Discours de réception de Jean Gallois

Le 12 janvier 1673

Jean GALLOIS

Discours prononcé le même jour 12. Janvier 1673, par Mr. GALLOYS, Abbé de Cores, lorfqu'il fut reçû à la place de Mr. de Bourzeis.

Des établissements formés sous Louis XIV,
Pour le développement des sciences

 

Messieurs,

APRÈS les éloquents remercîments que vous venez d’entendre, je n’entreprends pas de faire un nouveau Discours ; mais désespérant de pouvoir enchérir sur ce qui a été dit par les deux Personnes illustres qui ont parlé avant moi, je me contenterois de répéter quelques-unes de leurs paroles ; si je ne m’appercevois que leur condition étant tout autre que la mienne, nos discours doivent être aussi fort différents. Ils n’avoient qu’à vous remercier, MESSIEURS, d’avoir été reçus dans cette Royale Académie ; et l’un d’eux s’étant signalé par ses doctes Prédications, l’autre ayant reçu tant de fois les applaudissements du Théâtre, il n’étoit pas nécessaire qu’ils rendissent raison du choix que vous avez fait de leur personnes : Mais quand je jette les yeux fur cette Compagnie toute composée d’excellents Orateurs, de savants Historiens, et de fameux Poëtes ; quand je considère que je succède à un Prédicateur célèbre qui avoit ensemble une grande éloquence et une très-profonde érudition ; il me semble que tout le monde a sujet de demander pourquoi l’on m’a fait l’honneur de me recevoir pour remplir fa place, moi que l’on n’entend point parler en public, qui ne prétends point à la qualité d’Historien, et qui n’ay jamais fait profession de m’appliquer à la Poësie. Ainsi il est nécessaire qu’avant toutes choses, MESSIEURS, je justifie aujourd’hui vôtre choix ; et au lieu d’un remercîment que vous attendiez de moi, je me vois obligé de faire une apologie.

Je sais combien il est à craindre qu’en voulant rendre raison de l’honneur que j’ai reçu, il ne semble que je parle trop avantageusement de moi-même. Je sais combien la vanité est odieuse : aussi suis-je très-éloigné de ce défaut ; et si la reconnoissance qui occupe maintenant toute mon âme, pouvoit faire place à quelqu’autre passion, ce ne seroit qu’à la pudeur et à la confusion que j’aurois de me sentir si peu digne d’entrer en société avec tant de grands hommes. Cependant j’ose dire, MESSIEURS, que j’avois droit de prétendre à l’honneur d’être reçu dans vôtre illustre Compagnie, et que vous ne fîtes jamais d’élection plus juste ni plus raisonnable : Et je le dis avec d’autant plus de confiance, que bien loin de diminuer par-là l’obligation que je vous ay, je crois que je ne puis rien dire qui relève davantage la grâce que vous m’avez faite.

Il est vrai que si vous n’eussiez eu égard qu’au mérite, il y a une infinité de gens qui eussent eu plus de droit que moi de prétendre à cet honneur : mais vous avez considéré que dans l’emploi que j’ai de rédiger par écrit les observations de l’Académie Royale de Physique et de Mathématique, j’avois plus de besoin que personne de profiter de vos savantes Conférences. Ce besoin m’a tenu auprès de vous lieu de mérite, et l’intérêt que vous prenez à l’honneur de la France, vous a portez à m’admettre dans vos Assemblées, pour y apprendre à polir les grands Ouvrages que le Roy fait faire avec tant de magnificence.

