans tous les Eftats du Nort. On en voit enfuite dans la fameufe Affemblée de Munfter, où fur fait cet important Traité dont la fageffe du Roy tire tous les jours de fi grands avantages. Et n’avons-nous pas encore aujourd’hui un Ambaffadeur de ce nom, & qui fouftient fi dignement fon caractere & fa miffion auprès des Eftats de Hollande, où la politique eft auffi habile qu’en aucun endroit du monde.

Une fi belle fucceflion dans cette Famille, n’eft point le droit d’un mefme fang, mais l’effet d’une mefme vertu, & principalement du merite des Lettres, qui eft le plus propre pour les Ambaffades, & le plus capable de traiter avec les Etrangers, parce que les Lettres ne font eftrangeres nulle part ; eftant, pour ainfi dire, de tous les temps & de tous les Païs.

Mais il ya dans la Maifon des de Mefmes une autre fucceffion qui en releve encore l’éclat, c’eft la fuite continuelle de tant de gens de Lettres qu’on y a veus fucceffivement depuis le celebre Pafferat jufqu’au celebre Voiture, & qui tous y ont efté comme adoptez ; car je puis nommer une efpece d’adoption, l’amitié & la tendreffe avec laquelle ils y ont efté receus. On les confideroit dans cette Famille comme s’ils euffent efté du mefme fang, parce qu’ils avoient le mefme efprit, & on leur y faifoit de fi grands avantages, que plufieurs ont écrit que c’eftoient des patrimoines pluftoft que des prefens.

Monfieur de Mefmes que nous avons perdu, eftoit le digne héritier de tant d’illuftres & fçavans Protecteurs des Lettres. Il avoit comme eux cet efprit & ce cœur, dont la paffion dominante a efté de fervir leur Prince, & d’aimer la vertu. C’eft pourquoy fon zele extraordinaire pour la perfonne du Roy, n’eftant pas fatisfait de ne le fervir qu’au Parlement de Paris, & croyant que c’eftoit le fervir encore de trop loin pour un fujet qui ne trouvoit rien de plus fouhaitable au monde que de le voir & de l’approcher, il voulut par cette raifon devenir fon domeftique en devenant fon Lecteur. Il eut de l’ambition pour cette Charge de Littérature, parce qu’avec le droit de lire devant le Roy, il y trouvoit encore l’avantage de l’entendre, & le plaifir de l’admirer.

Monfieur de Mefmes eftant de ce caractere d’efprit, ne pouvoit pas manquer d’avoir de l’eftime pour l’Académie Françoife. Il avoit auffi tousjours eu, avant que d’y entrer, une amitié particuliere avec plufieurs Académiciens, & leur avoit tefmoigné en diverfes rencontres, qu’il tiendroit à honneur d’eftre leur confrere.

Un fentiment fi louable & fi généreux, joint à un mérite univerfellement reconnu, le fit recevoir dans cette Compagnie, où il apporta avec la pourpre de Prefident & le Cordon de l’Ordre, toutes les vertus de l’ancienne & fçavante Famille dont il eft forti. Il aimoit nos exercices Académiques, & fe faifoit un plaifir d’y venir auffi fouvent que le pouvoient permettre les preffantes & importantes fonctions de fa Charge. Il n’y a perfonne de nous qui n’ait eu la joye de l’y voir plufieurs fois, & il y a parlé fur differens fujets, fuivant que dans l’ordre du Dictionnaire, les mots amenoient les chofes ; il y a parlé, dis-je, avec la fageffe des plus grands Magiftrats, avec la politique des plus habiles Ambaffadeurs, & avec tous les autres talens d’efprit de fes illuftres Anceftres.

J’ay quelque honte après cela, MESSIEURS, de me voir fi au deffous des excellens Ecrivains qui ont fait leur éloge & honoré leurs tombeaux ; mais je puis me raffurer par une circonftance que je vay dire ; & qui eft d’elle-mefme un éloge fi achevé, que la plus haute éloquence ne fçauroit l’égaler.

