Réponse au discours de réception de l’abbé de Lavau

Le 4 mai 1679

Jean GALLOIS

Discours prononcé le 4. May 1679. par Mr. l’Abbé GALLOIS, lorſque Mr. l’Abbé de Lavau fut reçû à la place de Mr. de Montmor.

 

 

QUAND l’Académie a jetté les yeux ſur vous, MONSIEUR, pour remplir la place de Monſieur de Montmor, que la delicateſſe de ſon eſprit & le ſoin particulier qu’il a pris de l’avancement des belles Lettres, ſeront toûjours mettre au rang des hommes illuſtres de ce ſiecle ; le choix qu’elle a fait n’a pas moins eſté un effet de ſa prudence que de ſa juſtice.

Il eſtoit de la juſtice de cette Compagnie d’avoir eſgard dans ce choix à la charge que vous exercez dans le Palais où elle a l’honneur de s’aſſembler ; car puiſque vous eſtes le Bibliothequaire de ce Palais, c’eſt à dire l’hoſte & le favori des Muſes, le gardien des précieux monumens de l’antiquité, & le depoſitaire des threſors des ſciences, nous ne devions pas aller chercher ailleurs ce que nous trouvions dans le lieu meſme de nos aſſemblées, & il eſtoit raiſonnable que les Muſes de l’Académie Françoiſe ayant eſté receuës dans le Louvre, les Muſes du Louvre fuſſent auſſi receuës dans l’Académie Françoiſe.

La prudence vouloit, MONSIEUR, auſſi bien que la juſtice, que l’Académie vous receuſt au nombre des ſiens. Il eſtoit de l’intereſt de cette Compagnie d’unir les belles lettres qui avoient été juſqu’icy ſeparees, & de de ne pas ſouffrir, plus long-temps qu’elles euſſent deux tribunaux differens dans le Louvre. La jalouſie que les langues ſçavantes que parlent tous les anciens Auteurs de voſtre Bibliotheque portoient à la langue Françoiſe, rendoit auparavant cette union preſque impoſſible. Ces langues ambitieuſes ne pouvoient ſouffrir que noſtre langue qu’elles traittoient autrefois de barbare, entrait en comparaiſon avec elles. Fieres d’avoir eſté les langues des Vainqueurs du monde, elles pretendoient avoir ſeules le privilege, non ſeulement de traitter de toutes les ſciences, mais encore de faire l’éloge des Héros. Mais comme la fortune des langues ſuit toûjours celle des Eſtats, depuis que les armes de LOUIS LE GRAND ont porté la réputation des François auſſi loin que celle des Romains ; depuis que toute la terre a veu que ce grand Prince auroit meſme pû pouſſer ſes conqueſtes plus loin que les Ceſars, s’il ne les ſurpaſſoit en juſtice comme il les ſurpaſſe en valeur ; ces langues, toutes preſomptueuſes qu’elles ſont, ſe ſont deſiſtées de la meilleure partie de leurs prétentions, & ſont au moins contraintes d’avouer que les victoires de Louis le Conquerant ne ſe peuvent mieux expliquer que dans la langue meſme qu’il parle. Que la langue Grecque & la Latine ſe vantent tant qu’il leur plaira d’exprimer mieux qu’aucune autre langue les myſteres des nombres, les proprietez des lignes, le mouvement des aſtres, & les cauſes des météores : mais qu’elles cedent à la langue Françoiſe la gloire de faire à la poſterité le récit des actions héroïques de noſtre Prince, qui ſerviront doreſnavant de leçon aux Rois pour apprendre à gouverner leurs ſujets, & à vaincre leurs ennemis. Vous eſtes bien eſloigné, MONSIEUR, de la préoccupation de ces ſçavants injuſtes qui n’eſtiment que ce qui n’eſt pas de leur pays ny de leur ſiecle. La paſſion que vous avez pour ces langues anciennes ne vous a pas empeſché de donner une partie de voſtre application à l’eſtude de la noſtre ; & l’éloquent diſcours que nous venons d’entendre nous a confirmé ce que nous ſçavions aſſez d’ailleurs, que vous avez une parfaite connoiſſance de cette langue qui eſt le ſujet des Conférences de l’Académie. Puis qu’il n’y a plus rien qui mette de la diviſion entre les Muſes du Louvre, il ne falloit pas attendre plus long-temps à les unir pour travailler de concert aux éloges de noſtre auguſte Protecteur.

Joignez donc vos ſoins aux noſtres, MONSIEUR, pour trouver des expreſſions proportionnées à la dignité du ſujet que nous avons à traitter. Celebrons cette valeur qui a vaincu toutes les Puiſſances de l’Europe conjurées contre la France. Celebrons cette prudence qui a mis la diſcipline dans les armées, le ſecret dans les conſeils, la bonne-foy dans les affaires, la police dans les villes, & le bon ordre dans tout le Royaume. Celebrons ces glorieux travaux qui ont produit le repos & la tranquillité de l’Europe. Ne nous laſſons point de parler de cette paix qui va achever la félicité des peuples, & qui doit porter les beaux Arts au plus haut point de leur perfection. Le progrez que les Romains firent dans les lettres au temps d’Auguſte, fut le fruit de la paix que cet Empereur donna à l’Europe, ce fut cette paix qui produiſit ces grands génies qui font tant d’honneur à ſon ſiecle. Quand la vertu Romaine n’eut plus d’occaſion de ſe ſignaler dans les combats, elle ne demeura pas oiſive ; mais changeant ſeulement d’objet, elle ne ſe fit pas moins admirer dans les exercices de la paix, qu’elle avoit fait dans ceux de la guerre. A preſent, MESSIEURS, toutes choſes ne ſont pas moins heureuſement diſpoſées à la perfection des beaux Arts. Nous avons la paix ; nous avons un Auguſte ; nous avons un Mecenas ; & cette heureuſe diſpoſition doit faire eſperer que nous ne manquerons pas d’Horaces ni de Virgiles.