Sa Majesté, MESSIEURS, qui, nonobstant les occupations que lui donnent ses conquêtes, ne laisse pas de prendre soin de faire fleurir les Arts et les Sciences, fait vérifier toutes les fameuses expériences de physique, que les anciens nous ont données pour certaines, et que les modernes tiennent pour suspectes ; que tout le monde a envie de contredire, et que personne n’ose nier, parce que personne n’a pris le soin de s’assurer si elles sont véritables. On fait, par l’ordre de ce grand Prince, une Histoire naturelle, où l’on verra l’anatomie exacte de plusieurs animaux que les naturalistes qui en ont parlé, semblent n’avoir jamais vus qu’en peinture ; où l’on verra la description d’un grand nombre de plantes dont on ne savoit pas même les noms ; où l’on trouvera outre des descriptions exactes, diverses analyses chimiques de chaque plante, qui n’avoient point encore été faites jusqu’ici. Que dirai-je de ces autres observations curieuses que les mathématiques font à l’envi de la physique ? Sa Majesté a envoyé d’un côté jusqu’aux extrémités du Nord, et de l’autre jusques sous la Zone torride, pour observer les astres dans ces climats opposés. Elle a fait mesurer exactement la grandeur de la terre, et elle fait compter avec soin jusqu’aux moindres étoiles du ciel. Vous avez tous vu, Messieurs, ce superbe Observatoire dont la structure magnifique fait d’abord connaître la grandeur du Prince qui l’a fait bâtir. C’est là que malgré toutes les difficultés que jusqu’ici l’on avoit cru insurmontables, on aperçoit une infinité de choses qui ont été cachées à toute l’antiquité ; c’est là que, par le moyen de divers instruments faits avec une dépense royale, on découvre tous les jours de nouvelles étoiles fixes dans le ciel, de nouvelles planètes déjà connues, de nouvelles bandes dans Jupiter et dans Saturne, et de nouvelles taches dans le Soleil.

Voilà quels sont les monumens que les Sciences élèvent à la gloire de Sa Majesté. J’ai l’honneur d’être le dépositaire de toutes ces belles observations : je suis chargé de les mettre par écrit, et de chercher des expressions qui répondent à la dignité du sujet. Mais où en pourrois-je trouver, si je ne les viens chercher en ce lieu, où l’on travaille si utilement à perfectionner notre langue ? Il étoit donc juste, Messieurs, que vous me fissiez l’honneur de me préférer à tous ceux qui prétendoient être reçus dans votre célèbre assemblée ; et j’ai eu raison de dire que la justice de votre choix ne diminue rien de l’obligation que je vous ai, mais même qu’elle l’augmente ; puisque cette justice est fondée sur le besoin que j’ai de votre secours, et qu’un bienfait est toujours d’autant plus grand, que la nécessité de celui qui le reçoit est plus pressante.

J’ajoute que l’Académie françoise ayant été exprès établie par le grand cardinal de Richelieu, pour rendre notre langue capable de traiter de toutes les Sciences, elle doit un secours particulier à ceux qui sont employés à rédiger par écrit les observations de mathématiques et de physique que le Roi fait faire ; et il est d’autant plus nécessaire qu’elle prenne soin d’embellir les ouvrages dont j’ai l’honneur d’être chargé, que ce sera en partie par ces ouvrages que la postérité jugera de la grandeur du Roi.

Mais les mathématiques et la physique travailleroient inutilement à la substance des choses, Messieurs, si vous n’enseigniez les moyens de les traiter avec élégance ; car c’est particulièrement la beauté de l’expression qui conservera les grands ouvrages, et qui les fait passer aux siècles à venir. Ces élégans discours de physique, qui ont été composés par Platon, ont été lus dans tous les siècles, et quoique la doctrine qu’ils contiennent n’ait pas toujours été approuvée, ils ont passé jusqu’à nous sans qu’il en soit perdu une seule ligne. Cependant les fameux livres de physique faits par Démocrite, qui étoient plus solides, mais beaucoup moins élégans, sont perdus il y a plusieurs siècles. On n’a plus que le titre des ouvrages astronomiques d’Hipparque, qui ont été admirés de toute l’antiquité ; et cette incomparable histoire des animaux, qui a coûté tant de millions au conquérant de l’Asie, a eu beaucoup de peine à se défendre de l’injure du temps. On sait que cette Histoire, toute admirable qu’elle est, a été négligée et comme perdue pendant un très-long espace de temps, et si elle a été conservée, elle n’en est pas tant peut être redevable à la doctrine qu’elle contient, qu’à une teinture d’élégance qu’Aristote avoit retenue de la discipline de Platon, tant il est vrai que l’élégance du discours a souvent plus de force pour conserver les ouvrages, que la solidité de la doctrine.