C’eft, MESSIEURS, que Louis LE GRAND, ce Prince fi au deffus de tout ce qu’on veu les Grecs & les Romains, a aimé, eftimé & regretté feu Monfieur de Mefrnes. Il l’a témoigné publiquement en luy donnant fon fils pour fon fucceffeur par une bonté toute Royale, & qui eftoit la plus grande marque d’eftime que Monfieur de Mefmes auroit pu souhaiter, quoy que prévenu par une mort trop prompte il ne l’ait pas feulement demandée.

Que dire après cela, MESSIEURS ? Et qui ne fçait que l’eftime d’un fi grand Prince eft le fuprême degré d’honneur pour un Sujet ; que c’eft l’éloge le plus magnifique & le plus durable qu’on puiffe faire de fon zele, de fon merite, de fa fidelité, & de fes fervices ?

Pour vous, MONSIEUR, qui luy fuccedez en la place d’Académicien, vous avez une merite Académique qui éblouït également l’efprit & les yeux. C’eft l’heureufe éducation de deux Princeffes les plus accomplies que l’on puiffe voir. L’une eft Ducheffe de Savoye, fait l’honneur à la France au-delà des Alpes, en faifant le bonheur du Prince fon époux, & des Eftats qui luy obeïffents. L’autre, qui à caufe de fa tendre jeuneffe, ne regne  encore fur aucun Eftat, regne desja fur tous les cœurs, & charme tous les efprits par la beauté naturelle du fien, & par les belles connoiffances dont vous l’avez enrichi.

Il m’eft impoffible d’exprimer les fentimens extraordinaires que l’Académie a conceus pour vous, par le rapport heureux que vous avez à ces deux Royales perfonnes ; & fi l’on veut en avoir quelque idée, il faut s’imaginer comment les Mufes mefmes recevroient un homme qui leur feroit prefenté par les Graces.

Nous voyons auffi que le Prince qui vous a confié ces deux belles ames plus precieufes que toutes les Couronnes, vous accorde fi publiquement l’honneur de fa protection & de fon eftime, qu’il a bien voulu en faire affurer l’Académie lorfqu’elle eftoit affemblée, en quoy il a fait pour vous une chofe qui n’avoit encore efté faite pour perfonne, & qui eft une preuve infaillible du merite qu’il a trouvé en vous.

Et qui peut mieux juger du merite, & mefme du merite Académique, qu’un Prince qui a donné aux Lettres un des plus beaux fujets d’hiftoire qu’elles ayent jamais eu ; un Prince, Frere Unique du Roy, & qui ayant tous les avantages de fa naiffance, & toutes les vertus de fon Sang, s’eft encore acquis l’honneur de la fameufe victoire de Caffel, qu’il a remportée en combattant luy-mefme en perfonne, & dont il augmente chaque jour l’éclat & la gloire, par le merite d’une fidelité inviolable, en montrant à tous les autres Sujets du Roy, comment il faut obeïr ; après leur avoir montré fi glorieufement comment il faut combattre & vaincre ?

C’eft ce mefme Prince qui a rendu de vous, MONSIEUR, un tefmoignage fi public & fi avantageux, que l’Académie en eftant toute remplie, & comme infpirée, vouloit y répondre d’une maniere extraordinaire, en vous nommant d’une commune voix par une acclamation publique, & fans s’affujettir à la lenteur du Scrutin ; ce qui fans doute auroit efté fait, fi quelqu’un n’avoit reprefenté qu’on ne devoit pas avoir moins d’égard à voftre modeftie qu’à un fi grand tefmoignage de voftre merite.

Nous ne doutons point, MONSIEUR, que vous ne le foufteniez avec honneur, & nous voyons desja par la beauté de voftre Difcours, que l’Académie acquiert aujourd’huy en voftre perfonne un fujet qui peut contribuer beaucoup pour l’acquitter de ce qu’elle doit à Louis LE GRAND, fon augufte Protecteur.

