Réponse au discours de réception de Pierre de Camboust, duc de Coislin

Le 11 décembre 1702

Louis de COURCILLON de DANGEAU

RESPONSE de M. l’Abbé DE DANGEAU, au Difcours prononcé par M. le Duc de Coiflin, Pair de France, le jour de fa réception.

 

MONSIEUR,

En entrant dans ce lieu, vous voyez bien que vous n’entrez pas dans une terre étrangere. Icy tout eft plein de vos Ayeuls.

 

Petit-neveu de ce grand Cardinal que nous regardons comme noftre Fondateur, petit-fils de ce digne Chancelier noftre fecond Protecteur, fils de Monfieur le Duc de Coiflin, noftre Doyen, ne fembloit-il pas que vous aviez un droit inconteftable à la place que nous vous avons donnée ? Et les Portraits de ces deux grands hommes, qui préfident à nos Conférences, ne nous feroient-ils pas devenus un reproche perpétuel & tousjours préfent à nos yeux, fi nous avions pû manquer à un Sang illuftre, à qui nous devons noftre premiere gloire.

 

Il eft vray que nous en parlons fouvent : mais nous croyons tousjours n’en avoir jamais affez dit.

 

Le grand Armand eftoit né avec toutes les qualitez qui font les grands hommes, une imagination vive, un jugement folide, une mémoire fidelle, une eftenduë d’esprit prefque infinie ; l’eftude avoit perfectionné le naturel ; il s’eftoit nourri des Sciences, Theologie, Philofophie, Jurifprudence, Politique, Hiftoire. Les belles Lettres & l’ufage du monde avoient poli le naturel & l’acquis.

 

Doit-on s’eftonner aprés cela qu’on trouvaft en luy une pénétration qui voyoit tout, une activité qui le rendoit prefent à tout. Habile à profiter des occafions dans l’une & dans l’autre fortune ; mettant tout à profit dans la bonne, & corrigeant la mauvaife par une fageffe qui le rendoit fuperieur aux événements.

 

Mais laiffons aux hiftoriens à celebrer les merveilles de fa Politique, ne fortons point de noftre fujet. Il a fondé l’Académie, & c’eft à nous à luy en tefmoigner une éternelle reconnoiffance. Il a creu que l’union de plufieurs bons Efprits devoit former un tout excellent. Nous ofons dire qu’il ne s’eft pas trompé : icy les uns répandent les richeffes d’une mémoire chargée de ce que l’Hiftoire de tous les temps & de toutes les Nations a de plus curieux : les autres ajouftant à la fpeculation des Anciens, les expériences des Modernes, nous découvrent les fecrets de la nature les plus cachez : celuy-cy nous rapportera ce que les Langues ou mortes ou vivantes ont de plus beau, fans oublier les différentes maniéres dont les différents Peuples ont exprimé leurs penfées : celuy-là joignant l’ordre & l’exactitude des Geometres à la fubtilité des Philofophes, démeflera avec foin ces différences prefque imperceptibles, qui fe trouvent fouvent entre des mots ou des phrafes, qui d’abord femblent ne fignifier que la mefme chofe.

 

Ainfi chacun de nous s’inftruit en travaillant avec les autres ; les lumieres d’un particulier deviennent un bien commun ; & ceux qui font entrez dans la Compagnie avec le plus de talents, doivent avouër qu’ils s’y font encore perfectionnez : & ne pouvons-nous pas dire avec quelque forte de confiance que c’eft de nos Conférences que vient la politeffe, la netteté avec laquelle on écrit aujourd’huy ; ceux-mefmes qui ne font pas de noftre Corps, n’ont pas laiffé d’en profiter par cet efprit d’exactitude & de jufteffe qui s’eft répandu dans le Public, & dont l’Académie eft la véritable fource.

 

Vous verrez, MONSIEUR, quand vous travaillerez avec nous, yous verrez du choc de ces différents efprits rejaillir des clartez brillantes, pareilles à ces feux étincelants, qui s’allument dans les airs à la rencontre de deux nuages oppofez. La joye fenfible de découvrir la vérité, ou de la faire connoiftre aux autres, peut-eftre mefme de fouftenir fon opinion, fait faire à l’efprit des efforts qu’il ne feroit jamais tout feul.

 

Et qu’on ne s’eftonne pas, fi, cette aimable variété de fcience & d’érudition dont je parle, ne fe remarque point dans le grand Ouvrage que nous avons donné au Public, c’eft que par les régles que nous nous fommes prefcrites, en marquant la fignification des mots & des phrafes, nous avons dû éviter tout ce qui fentoit la doctrine ou le raifonnement ; femblables aux Legiflateurs qui ne rendent point compte au Public des raifons qu’ils ont euës de faire leurs Loix.

 

La mort du Cardinal de Richelieu, euft anéanti l’Académie, euft anéanti l’Académie, fi ce grand Chancelier, qui en eftoit déja un des principaux ornements, ne s’en fuft déclaré le Protecteur.

