Discours de réception de Isaac de Benserade

Le 17 mai 1674

Isaac de BENSERADE

DISCOURS prononcé le 17. May 1674. par M. de BENSERADE, lorſqu’il fut reçû à la place de Mr. CHAPELAIN.

 

MESSIEURS,

Ce ſeroit un mauvais debut pour un nouvel Académicien, que de vous fatiguer d’un long diſcours, & j’ay haſte d’être quitte d’un Compliment qui ſent la harangue, & qui marque bien moins la reconnoiſſance que la coûtume. Souffrez cette impatience, d’autant plus excuſable qu’elle eſt d’un homme qui juſques icy ne vous a point paru trop preſſé, puiſque c’eſt enſuite d’une reflexion de pluſieurs années ſur ſon peu de merite, qu’il ſe voit à la ſin revétu du glorieux Titre de vôtre Confrere. Nous avons eu de part & d’autre des meſures à garder, & des ſcrupules à vaincre. Vous avez prétendu peut-être que je n’y avois point apporté les formalitez & les diligences neceſſaires, & j’ay crû que c’étoit faire les pas pour y parvenir, que de tâcher à m’en rendre digne.

L’Académie eſt illuſtre en ſon origine & en ſon progrès ; un puiſſant Genie qui n’a rien fait que de grand & que de noble, en a été le Fondateur ; elle eſt ſortie de cette même Teſte, d’où tant d’autres merveilles ſont ſorties pour l’éternelle félicité de l’État ; elle eſt compoſée d’excellens eſprits, l’érudition & la politeſſe y regnent, les premieres dignitez y brillent ; & comme la pourpre & le miniſtere l’ont établie, il y entre encore aujourd’huy du miniſtere & de la pourpre.

Quand il ne ſeroit point de mon devoir par vos regles de parler de feu Monſieur le Chancelier, Protecteur de vôtre Compagnie, je n’en laiſſerois pas échapper l’occaſion par le tendre reſpect que j’ay pour ſa mémoire ; & je répandrois volontiers tout mon eſprit & tout mon cœur ſur un ſujet qui fut l’ornement de ſon Siecle, & qui me fera toûjours précieux. Mais aſin de le bien louer, je n’ay ſimplement, & ſans le ſecours des paroles, qu’à vous faire obſerver ces trois Tableaux, que vous voiez ſelon que je vous les nomme, RICHELIEU, SEGUIER, LOUIS, quel rang pour le ſecond, & par conſequent quel éloge !

Auguſte luy-même ne dédaigne point d’être le ſucceſſeur de Mecenes, & l’appuy des Muſes. Il vous protege, il vous loge dans ſon Palais, il vous approche de ſa perſonne ſacrée, & vous donne lieu de l’examiner à loiſir, vous qui êtes comptables à la poſterité des moindres actions de ſa vie, s’il y a du plus ou du moins en ce qui eſt parfait.

J’avouë ma foibleſſe, & le veritable motif qui m’a fait aſpirer à être de vôtre Corps. Je n’ay pû tout ſeul ſoûtenir plus long-temps l’idée que j’ay conçûë de nôtre Monarque ; & me ſentant accablé du poids de ſa gloire, j’ay penſé combien il me ſeroit avantageux de me joindre à vous, & de mêler une foible voix dans vos concerts, & dans vos chants de triomphe, ſur tout après que Sa Majeſté auroit mis la derniere main aux grandes choſes qu’elle medite, & qui nous donneront tant à mediter.

Voila déja ce Prince en Campagne, qui pouſſe bien loin devant luy ſa renommée, & la terreur de ſes juſtes armes. La fortune & la victoire le ſuivent de prés, & renouvellent entre ſes mains leur ferment de ſidelité. Il marche accompagné de ſon activité infatigable, de ſa fermeté magnanime, de ſon courage intrepide, de ſa prudence conſommée, & du reſte de ſes hautes & Roiales qualitez, où nos expreſſions ne ſçauroient atteindre.

Je ſinis, & n’ay garde de m’embarquer mal à propos ſur une mer fameuſe par ſes écueils. Il faudroit que j’euſſe la force héroïque de celuy dont je n’ay que la place pour m’en acquiter dignement, & pour vous obliger à vous applaudir vous-mêmes du choix dont vous avez bien voulu m’honorer.