Noftre obligation en général, eft de former un langage qui puiffe exprimer avec dignité la gloire de fes grandes actions, mais c’eft ce que nous ne ferons jamais parfaitement, quelque obligataion que nous ayons de le faire, & quelque foin que nous prenions d’y réüffir. Sa gloire eft desja trop grande pour eftre exprimée, & chaque jour elle augmente encore par l’éclat des plus héroïques vertus, qui font en luy dans un degré d’éminence où elles n’avoient jamais efté veuës.

Je ne parle point de cette valeur extrême qui n’a fait que des prodiges, tant qu’elle a efté forcée d’agir, & qui enfin a cedé librement à une moderation plus glorieufe encore, & plus digne d’une efprit fouverain, qui eft né pour rendre les hommes heureux en leur commandant.

Dés qu’il eut réfolu de donner la paix à fes Ennemis pour le bien de la Chreftienté, ils furent tous obligez de l’accepter, quelque refolution qu’ils euffent prife de n’y pas confentir ; & c’eft ce qui fait voir en luy cette fuperiorité de genie, contre laquelle les autres efprits s’émeuvent & s’irritent inutilement.

La paix fut faite comme il l’avoit réfolu, & aux mefmes conditions qu’il avoit écrites en deux mots à fes Miniftres. En vain l’on délibera pendant plufieurs mois ; en vain l’on chercha tous les détours des negotiations, il fallut enfin revenir, & s’arrefter à ce qu’il avoit efcrit, comme au dernier terme de la raifon & de la fageffe politique.

Mais ce qu’il y a de plus admirable dans cette paix fi heureufe pour tout le monde Chreftien, c’eft de voir que fi elle fubfifte encore aujourd’huy, c’eft parce que le mefme Genie qui la faite, a tousjours agi avec la mefme force pour la conferver ; & comme on verroit tomber en confufion toute la machine de la nature, fi les fpheres celeftes perdoient quelque chofe de la rapidité de leur mouvement, on verroit auffi tout ce grand ouvrage de la paix, compofé de tant de parties contraires, fe deftruire en peu de jours, fi le Roy laiffoit ralentir fes foins & fa prévoyance.

Mais avec quelle force, avec quelle attention n’agit-il pas continuellement dans le repos public dont il eft la feule caufe ? Et n’avons-nous pas veu avec le dernier eftonnement que la violence mefme d’un mal tres-fenfible, & qui dura plufieurs mois, ne put l’empefcher un feul jour d’eftre prefent à fon Confeil ?

C’eft ainfi que depuis vingt-fept ans il a une application infatigable à toutes les affaires de fon Royaume, de quelque nature qu’elles foient ; affaires d’Eftat, de Finance, de Guerre, de Commerce, de Police, de Juftice & de Religion. C’eft ainfi que par une continuelle expérience jointe au plus heureux naturel qui fut jamais, il a formé cette prudence confommée qui eftonne fes Miniftres en les inftruifant, & qui a fait réuffir tous ces deffeins prodigieux que la prudence ordinaire n’ofoit pas feulement concevoir. C’eft ainfi que par une longue fuite de grands évenemens il eft enfin parvenu à celuy qui eft le couronnement de toutes les autres, & le comble de la gloire pour un Prince Chreftien.

On ne peut entendre par là que l’extirpation de l’herefie, ce triomphe de toutes les vertus par la pieté ; triomphe d’autant plus glorieux au Vainqueur, qu’il eft le falut mefme des vaincus, & que fans combat & fans carnage il a ramené heureufement à l’Eglife plus d’un million d’ames, par un prodige auffi grand que celuy qui tira autrefois plus de fix cens mille hommes de la fervitude d’Egypte. Et ne devons-nous pas aujourd’huy, comme il fut dit alors, que c’eft veritablement le doigt de Dieu ? Oui, c’eft le doigt de Dieu qui a fouftenue noftre augufte Prince dans une expedition fi heureufe & fi chreftienne, pour laquelle l’Hiftoire de l’Eglife le mettra au deffus des Conftantins & des Theodofes ; comme la Renommée, pour tant d’autres actions l’a desja mis tant de fois au deffus des Alexandres & des Cefars.