 

Ce grand homme, auffi habile à ménager les interefts de l’Eftat qu’à décider de la fortune des particuliers, a porté la gloire & la durée de la premiere Charge de la Robe, plus loin qu’aucun de fes prédeceffeurs ; & fi l’envie ou le -malheur des temps lui ont fait fouffrir quelques éclipfes, il en a parû dans la fuite plus glorieux ; intrépide dans les périls, on l’a vu affronter une populace mutinée ; on l’a vû à la tefte des troupes, dépofitaire de l’autorité fouveraine, fur les armes, auffi-bien que fur les loix, ramener à l’obeïffance du Roy une des plus grandes & des plus importantes Provinces du Royaume ; & cependant, MESSIEURS, au milieu de telles occupations, il affiftoit fouvent aux Affemblées de l’Académie ; il y prenoit la place de Directeur & en faifoit les fonctions : c’eft alors que fe croyant plus grand par fon efprit que par fa Dignité, il regardoit tous les Académiciens comme fes Confreres, & par fon exemple maintenoit entr’eux une parfaite égalité qui s’y eft tousjours maintenuë.

 

Pouvoit-il jamais leur donner une marque plus éclatante de fon eftime, qu’en leur confiant ce qu’il avoit de plus cher dans fa famille, fon petit-fils de Coislin, il voulut qu’il y fuft élevé dés fes plus tendres années. Ainfi, nous pouvons nous faire honneur de toutes fes vertus, valeur, probité, politeffe ; vertus, où s’il y avoit quelque chofe à reprendre, c’eft qu’il les pouffoit trop loin. Quel excés de valeur, n’a-t-il pas fait paroiftre à la guerre, & n’en eftoit-il pas blafiné au moins par ceux qui n’ofoient l’imiter ?

 

Mais, MONSIEUR, ce n’eft point la feule memoire de ces grands hommes qui nous a portez à vous élire d’un confentement unanime ; nous ofons mefme vous dire que voftre naiffance, quelque illuftre qu’elle foit depuis plufieurs fiecles, que ce courage que vous avez hérité de vos anceftres, que vos alliances avec des Maifons Souveraines, avec le Sang de nos Rois, que les Dignitez éminentes qui brillent à nos yeux, celle mefme dont vous venez de prendre poffeffion dans le premier Parlement du Royaume, euffent efté pour nous de foibles motifs, fi vos talents naturels, ce difcernement jufte & délicat, avec lequel vous jugez fi bien des Ouvrages d’efprit, fi voftre amour pour les Lettres ne vous avoient donné tout le mérite Académique.

 

Le Difcours que vous venez de prononcer, juftifie & loue noftre choix ; vous avez parlé fi noblement de noftre augufte Protecteur, de ce Prince qui ajoufte tous les jours de nouveaux degrez à une gloire que nous croyions arrivée au plus haut point de la gloire humaine : de ce Prince qui fouftenant feul tout le poids des plus importantes affaires, n’en paroift jamais, je ne diray pas accablé, pas mefme embarraffé : de ce Prince, qui pour ne pas donner la moindre atteinte aux Traitez de Paix, a mieux aimé attendre que prévenir les entreprifes de nos ennemis : Mais, MONSIEUR, vous eftes entré fi heureufement dans les fentimens de noftre Compagnie, que je n’ajoufteray rien à ce que vous avez dit, je me contenteray de vous exhorter à venir fouvent à nos Affemblées.

 

Tous nos travaux, contribuent à l’embelliffement de noftre Langue, & en facilitent la connoiffance aux Eftrangers. Les merveilles du regne du Roy l’avoient rendue auffi commune chez nos voifins que la Langue mefme de leur Pays : mais les évenemens de ces dernieres années luy font paffer toutes les mers, & la rendent comme neceffaire dans le vieux & dans le nouveau monde.

 

Tous les Peuples de la domination d’Efpagne veulent connoiftre la Langue de leur Défenfeur, & dans ces Pays immenfes, il n’eft point de Provinces, prefque point de Villes qui n’ait fenti des effets de la vigilance & de la générofité du Roy ; il leur envoye des Officiers expérimentez, & des troupes aguerries ; il fait fortifier leurs places, il bazarde des flottes nombreufes pour mettre leurs richeffes en feureté ; il fait plus, il fait marcher à leur fecours ce qu’il a de plus cher au monde : & pendant que le jeune Roy fe fait admirer à toute l’Italie, & que par fa prefence il raffeure les nouveaux Sujets : fon frere paroift en Flandre, & tous deux à la tefte des armées, fe couronnent d’une nouvelle gloire, indépendante des fuccés ; ils fe font admirer par tout, dans le Confeil, où ils parlent comme les plus fages, & dans les perils où ils s’expofent comme les plus temeraires, ils font hommes auffi-bien que Heros, ils compatiffent aux foibleffes ; ils recompenfent les bonnes actions, ils foulagent les miferes, ils gagnent les cœurs, & par tout retracent dans l’efprit des Officiers & des Soldats, l’idée du Pere, & mefme celle de l’Ayeul.