Discours de réception de François Tallemant l'aîné

Le 13 mai 1651

François TALLEMANT l’Aîné

Discours prononcé le 13 May 1651. par Mr. L’Abbé  TALLEMANT l’aîné, Aumônier du Roy, lorſqu’il fut reçu à la place de Mr. de Montreuil.

 

MESSIEURS,

Je ne ſçay comment exprimer le reſſentiment que j’ay de l’honneur que je reçois aujourd’huy. Pour en parler aux termes qu’il faudroit, je les devrois avoir empruntez de vous ; & il auroit été à deſirer pour moy qu’au même temps que vous m’avez fait une grace ſi ſignalée, vous m’euſſiez appris à la reconnoître. Mais auſſi je ne ſçaurois me taire quand je vois tant de raiſons de vous remercier ; & je me perſuade que vous ne trouverez pas étrange ſi je parois devant une ſi celebre Compagnie ſi dépourvû d’ornemens, puiſque c’eſt pour les acquerir que l’on souhaite avec tant de paſſion d’y entrer. La place que vous avez bien voulu me donner eſt une ſi grande faveur, que je ne l’oſois eſpérer, & ma confuſion n’eſt pas moindre d’avoir obtenu ce que je n’ay pas merité, que ſi j’en avois été refuſé quand j’aurois pû la demander avec juſtice. Je m’imagine bien, MESSIEURS, que l’on pourra blâmer en moy une prétention ſi peu fondée : mais j’ay crû qu’à tout événement on me pardonneroit de m’être laiſſé emporter à une ſi noble tentation. Plus je me voyois éloigné d’un ſi haut rang, plus j’avois d’envie d’y parvenir, & je ſçavois il y a long-temps que l’unique chemin à la perfection étoit de vous ſuivre, & de marcher s’il ſe pouvoit ſur vos pas. Il eſt vray que le ſecours de quelques-uns d’entre vous ne m’a jamais manqué, qu’ils m’ont redreſſé quand j’étois égaré, & m’ont empêché de m’égarer quand je tenois la bonne route. Cependant ces fideles Guides & ces ſages Conducteurs m’ont avoué que c’eſt icy qu’ils ſe ſont perfectionnez, & que c’eſt à vos doctes entretiens qu’ils doivent la meilleure partie de leur gloire. J’ay jugé par là que ceux qui peuvent entrer en cette celebre Ecole, s’ils ne ſe rendent vos ſemblables, ſe rendent au moins beaucoup plus parfaits que les autres. C’eſt, MESSIEURS, ce qui m’a fait aſpirer àl’honneur que je reçois maintenant, à l’honneur de voir en un ſeul jour ce qu’il y a de plus rare en toute la France, & tout ce que le ſiecle le plus fécond en eſprits excellens a pû produire. Pour comble de bonheur j’ay appris que depuis peu vous avez multiplié vos ſçavantes Conférences, & que vous avez reſolu de vous aſſembler à l’avenir plus d’une fois la ſemaine. Certes, il ſemble que cette nouvelle inſtitution ne ſoit faite que pour ma foibleſſe, il ſemble que ce ſoit pour la ſecourir que vous ayez voulu redoubler vos ſoins. Auſſi je vous confeſſe que lorſque je fûs averti que vous aviez pris cette reſolution, la modeſtie qui m’avoit toujours conſeillé d’être un de vos diſciples ſecrets, ne put reſiſter au deſir de profiter d’un ſi notable avantage. Que j’attens d’utilité de vos conſeils & de vos exemples ! Que je dois imiter de choſes en vous, & que je dois changer de choſes en moy ! C’eſt icy où les Sçavans deviennent polis, & où les polis deviennent Sçavans, où l’on apprend à penſer & à dire, & où les mœurs ſe forment auſſi bien que le langage. Pour moy, MESSIEURS, je n’y puis apporter qu’une grande aſſiduité, une application continuelle, & une parfaite veneration pour un Corps compoſé de tant de rares perſonnes. En effet, quand je conſidere quelle eſt vôtre vertu, & le fruit qu’en tirent toutes les Lettres, je ne puis aſſez admirer ce grand Cardinal vôtre Inſtituteur, qui n’a rien fait de plus beau que de ramaſſer en un lieu tant de perſonnes excellentes. Je ne puis aſſez admirer vôtre illuſtre Protecteur, ce véritable appuy des Sçavans, ce fameux Chef de la Juſtice, dont la prudence & la generoſité ſont ſi connuës. Ces deux grands Hommes nous ôtent l’eſperance d’en trouver à l’avenir, qui les égalent en de ſi nobles inclinations ; j’oſe pourtant vous annoncer qu’ils auront bientôt un rival, auquel ils céderont tous deux avec honneur. Je ſuis témoin que nôtre jeune Monarque a une telle paſſion pour vos exercices, qu’il en quitte les paſſe-temps où ſon âge le convie, & où ſon adreſſe naturelle le fait toujours réuſſir. Il en interrompt ſes repas auſſi bien que ſes paſſe-temps ; & puiſqu’il a commencé à les aimer dans ſon enfance, nous devons croire qu’il les aimera toute ſa vie ; car les plaiſirs que les belles Lettres apportent ſont ſi purs, qu’ils ne ſont jamais accompagnez ni de laſſitude, ni de dégoût. Que vôtre Proſe & vos Vers me fourniront de matiere pour l’entretenir ! Que vos penſées & vos paroles m’obtiendront une favorable audience ! En effet, MESSIEURS, que peut-on propoſer de beau foit pour la Morale, ou pour l’Hiſtoire, qui ne ſe trouve dans vos Ouvrages ? Et pour ce qui regarde la pieté, qui eſt l’entretien le plus convenable à ma profeſſion & à l’employ, qui me fait approcher de ſa perſonne, n’eſt-ce pas vous, qui avez traité les ſujets de devotion avec tant de force & de grace, que les plus inſenſibles & les plus durs en ont été touchez ? Que ce Prince amoureux des belles choſes ſera curieux de connoître vos noms, ces noms qui doivent rendre le ſien ſi celebre ; & que ceux qui pourront contenter ſa curioſité luy rendront un ſervice important ! Enfin, MESSIEURS, le bon goût, la pureté, & les beautez veritables ne ſe trouvent point ailleurs que parmy vous ; l’on profite plus par la participation de vos études, & par vôtre converſation, qu’à paſſer toute ſa vie dans un Cabinet & ſur les Livres. C’est icy qu’on trouve l’éclairciſſement de toutes ſortes de difficulté ; c’eſt icy que l’eſprit délivré d’erreur & d’inquietude goûte une ſatisfaction parfaite. C’est le bonheur dont j’eſpere de jouir bientôt, & je ſeray entierement ſatisfait ſi je puis vous témoigner combien la grace que je reçois aujourd’huy m’eſt précieuſe & ſenſible.